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jeudi 19 juin 2014

Le mariage chez les Chinois.

Le mariage chez les Chinois.


Le 26 février 1889 , a été célébré, à Pékin, le mariage de l'empereur de Chine. Il nous a paru intéressant de rappeler les formalités dont est hérissé le mariage chez les Chinois.
Parlons d'abord de la population tankia ou batelière, race différente des Chinois au point de vue de l'origine et des croyances religieuses, gouvernée par ses propres magistrats et si méprisée des autres classes que l'enfant d'une batelière ne peut prendre part aux concours littéraires ou, quelle que soit sa valeur personnelle, aspirer à aucun emploi.
"Au temps de la moisson, dit le docteur Yvan, tout homme de la classe tan-kia qui veut se marier entre dans le champ voisin, coupe une petite gerbe de riz qu'il attache à l'une de ses rames, puis quand il est en présence de la fille tan-kia de son choix, il met sa rame à l'eau et fait plusieurs fois le tour du bateau appartenant à l'objet de sa passion. Le lendemain, si la bien-aimée accepte son hommage, elle attache à son tour un bouquet de fleurs à son aviron et vient ramer dans le voisinage du galant."
Les parents, de part et d'autre, s'assemblent sur le bateau de la fille; il y a grand dîner, force pétards et fusées, concert de gongs-gongs, incendie de papiers multicolores pour chasser les mauvais esprits. On boit à la ronde la coupe d'union; la fiancée est portée, dans une chaise fermée, rouge et or, à son nouveau logis flottant, et la cérémonie est achevée. La gerbe de riz symbolise la protection; les fleurs, le bonheur offert par la femme. Ajoutons que le costume des batelières consiste en un sarrau ou chemise bleue, quelquefois noire, à manches très larges, en un pantalon noir, un mouchoir en coton de couleur mis à la fanchon sur la tête et sous un chapeau de bois; les pieds sont nus.
Chez les Chinois purs, spécialement dans les classes élevées, l'affaire est beaucoup plus compliquée et beaucoup plus sérieuse, comme on va le voir;
En raison de la rigueur presque mahométane avec laquelle les femmes sont séparées de l'autre sexe, il est relativement rare qu'un couple ait pu se voir avant les fiançailles, et plus rare encore que les futurs se soient connus antérieurement. De là cette nécessité d'employer un personnage analogue au bazvalou ou entrepreneur d'unions de l'ancienne Bretagne, aux agences matrimoniales ou aux simples annonces de nos journaux.
Supposons que vous désireriez vous marier, l'entrepreneur d'unions commencera par vous trouver d'abord un parti convenable et négociera le transfert après. Si vous êtes moins indifférent et plus difficile à satisfaire, si vous voulez consulter vos goûts autant que les intérêts et le développement de la nation, vous n'avez qu'à désigner la femme de votre choix et l'entrepreneur devient alors votre ambassadeur accrédité.
Vous devez cependant vous assurez d'un point préliminaire: l'épouse que vous préférez porte-t-elle par hasard le même prénom que vous? Si oui, c'est une difficulté insurmontable; les lois chinoises n'autorisent pas l'union. Si cependant il arrive qu'elle soit une Clsun et que vous soyez un Li ou qu'elle soit une Kouan ou une Yu et que vous avez le bonheur d'avoir une autre monosyllabe pour nom patronymique, l'obstacle n'est pas infranchissable. Il s'agit alors pour l'entremetteur d'obtenir de chacun des deux parties une tablette contenant son nom, son âge, la date et l'heure de la naissance, etc... Ces renseignements méticuleux sont ensuite portés à un devin et comparés, pour voir si l'union promet ou non le bonheur.
Si la réponse est favorable, et on la rend favorable en glissant quelque candarin (8 francs) entre les mains du devin, (procédé qui réussit en Chine tout comme ailleurs), et s'il y a parité de fortune et de rang entre les deux familles, la demande est faite en bonne et due forme. Les cadeaux de noce sont alors envoyés, et s'ils sont acceptés, le jeune couple est considéré comme légalement fiancé. Reste ensuite à fixer la date du mariage, et ici le devin entre de nouveau en scène.
Quelque temps avant le grand jour, le fiancé se procure un chapeau neuf et prend un nouveau nom, tandis que la fiancée, dont les cheveux avaient été laissés pendants en une lourde natte jusqu'à ses talons et attachée avec des lacets de soie ordinairement rouge faisant plusieurs tours, commence son initiation dans le genre de coiffure adoptée en Chine pour les dames. Elle consiste à donner à la masse des cheveux la forme exagérée d'une théière, et à soutenir cet édifice par une étroite bande d'or ou de jade tendue sur le front et tout un arsenal d'épingles sur la tête.
Le matin de la cérémonie nuptiale, félicitations et présents sont envoyé au fiancé, entre autre une paire de canards. Ils ne sont pas, comme vous pourriez le croire, le cadeau de quelque mauvais plaisant désireux de faire une allusion personnelle à l'état intellectuel de son ami; mais bien un emblème d'affection et d'union domestique. Les dames, tout comme dans d'autres pays, se donnent en Chine la satisfaction, pour la circonstance, de verser quelques larmes de bon goût et les jeunes parentes de la future passent la matinée à pleurer avec elle son départ imminent. Quelques médisants disent: à pleurer leur propre célibat. Mais elles n'oublient pas, cependant, d'apporter quelque addition à son trousseau.
Dans la soirée, le fiancé arrive avec toute une bande d'amis, un cortège de lanternes, une longue bannière de laine ou de soie brodée du dragon national et soutenue par deux hommes, et enfin, une large chaise à porteurs couverte de sculptures, de dorures, et hermétiquement close. Dans cette chaise, la future est déposée, nous devrions dire emballée, et soigneusement dérobée à tous les regards. Le cortège tout entier, musique et bannière en tête, repart alors, suivi de tout l'attirail des boites et cartons renfermant le trousseau de l'épousée et prend le chemin de la maison de l'époux.
A l'arrivée, on la passe par-dessus le seuil, sur lequel brûlent dans un brasero, probablement pour empêcher la future maîtresse du logis d'y apporter des influences malignes. Celle-ci accomplit alors, devant le père et la mère de son mari, le kotou ou génuflexions accompagnées, à certains moments, de frappement du front sur le sol: elle rend hommage aux tablettes portant les noms des ancêtres de la nouvelle famille et offre du bétel aux hôtes rassemblés.
Jusque là, elle est restée voilée; mais à ce moment, elle se retire dans sa chambre, où son mari lui enlève son voile; après quoi, elle vient saluer derechef la réunion des parents et des amis et s'assied avec son époux à une table copieusement servie. A ces repas figurent deux coupes de vin, l'une sucrée, l'autre contenant des amers infusés. Les deux nouveaux mariés y boivent ensemble pour symboliser l'idée que désormais ils auront à partager les douceurs et les amertumes de l'existence. La jeune épouse se retire ensuite, escortées par les matrones présentes, dont quelques unes récitent sur elle des "charmes" et préparent sa couche nuptiale.
Le lendemain matin, on rend le culte voulu aux dieux de la famille et du foyer, et les six jours suivants sont consacrés à des réceptions de cérémonie des différents membres des deux familles et à des visites également officielles de la famille de l'épouse. Pendant tout ce laps de temps, celle-ci voyage portée dans sa chaise rouge et est toujours précédée par sa musique et sa bannière.
Tel est le cérémonial des épousailles de "l'épouse en chef" et il ne peut y avoir qu'une épouse de ce rang. Le nombre des femmes supplémentaires n'a de limite que le caprice du mari ou le contenu de son escarcelle. Ces femmes de seconde catégorie sont épousées avec infiniment moins de solennité que la première; elles sont prises souvent dans une classe sociale différente, étant littéralement achetées, et elles ont jusqu'à un certain point le rôle de servante de la femme en chef. Elles n'en sont pas moins des épouses légales avec une position et des droits reconnus: leurs enfants sont légitimes et héritent par parts égales avec ceux de la première épouse. A vrai dire, celle-ci est considérée comme la mère de toute la famille et les enfants sont obligés à plus de respect envers elle que même envers leur mère véritable.
Quand le mariage est dissous par la mort de l'époux, il n'est pas défendu à la veuve de se remarier, mais en se remariant, elle perd de nombreux privilèges et sa conduite est considérée comme un peu légère: mais l'ennui de vivre seule fait que l'on voit parfois des veuves inconsolables assez rapidement consolées.

                                                                                                                            Tiou.

Journal des Voyages, dimanche 26 mai 1889.

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