La belle Madame.
On peut être la plus jolie, la plus charmante, la plus adorable des femmes, sans être "une belle Madame. La belle Madame est une créature spéciale, remplissant quasiment un sacerdoce mondain; une sorte d'animal curieux qu'il faut avoir dans son salon pour être dans le mouvement parisien.
"Nous aurons ce soir, la belle Mme X...", équivaut pour les amphitryons du high life au "nous aurons Molière et Lambert" du dîner de Boileau.
La "belle Madame", qui est peut être une femme de beaucoup de grâce et d'esprit, qui sait causer, qui est modeste, qui adore son mari, qui souhaiterait une vie simple, se sent tout à coup entraînée par une réputation de chronique vers une existence de pose, de gène et d'ennuis quotidiens. Elle exerce une espèce de profession, la profession de la beauté; ce que les Anglais appellent professional beauty. Elle n'est plus une femme, elle est un mythe, un modèle, une enseigne. Elle n'a plus une minute à elle. Recherchée pour sa fatale beauté, elle ne peut plus être soi-même, elle n'appartient plus à son mari, ni à ses enfants, elle appartient au monde qui veut voir ses épaules, ses bras, son front découvert, ses admirables cheveux.
Elle n'a plus le droit d'avoir une pensée, une expression, un sourire, un regard. Elle est statue, elle est bloc de marbre, elle est idole.
Le monde lui a dit:" Tu es belle. Tu n'as pas le droit d'être autre chose", et la malheureuse se consume sous l'admiration publique, pareille à une figure de cire, tournant dans une vitrine du boulevard. Les hommes la regardent, la considèrent avec une admiration plus ou moins respectueuse. Les femmes la jalousent, et essaient de dénigrer sa beauté sculpturale et lui cherchent des défauts qui n'existent pas.
La "belle Madame" sent ce qu'on dit et ce qu'on pense d'elle. Elle voudrait parfois être laide et mal faite et devenir tout bonnement une femme comme les autres.
J'en sais une, que j'ai rencontré dans maint salon parisien, et qui eût été heureuse de causer à l'écart avec quelques amis, de rire en liberté, de faire oublier sa beauté et d'être charmante au lieu d'être belle; mais elle était la belle Madame X... on l'avait invité pour la montrer à un public plus curieux que sympathique, et elle a dû quitter le petit coin où elle s'était réfugiée pour monter sur son tremplin de soie et de velours et être donnée en pâture à l'admiration de l'élite du monde parisien.
Pauvre belle Madame X...! Elle est plus à plaindre qu'à envier. Qu'elle se console cependant. Sa beauté passera, et peut être il restera d'elle une femme aimable et charmante, que l'on aimera pour sa bonne grâce, au lieu de s'extasier pour la rondeur de ses épaules et la fermeté de sa poitrine.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la Librairie parisienne, 1887.
Nota de Célestin Mira: Quelque temps plus tard...
"Nous aurons ce soir, la belle Mme X...", équivaut pour les amphitryons du high life au "nous aurons Molière et Lambert" du dîner de Boileau.
La "belle Madame", qui est peut être une femme de beaucoup de grâce et d'esprit, qui sait causer, qui est modeste, qui adore son mari, qui souhaiterait une vie simple, se sent tout à coup entraînée par une réputation de chronique vers une existence de pose, de gène et d'ennuis quotidiens. Elle exerce une espèce de profession, la profession de la beauté; ce que les Anglais appellent professional beauty. Elle n'est plus une femme, elle est un mythe, un modèle, une enseigne. Elle n'a plus une minute à elle. Recherchée pour sa fatale beauté, elle ne peut plus être soi-même, elle n'appartient plus à son mari, ni à ses enfants, elle appartient au monde qui veut voir ses épaules, ses bras, son front découvert, ses admirables cheveux.
Elle n'a plus le droit d'avoir une pensée, une expression, un sourire, un regard. Elle est statue, elle est bloc de marbre, elle est idole.
Le monde lui a dit:" Tu es belle. Tu n'as pas le droit d'être autre chose", et la malheureuse se consume sous l'admiration publique, pareille à une figure de cire, tournant dans une vitrine du boulevard. Les hommes la regardent, la considèrent avec une admiration plus ou moins respectueuse. Les femmes la jalousent, et essaient de dénigrer sa beauté sculpturale et lui cherchent des défauts qui n'existent pas.
La "belle Madame" sent ce qu'on dit et ce qu'on pense d'elle. Elle voudrait parfois être laide et mal faite et devenir tout bonnement une femme comme les autres.
J'en sais une, que j'ai rencontré dans maint salon parisien, et qui eût été heureuse de causer à l'écart avec quelques amis, de rire en liberté, de faire oublier sa beauté et d'être charmante au lieu d'être belle; mais elle était la belle Madame X... on l'avait invité pour la montrer à un public plus curieux que sympathique, et elle a dû quitter le petit coin où elle s'était réfugiée pour monter sur son tremplin de soie et de velours et être donnée en pâture à l'admiration de l'élite du monde parisien.
Pauvre belle Madame X...! Elle est plus à plaindre qu'à envier. Qu'elle se console cependant. Sa beauté passera, et peut être il restera d'elle une femme aimable et charmante, que l'on aimera pour sa bonne grâce, au lieu de s'extasier pour la rondeur de ses épaules et la fermeté de sa poitrine.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la Librairie parisienne, 1887.
Nota de Célestin Mira: Quelque temps plus tard...
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