Mme Rosemonde Rostand.
Je serai tenté de croire que si M. Edmond Rostand s'est marié, c'est pour que le public de désapprit pas son nom et qu'il parlât de l'épouse quand il serait las de parler du mari. Si tel fut son vœu, il a été exaucé. Avec les documents qui ont été publiés sur M. Rostand on entretiendrait un feu toute la nuit, mais on l'étoufferait aisément avec les notices qui furent consacrées à Mme Rostand. Cette dame s'est fait photographier devant sa pièce d'eau, devant sa maison, auprès d'un vase de marbre, sur son perron, avec sa levrette, sans sa levrette, etc., etc., et elle a généreusement répandu ses portraits par la voie de la presse.
Grâce à cette discrète attention, nous n'avons pu ignorer que Mme Edmond Rostand n'était autre que Mme Rosemonde Rostand, laquelle s'était appelée Mlle Rosemonde Gérard et avait publié sous ce nom un recueil de poésie intitulé les "Pipeaux".
Il y a des auteurs qui pour justifier de leur existence publient de temps en temps des ouvrages. M. et Mme Rostand ont renoncé à ce moyen banal et dangereux; ils ont tellement spéculé sur la naïveté du public qu'ils n'osent la mettre encore à l'épreuve. Au lieu d'écrire de nouveaux livres, ils chargent leurs amis de faire de la publicité pour les anciens.
Mme Rostand nous a fait savoir ainsi qu'elle était la petite fille du comte Gérard, maréchal de France, qu'elle avait fait des vers délicieux et spirituels et qu'elle recopiait pour les imprimeurs les manuscrits de son mari. On nous a même conté une touchante anecdote que je vais reproduire, dans l'espoir qu'elle inspirera à l'un de nos grands artistes une belle image d'Epinal.
M. Rostand, ainsi commence l'histoire, est rarement satisfait de lui-même (Il y a des ignorants qui prétendent le contraire). Lorsqu'il a écrit quelques vers, il s'impatiente, déchire les feuillets et va rêver au jardin. Alors Mme Rostand pénètre dans le cabinet désert, ramasse les morceaux, admire le poème et l'apprend par coeur. Mais, héroïquement, elle se tait. Quelques jours plus tard, le poète soupire: "J'ai déchiré mes premiers feuillets! N'étaient-ils pas mieux pourtant?" Il va retourner au jardin, mais Mme Rostand le guette.
- Essayons de retrouver ensemble? dit la Muse, et, sous son inspiration, les vers vont peu à peu s'aligner de nouveau.
De méchantes langues ont prétendu que Mme Rostand ne bornait pas sa collaboration à recopier les poésies de son mari ou à chiffonner dans sa corbeille à papier pour y retrouver des traces de son génie. Elle lui aurait soufflé également des vers originaux. On dit même, on dit que ce qu'il y a de meilleur dans le poète Edmond Rostand, c'est sa femme...
Et ce sont aussi ses deux fils, Maurice et Jean, deux prodiges, l'un de quinze ans, l'autre de douze. Porté par eux, le nom de Rostand n'est pas près de rentrer dans l'obscurité. L'aîné est poète, et l'on ne sait lequel l'emporte, de son savoir ou de son génie. Il sait Goethe et Schiller, Shakespeare et Byron. Il a une opinion sur tous les poétiques.
Le plus jeune des Rostand n'a que douze ans. Tant mieux, il n'en a que plus longtemps à vivre et à croître en sagesse. La science n'a déjà plus de secrets pour lui: ses préférences vont à la médecine et ses aptitudes sont telles que le chirurgien de Cambo (station des Pyrénées où M. Rostand s'est retiré) ne procède pas à une opération sans venir le consulter.
Mais les enfants sont dans la tristesse. Ils ont applaudi l'Aiglon. Verront-ils Chantecler? Ils partagent au sujet de la pièce qui nous fut promise par leur père les angoisses de la France. Ils déplorent cette maladie qui rend le poète silencieux et qu'on attribue, avec un peu d'exagération sans doute, au surmenage.
Jean-Louis.
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Extrait d'un poème de Mme Rosemonde Rostand.
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de Mai dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants,
Comme le renouveau mettra nos cœurs en fête;
Et je te sourirai, tout en tremblant la tête;
Et nous ferons un couple adorable de vieux.
Nous nous regarderons, assis sous notre treille
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille;
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.
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Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 21 avril 1907.
Nota de célestin mira:
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