Patois du nord de la France.
Le rouchi est parlé ou plutôt chanté dans une partie du Hainaut belge et dans le ci-devant Hainaut français, conséquemment à Valenciennes, Landrecies, le Quesnoy, Bavay, Saint-Amand, Bouchain, et s'étend jusqu'à Avesnes et Maubeuge. Il contient une infinité de mots de l'ancien français, avec la prononciation des quinzième et seizième siècles; mais il a ses variétés dans les diverses localités que nous venons d'énumérer.
Ainsi à Valenciennes, capitale du patois rouchi, le peuple dira, à l'imparfait du verbe ETRE: j'étôs, t'étôs, il étôt, nous éteûmes, vous éteûtes, is éteum'tent.
A Condé, qui n'en est éloigné que d'une lieue: nous étumes, vous étutes, is étutent.
A Bavay et dans la partie de la Belgique qui l'avoisine: j'tois, t'tois, i'toit, nous toîmes, vous toîtes, i'toim'tent.
A Maubeuge: nous étimes, vous étites, is étim'tent.
Ces désinences donnèrent assurément naissance à notre prérérit défini, qui n'est pas ancien.
Une onomatopée très expressive, parmi beaucoup d'autres du patois rouchi, est le mot touc-touc, battement de cœur: S'euer fét touc-touc. Cette expression, qui peint si bien le mouvement accéléré de la circulation, mériterait de prendre place dans les dictionnaires. On l'emploie pour désigner cet état pénible dans lequel on se trouve à l'attente d'un événement fâcheux.
Le mot aveugle s'explique par son passage du latin avulsus dans le rouchi: I vaut mieux été wio (trompé) qu'aveule.
Le Wallon.
Le patois Wallon se parle dans une partie du Brabant, du pays de Liège; le wallon belge, dans le Hainaut belge et sur la lisière du Hainaut français; il s'étend dans toute la Flandre française jusqu'à Bailleul et sur une partie de la Lys. Il ne faut pas le confondre avec le rouchi. Ses imparfaits se terminent en oint: ils étoint. Un de ses principaux caractères, comme dans l'anglais, est la permutation du g en w. Ainsi, le mot Wallon lui-même a subi ce changement, et signifie Gaulois. Cette remarque est la même avec le mot Wales, qui désigne le pays de Galles.
Le Cambrésien.
Le patois cambrésien a une littérature qui n'est pas sans mérite; c'est celle des trouvères spirituels et naïfs qui, allant de châteaux en châteaux et admis à la table des grands seigneurs, y récitaient leurs fabliaux et y chantaient leurs sirventes en s'accompagnant de la vielle ou de la harpe. Leurs chansons, gracieuses ou satiriques, sont encore aujourd'hui aussi précieuses pour l'histoire que pour la philologie. Voici quelques extraits de la romance de Raoul, sire de Créqui, écrite en 1300:
Le sire de Créki adonc ne fut occhi (ne fut pas tué),
Reprint lie chievalier; car, Dame, le veuchy (le voici),
Ravisiez been (regardez bien), chey my (c'est moi), maugrey tant de misiêre;
Connechez (reconnaissez) vos mary quy vos avoyt si kière (chère).
Ces paroles seraient encore parfaitement comprises dans le moindre hameau de la zone cambrésienne.
Le picard.
Du wallon et du cambrelot nous passons au patois picard, l'un des plus importants, car on peut dire que le français en est sorti. Le picard est un mélange d'expressions grecques, latines et celtiques, dans le dialecte duquel Amadis de Gaule, le plus célèbre des romans français, a été écrit au commencement du treizième siècle. La Picardie, comme le Cambrésis, avait ses trouvères, ses plaids ou plaidoiries sous l'ormel. Les gentilshommes et les dames, réunis sous un orme, s'y occupaient de questions assez frivoles, mais qui n'étaient pas toujours sans charme et sans esprit.
Voici, dans le dialecte picard, un compliment qu'on adresse à une marquise qui fait son entrée dans ses domaines:
Oui, je venons itout vous présinter m'n hommage;
Quant à l'égard de d'lo si j'vous parlons picard,
Ch'est que d'ell' varitai ch'est ell' pus franque image;
On ne connoît cheux nous ni goguettes, ni fard.
Tenez cho part d'iki. Bayez donc, bell' marquise,
Comme tout in chacun vous r'luque et vous ravise,
Comme ches tiots guerchons accourient apris vous;
I criouent, i riouent, i ganbadouent tertous,
Oh! ch'est qu'on est bian aise; et pis, ch'est que, princesse,
Ed vous voir à *** étoit enn' allegresse!
Ej' partigeons ell' joie. All' nous aime, os l'aimons;
All' n'est point fiare ein brin; all' pourroit l'être, sucre!
Os somm' tous oss' infins, all' est not' mère, émons?
Boine comm' du pazin terre et douche comm' du chucre.
Dame, ch'est em' maraine, et mosieu min paeain,
Et nous, sous vot' respect, ej'sommes leu filiole.
Et v'lo qu' tout in queup j'on foit enn' cabriole
Por afin d'vous bailler ech brinot d' toumarin;
J'ons prins chell' libarté que d'y joindre eune rose,
Et pis not' coeur avuc; mois cho n'est point grin chose. (1)
(1)- Traduction: " Oui, je viens vous présenter mes hommages; si pour vous les exprimer, je me sers du langage picard, c'est qu'il est l'image de la vérité, qu'on ne connait parmi nous ni la flatterie, ni le fard. Il part du coeur. Regardez donc, belle marquise, comme chacun se presse autour de vous, comme ces petits garçons accourent en criant joyeusement, en riant, en dansant! Je partage leur joie. Elle nous aime, nous l'aimons; elle n'est nullement fière, et certes elle pourrait l'être. Nous sommes tous ses enfants; n'est-elle pas notre mère? Bonne comme du pain tendre et douce comme du sucre! Dame! c'est ma marraine, monsieur est mon parrain; oui, je suis son filleul. Voilà qu'aussitôt je fais une cabriole pour vous donner un petit brin de romarin. J'ai pris la liberté d'y joindre une rose et notre cœur; mais ce n'est pas grand chose."
Magasin Pittoresque, 1870.
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