Les épouvantails de Paris.
Henri Plessis.
* Nota de Célestin Mira: Rita et Christina sont deux filles siamoises nées à Sassari, en Sardaigne, et décédées d'une bronchite à l'âge de huit mois.
Il
y a de bonnes gens au sens émoussés qui recherches les impressions
horribles et se délectent aux frissons que donne la vue des cadavres
de la Morgue ou des victimes sanglantes des accidents de la rue.
Ceux-là
doivent trouver au Muséum toutes les satisfactions qu'ils peuvent désirer.
Une Vénus décapitée.
Voyez
la Vénus hottentote qui est une des plus singulières pièces de la
galerie d'anthropologie. Cette sauvagesse couleur de pain d'épice
était à Paris pour s'exhiber devant un public qu'elle comptait
ahurir par sa laideur. Fut-elle considérée comme une beauté dans
son pays des Boschimans qui passe pour produire les plus laids des
bipèdes du genre homme? Mais le Paris de la Restauration recula
d'horreur.
Comment
la Vénus hottentote fut-elle revendiquée par le Muséum? Je
l'ignore, mais ce que je sais, c'est qu'une fois entrée dans les
collections, il lui advint la plus fâcheuse des aventures: un
monomane du vol lui déroba sa tête!
Pendant
de longues années, le Muséum ne posséda qu'une Vénus hottentote
décapitée. Enfin, en 1827, une personne qui n'a pas voulu se faire
connaître restitua à la galerie d'anthropologie le chef de la
négresse.
Visions de supplices.
Oh!
cette galerie! à l'aide de quelles complicités de bourreaux et de
fossoyeurs a-t-elle donc pu réunir tous les sinistres objets qui la
remplissent? Voici une série de têtes d'Arabes et de kabyles
abattues jadis à coups de yatagan et séchées au soleil d'Afrique;
leurs bouches tordues dans un rictus d'agonie laisse voir l'éclat de
leurs dents blanches.
Un
assassin livré au supplice vengeur est là; c'est Soliman-el-Haléby,
le jeune Syrien fanatique qui poignarda Kleber, général en chef de
l'armée française en Egypte. Il fut condamné à être empalée
après avoir eu la main brûlée. Il survécut six heures à son
supplice et ne poussa pas une plainte au milieu des souffrances.
On
remarque dans ce qui reste de lui que la brûlure de la main s'est
portée jusqu'aux os et que le pal, après avoir lacéré les
viscères, a fracturé les vertèbres et s'est implanté dans le
canal vertébral. Si la place de la Roquette nous eût donné un tel
spectacle, il y a longtemps que l'on aurait aboli la peine de mort.
Papavoine,
cet impulsif que gagna la folie du meurtre et qui égorgea deux
enfants sous les yeux de leur mère, dans le bois de Vincennes,
figurait en buste dans la même collection; c'était un moulage
exécuté sur nature.
La
calotte du crâne du poète Legouvé, un autre crâne que l'on croit
être celui de Descartes, la tête d'Eva Cattel, une tireuse de
cartes qui fut célèbre à Vienne; des crânes de moines, de
médecins, de peintres, d'écrivains, de marchandes de modes, des
crânes égyptiens tirés des momies, voisinent curieusement.
Des
têtes d'Européens, de Tartares, de Kalmouks, de Chinois, de Lapons,
de Hottentots, de Peaux-Rouges, constellent les murs de la galerie
d'anatomie. On y voit aussi de ces têtes telles que savent les
préparer certains peuples des rives de l'Amazone. Le procédé
mérite une explication. On désosse la tête du mort; puis on fait
savamment sécher la peau qui se rétrécit et se replie peu à
peu sur elle-même. L'art est de conserver à la tête ainsi
graduellement réduite sa forme humaine; elle la conserve encore
quand elle est à peine plus grosse que le poing; elle conserve ses
yeux qui sont gros comme l'ongle, son nez qui ressemble à celui d'un
carlin, sa petite bouche et sa chevelure qui est seulement plus
épaisse et plus condensée sur cet horrible raccourci.
Le monstre à deux têtes.
Mais
le plus étrange, a coup sûr, des êtres humains qui se virent au
Muséum est le monstre bicéphale qui s'appelait de son vivant
Ritta-Christina * et dont le squelette est enfermé dans une vitrine
de la galerie d'anatomie comparée.
Ce
monstre naquit le 12 mars 1829 à Sassari, en Sardaigne, et vécut
huit mois et demi. Lorsqu'on l'apporta à l'église pour le faire
baptiser, le desservant de la paroisse demeura perplexe; mais
remarquant que ce nouveau né avait réellement deux têtes, il lui
donna deux noms et deux baptêmes séparés. Cet être extraordinaire
arriva à Paris le 26 octobre 1829 et fut présenté à la Faculté
de médecine et aux Académies.
Force
fut de se rendre à l'évidence: il y avait réellement deux êtres
dans une même enveloppe. Les deux volontés étaient bien
manifestes. Souvent, il est vrai, les deux têtes pleuraient en même
temps, mais il n'était pas rare de les voir l'une téter et l'autre
dormir. Christina sourire et Ritta conserver une sorte d'immobilité.
Peu de temps après leur arrivée à Paris, soit par les fatigues du
voyage, soit par suite d'un refroidissement, Ritta tomba gravement
malade et succomba après quelques jours d'agonie. On a raconté que
pendant que sa sœur était mourante, Chritina jouissait d'une santé
excellente: elle jouait même sur le sein de sa mère. Mais au moment
où Ritta rendit le dernier soupir, Christina poussa un cri et
expira.
Henri Plessis.
Mon Dimanche,
revue populaire illustrée, 29 avril 1907.
* Nota de Célestin Mira: Rita et Christina sont deux filles siamoises nées à Sassari, en Sardaigne, et décédées d'une bronchite à l'âge de huit mois.
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