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mercredi 13 décembre 2017

Ceux de qui on parle.

S. M. le Shah de Perse.

Il y a quelque mois, la Perse perdit son Shah. Elle le regretta car c'était un bon Shah, point faible ni cruel: main de fer et patte de velours. Il n'était sur le trône que depuis dix ans: on se rappelle que son père avait été tué par la balle d'un fanatique.
Le nouveau règne ne commence pas sous des auspices aussi tragiques bien que la fin de Mouzaffer-ed-Din ait été prématurée, puisqu'il n'avait que cinquante-trois ans. c'est une attaque d'apoplexie, dit-on, qui l'a enlevé.




Le fils aîné de Mouzaffer-el-Din, le prince Mohamed-Ali a été tout naturellement appelé au pouvoir. Mohamed-Ali n'a que trente-quatre ans. Il y a longtemps que la Perse n'a été gouvernée par un aussi jeune Shah. Souhaitons que cette direction lui soit profitable. Souhaitons que son budget s'équilibre et que les fonds de la couronne soient fidèlement gérés.
Car la question des finances est celle qui préoccupent le plus les souverains persans. Les impôts entrent-ils mal ou les fonds du Trésor s'échappent-ils par des fissures, je l'ignore, mais le pauvre Shah défunt fut bien souvent dans l'impossibilité de faire honneur à ses engagements. Il ne paraît pas d'ailleurs que ces difficultés lui aient causé une bien vive anxiété et cela s'explique aisément, attendu que les créanciers de sa Majesté n'étaient jamais ses sujets, son crédit étant depuis longtemps épuisé en Perse.
C'est aux étrangers qu'il devait de l'argent, aux marchands d'armes, de munitions, aux couturiers, aux fabricants d'automobiles, et leurs réclamations le laissaient à peu près indifférent. Si bien que même à l'étranger son crédit commençait à se tarir: c'est assurément très honorable d'être le fournisseur du Shah de Perse, mais ceux qui avaient donné pour ce titre dix ou vingt mille francs, estimaient l'avoir assez payé.
On m'a conté qu'à son dernier voyage à Paris, Mouzaffer-ed-Din avait fait demander à deux de nos photographes les plus notoires de prendre des clichés de Sa Majesté et de ses grands dignitaires, et que tous les deux, en raison de l'importance de la commande, avaient demandé des arrhes. Le Shah, blessé dans sa dignité, avait renoncé à son projet.
Un jour qu'il se promenait au bois de Boulogne et s'était arrêté au bord du lac, en photographe amateur eut l'audace de disposer son appareil à quelques pas des illustres visiteurs. Des agents aussitôt s'interposèrent, mais le Shah fait savoir qu'il consent à se laisser photographier. L'amateur s'empressa d'employer toutes ses plaques. Le Shah voulait voir tout de suite le résultat. L'opérateur lui demanda la permission de venir dans quelques jours lui apporter des épreuves. Il fut très aimablement accueilli et le grand vizir eut l'ordre de lui compter, en remerciement, quelques pièces d'or. Comme l'or persan est peu répandu en France et que les pièces étaient larges et lourdes, l'amateur ne les refusa pas.
Mohamed-Ali, le jeune Shah, connaîtra-t-il de pareils soucis d'argent? Il faut espérer que non. Peut-être viendra-t-il moins souvent que son père se faire soigner à Vichy, à Aix et à Paris.
Nous le regretterons, mais les Persans seront bien aises de trouver un peu moins de frais de voyages sur les notes impériales.
Que si l'envie prenait au nouveau Shah de voir à son tour du pays, et que sa cassette fut vide, il lui resterait la ressource de vendre une des pierreries qui ornent le costume solennel des Shahs. Les magnifiques joyaux, diamants, turquoises, rubis, émeraudes, améthystes, qui couvrent la couronne et les broderies qui rehaussent les décorations, les ciselures des bagues, valent au bas moi une centaine de millions. S'il réalisait ce capital, Mohamed-Ali prouverait qu'il n'est pas si barbare qu'on le croit, et ne placerait-il la somme qu'à trois pour cent, il pourrait avec ses revenus faire le voyage de Paris et désintéresser les derniers créanciers qu'a pu y laisser son père. Il aurait la satisfaction d'être débarrassé du même coup de ses dettes et d'un magasin de breloques qui doit être bien gênant.

                                                                                                                     Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 avril 1907.

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