Translate

samedi 9 décembre 2017

Le monsieur qui a chaud.

Le monsieur qui a chaud.


Le monsieur qui a chaud n'a chaud que parce qu'il fait chaud le 2 septembre. Si nous étions en juillet, à la canicule, il aurait moins chaud ou tout au moins il ne se plaindrait pas. Ce qui l'offusque, c'est que la température est anormale; elle dépasse les limites, elle abuse, elle exagère.



Le monsieur qui a chaud attend avec impatience l'orage; il étudie le baromètre; il donnerait cinquante francs pour un bon coup de pluie; et quand la pluie arrive, il s'écriera: "Quel fichu temps! Au mois de septembre... si ce n'est pas dégoûtant!"
Le monsieur qui a chaud le 2 septembre n'a jamais eu aussi chaud. Il dîne et déjeune en manches de chemise. Il couche tout nu. Un seul drap lui est même insupportable. Il ne porte pas de gilets. Sa cravate n'est plus qu'un fil.
Il est accablé, éreinté, exténué. Il ne peut ni marcher, ni dormir. Vous le voyez dans la rue, traînant ses pas, l'air malheureux. De temps en temps, il passe un doigt entre le col de sa chemise et sa peau pour décoller la batiste. Celle-ci est toute imprégnée de sueur. On n'a jamais vu ça.
Le monsieur qui a chaud profite de la circonstance pour boire un bock de plus par jour. 



A quelque chose chaleur est bonne. Le monsieur qui a chaud est vexé de la chaleur, bien moins que son importunité que parce qu'elle dérange ses habitudes et ses plans. Il avait quitté la mer, il la regrette; il voulait fréquenter les théâtres, il ne peut pas; il avait commandé des habits de demi-saison et le voilà forcé d'user jusqu'à la corde les alpagas défraîchis de juillet et d'août.
En somme, le monsieur qui a chaud est surtout un routinier. Il ne veut pas plus de chaleur en septembre, que de froidure en juin. Il est habitué à une certaine échelle thermométrique, suivant les saisons. C'est un traité passé entre le Parisien et la Providence. Quand la Providence manque à son traité, le Parisien est implacable et envoie l'huissier.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la Librairie illustrée, 1887.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire