Le général de Gallifet.
Le général de Gallifet est né trop tard. Bonaparte l'eut fait prince. Louis XIV maréchal de France. François 1er connétable. La troisième République n'a su que lui donner un portefeuille de Ministre bien usé, qu'il lui a rendu au bout de onze mois. Ce caractère original et hardi ne convenait pas à notre époque sans grandeur, occupée d'intérêts mesquins, où nos hommes d'Etat et nos généraux font pour se distraire des parties de manille.
Le général de Gallifet est âgé aujourd'hui de soixante dix sept ans; il fait depuis 1895 partie du cadre de réserve. Ancien commandant en chef de notre cavalerie, il était "sorti du rang" et avait commencé à dix-huit ans en 1848, comme engagé volontaire dans les hussards, sa carrière militaire. Il fut nommé sous-lieutenant aux guides sous le second Empire et partit en Crimée comme attaché à l'état-major du général Bosquet. Le siège de Sébastopol lui valut sa première citation à l'ordre du jour.
Il fit la campagne d'Italie en qualité de lieutenant. Plus tard, étant officier d'ordonnance de l'Empereur, il demanda lui-même à quitter ce poste pour partir au Mexique, où il se battit, comme toujours, héroïquement et eut le ventre ouvert par un éclat d'obus. Pour la seconde fois, il fut cité à l'ordre du jour mais cette marque d'estime ne lui rendit pas les morceaux épars de son abdomen, et il dut se faire confectionner un ventre postiche. Il le commanda en argent. Ses moyens lui permettaient ce luxe. Bien lui en prit, car il a dû évidemment à l'inaltérabilité de ce métal d'atteindre un âge avancé.
Rentré en France, le capitaine de Gallifet, nommé chef d'escadron, eut l'honneur de présenter à Napoléon III les drapeaux conquis aux Mexicains. L'empereur contempla les drapeaux avec intérêt et demanda à voir aussi le ventre d'argent. Barnum fit à l'illustre blessé des offres si magnifiques pour l'exhiber en public que M. de Gallifet, résolu à fuir tant de popularité, alla servir en Afrique..
La guerre de 1870 le fit général de brigade, le jour même où, pour venger la mort du général Margueritte, M. de Gallifet chargeait, à Sedan, avec une vigueur qui arracha au vieux Guillaume cette exclamation: "Ah! les braves gens!"
Fait prisonnier, il suivit en Prusse le reste de l'armée, revint en 1871 et ramena à Paris la brigade de cavalerie de Versailles pour massacrer les insurgés de la Commune: la rigueur féroce dont M. de Gallifet fit preuve à cette occasion acheva de révéler son caractère.
Devenu l'ami de Gambetta, il s'occupa depuis lors le plus utilement qu'il le put, mais trente-six années sans guerres ont paru bien longues à ce brave soldat. Qu'elle fût inutile comme au Mexique ou désastreuse comme en 1871, la guerre était son passe-temps favori, il eût mieux aimé se battre contre les lapons que se battre les flancs.
Il retourna en Afrique et mena nos colonnes fort avant dans le Sud. Il dirigea en France de grandes manœuvres où il ne se montra pas commode: la médaille militaire lui fut décerné après les manœuvres de 1891, à soixante-et-un ans. Chevalier de la Légion d'honneur à vingt-cinq, il a conquis successivement tous les grades de cet ordre jusqu'à celui de grand'croix (1887). Il était membre du Conseil supérieur de la guerre et du Comité de défense, quand, ne sachant ne sachant quel titre ajouter aux siens, la République, en la personne de Waldeck-Rousseau, le fit ministre de la guerre (1899).
Le vieux général montra en cette circonstance le caractère rigide qui fut toujours le sien, n'hésitant pas à dire à chacun ses vérités. Ses déclarations à la tribune ressemblaient à des sommations d'assiégeant, ses moindres lettres à des bulletins de campagne et sa conversation se ressentait de la lecture de Cambronne.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 28 avril 1907
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire