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vendredi 8 décembre 2017

Ceux de qui on parle.

M. Leloir.


M. Leloir n'est pas seulement un grand artiste; c'est aussi un artiste très grand. La longueur de ses jambes est remarquable. Quel est l'habitué de la Comédie-Française qui n'a pas quelquefois oublié la pièce représentée pour compter en combien d'enjambées M. Leloir traversait la scène? L'un de ses pieds est encore au bord du trou du souffleur, que l'autre pénètre déjà dans les coulisses.





Cette particularité physique a-t-elle nui à la carrière de M. Leloir? Bien au contraire. Si j'aimais les calembours, je dirais que la longueur de ses jambes lui a permis d'avoir un pied dans tous les genres, mais je laisse ces plaisanteries à Gugusse et à Willy*.
Les avantages que M. Leloir doit à sa haute stature, c'est la gravité qu'elle donne à son personnage et dont il sait tirer à l'occasion (comme dans l'Avare) des effets si dramatiques; c'est l'air protecteur et paternel de ce Bonhomme Jadis, dont la robe de chambre recouvre mal deux jambes dégingandées.
Néanmoins, la haute taille de M. Leloir n'a évidemment qu'une part très minime dans ses succès. D'autres dons physiques ont servi bien davantage ce comédien. Tout d'abord sa voix, qui est claire, nette, mordante, et juste assez nasillarde pour se faire remarquer sans déplaire. Mais ce qui caractérise surtout M. Leloir, c'est son habilité à composer son visage, ce sont ses jeux de physionomies et ses grimaces.
Quand M. Coquelin Cadet veut faire rire, il s'avance au milieu de la scène, regarde le public, et lui fait une large et irrésistible grimace. M. Leloir, qui n'a pas pour unique préoccupation de faire rire, étudie ses rôles, cherche à les incarner et à exprimer, par sa physionomie, à mesure qu'il joue, les sentiments fugitifs dont l'ensemble donne à son personnage sa figure. Ce jeu n'est pas tout à fait spontané ni follement comique, mais il est très raisonnable, et il a permis à M. Leloir de réussir aussi bien dans les créations dramatiques que dans la pure comédie. Il a même dramatisé certains rôles, qu'avant lui on avait cru comiques.
La carrière de cet artiste fut tout entière consacrée au théâtre. Il n'avait que seize ans quand il remporta au Conservatoire un premier accessit de comédie. Deux scènes: le troisième Théâtre Français (plus tard Déjazel), puis le Gymnase, furent les échelons qui le conduisirent à la Comédie-Française, en 1880; Il avait alors vingt ans. Il n'a plus quitté ce théâtre. On prétend même qu'il démissionne beaucoup moins que ses collègues. Est-ce parce que, faisant partie du comité de lecture du Théâtre-Français, d'historique mémoire, il a conscience de la responsabilité qu'il supporte et de la portée des exemples qu'il donne?
C'est un artiste rangé et un maître qu'on vénère.
Il a écrit un ouvrage sur l'Art de dire. Il a écrit aussi, car il faut tout révéler, des pièces de théâtre estimant apparemment que l'art dramatique était trop négligé et qu'il était grand temps que les acteurs travaillassent eux-mêmes à leur répertoire. Ne résoudrait-on pas bientôt l'épineuse question du comité de lecture si l'on faisait écrire les pièces par la maison même? Leloir, Coquelin Cadet, Truffier, Mounet-Sully même suffiraient pour remplir la scène pendant les premiers temps. Viendrait ensuite le tour des autres: les nouvelles recrues apporteraient leur bagage et pour les aider on créerait au Conservatoire une classe de composition dramatique. Il y a là une idée à creuser et une place à prendre. Je vous livre l'un et l'autre, chers lecteurs, avec le plus parfait désintéressement.

                                                                                                                Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 avril 1907.

* nota de Célestin Mira: Gugusse et Chocolat étaient un  un duo de clowns célèbres français




Gugusse et Chocolat.
Chromo réalisée pour le Bon Marché en 1911
.


Pour Willy, il s'agit probablement de Henri Gauthier-Villars, dit Willy, journaliste et romancier et qui futle compagnon de Sidonie Gabrielle Colette, la célèbre romancière.




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