Translate

mardi 12 décembre 2017

Les Bretons.

Les Bretons.


Il y a deux Bretagnes: la Haute-Bretagne ou Bretagne française, la Basse-Bretagne ou Bretagne bretonnante. C'est pourtant d'un bout à l'autre le même pays; même sol, même climat, même race celtique: mais la première s'est profondément francisée, la second, isolée dans sa presqu'île, garde encore, avec sa vielle langue gaélique, son costume ancien, ses mœurs et son caractère, du moins dans les campagnes: "pays devenu tout étranger au nôtre, dit si bien Michelet, justement parce qu'il est resté trop fidèle à notre état primitif: peu français, tant il est gaulois..."
Les bretons sont simples, peu causeurs et même renfermés, sérieux, imaginatifs, énergiques et résistants, opiniâtres, on dit même têtus: très attachés à leur pays, à leurs habitudes, aux usages des vieux temps. dès qu'ils s'éloignent de leur patrie, ils sont atteints d'incurable nostalgie. Ceux qui n'ont pas reçu l'éducation moderne sont superstitieux comme on l'était au moyen âge.
"S'il est un pays où les traditions de la légende ont encore force et vie, disais-je ailleurs, c'est le pays de Merlin, l'antique et granitique Bretagne, immuable et demi-sauvage. - Que la lande, plantés de menhirs, soit restée druidique, qui s'étonnera, puisque la langue humaine l'est encore? Les miracles et les visions sont, là-bas, choses communes et dont personne ne s'étonne. Point de paysan qui n'ait, au moins, rencontré le lutin, à la tombée du soir, sous la figure d'un chat noir aux yeux de feu, contre la porte de l'étable; toute femme a vu "ses défunts" qui reviennent, en blancheur indécise, en flamme phosphoreuse, au pied du lit, quand les lueurs du foyer sont tombées et la braise assoupies sous les cendres (1) ...
C'est là que les vieilles pierres dites druidiques sont encore vénérées comme sacrées et en même temps redoutés comme diaboliques; que les korrigs, qui sont des nains bizarres et fantasques, dansent encore, la nuit, au clair de lune, autour des menhirs. Malheur à qui les rencontre: ils le forcent à danser avec eux jusqu'à épuisement!
Le sentiment breton par excellence, c'est le souvenir des morts: "ils sont moins morts ici que partout ailleurs"...
La chaumière bretonne isolée dans les champs, au coin d'un bois ou d'une lande, a un aspect particulier, mélancolique, avec ses murs épais de terre ou de pierre, percés de rares et étroites fenêtres, avec un toit de chaume qui descend jusque près de terre. La porte, presque toujours ouverte pendant la journée, à une double clôture: en dedans, l'huis de chêne qui ferme de haut en bas, en dehors, le contre-huis, qui s'élève seulement jusqu'à mi-hauteur; tiré, il empêche les bêtes de pénétrer dans la maison, et la partie supérieure de la baie laisse entrer l'air et le jour à la façon d'une fenêtre. L'habitation n'a souvent, au rez-de-chaussée, qu'une seule pièce, à la fois cuisine, salle à manger, chambre à coucher de la famille. Le sol est de terre battue; le foyer est relevé de la hauteur d'une marche. La cheminée, très haute et très large, tient presque tout le fond. Sous son vaste manteau il y a, de chaque côté du feu, place pour un banc où peuvent facilement s'asseoir deux personnes. 
Les lits sont clos, c'est à dire qu'ils ont la forme de grandes armoires quasi cubiques, qui se ferment sur le devant, comme des armoires, de deux larges vantaux ajourés, glissant dans les coulisses; souvent, ils sont à deux étages, contenant deux couches superposées. 
Les autres meubles, également de chêne noirci par les ans, à grosses moulures saillantes, sont l'armoire, haute et large, la maie ou coffre au pain, le buffet surmonté d'un dressoir à rayons où s'étalent des assiettes de faïence blanches à grosses fleurs; enfin l'horloge dans une haute gaine étroite. Au milieu, la table de chêne, avec deux bancs.
Quand la maison est aisée, sans rien changer à la disposition traditionnelle elle prend un air de propreté et d'abondance qui donne une certaine grâce rustique, mais sans gaîté, à ces intérieurs sévères; les meubles à grosses sculptures, bien frottés, sont clairs et reluisants, les cuivres brillent comme de l'or. En face du foyer, d'immenses chaudrons bien fourbis suspendus à la muraille reflètent les lueurs mobile de la flamme comme autant de miroirs ardents, quand les enfants, le soir à la veillée, sont rangés autour du foyer, et que les femmes filent, assises sur des escabelles, en écoutant quelque histoire de sorciers ou de loup-garous.
La langue bretonne, un peu rude et gutturale, a pour littérature des guerz*, chansons historiques ou satiriques, et des sônes, que nous appellerions des romances, d'une poésie délicate et très émouvante. Les costumes, variables d'un village à un autre, sont très pittoresques, souvent même fort élégants. La partie la plus remarquable est la vieille braie gauloise, le bragou-braz (braie large) plus ou moins bouffant, serré aux genoux, avec des bas tirés ou des guêtres; puis de grands gilets montants et de courts vestons, de large chapeau de feutre. 



Paysan breton.

Les longs cheveux flottants sur les épaules sont un signe de nationalité auquel les Bretons ne renoncent pas volontiers, et que le service militaire général est en train de faire disparaître. Le pen-bas ou bâton à tête, dont l'extrémité amincie est dans la main tandis que le bout élargi porte sur le sol, à l'inverse de la canne ordinaire, accompagne et complète la physionomie. 
Le vêtement des fêtes et des noces, de vives couleurs tranchées, avec des gilets et vestons brodés, les rubans aux chapeaux, est très riche et très brillant. Les femmes portent d'amples jupons avec des corsages échancrés sur des collerettes montantes, souvent des devantières, sortes d'étroits tabliers attachés à la taille, munis le plus ordinairement d'une piécette qui se relève et s'agrafe sur la poitrine. Mais la plus curieuse partie de la toilette des femmes et la plus variée, c'est la coiffure; chaque village, ou presque, a la sienne, la même depuis des siècles, et différente de celle des localités voisines.




Costumes bretons du Finistère.

Ces parures brillent surtout dans les foires et les assemblées annuelles que l'on appelle des pardons, fêtes moitié religieuses et moitié profanes, où les processions, les marchés bruyants, les boutiques foraines, les charlatans, les jeux, les danses du pays, font un ensemble très animé. Les Bretons ont des danses particulières, et l'instrument national, chez eux, est le biniou, sorte de cornemuse aux sons aigus, rustiques et vibrants.

Coiffes bretonnes.

La campagne de la Haute-Bretagne française, aux environs des ville de Saint-Malo, de Dinan, de Rennes, tient à peu près le milieu entre les pays français proprement dits et la vieille Bretagne bretonnante: c'est la Bretagne en pantalons; l'autre est la Bretagne porte-braies... Par la langue nos villageois gallots ( en français: gaulois), c'est ainsi qu'on les appelle, sont latins; par l'ensemble des mœurs aussi, et de plus en plus. Pourtant il leur reste encore bien des traits de race hérités du vieux celte armoricain, dans le caractère et les idées, dans les usages, non moins que dans le costume et l'ameublement. Ils ont encore, dans nos bourgs écartés, dans nos fermes isolées, les vieux bahuts à dressoirs, les vieux lits clos de chêne sculpté, noircis par le temps; ils ont le grand foyer où l'on brûle les broussailles, les longues veillées, les contes fantastiques au coin du feu. Pour l'habillement, chose très curieuse, les hommes sont français, les femmes sont bretonnes.
C'est par quelque beau dimanche d'été, aux assemblées, à Dol, par exemple, ou bien à Châteauneuf, à Saint-Malo, qu'il faut les voir, paroissiens et paroissiennes, venus des villages, de dix lieues, quinze lieues à la ronde, chacun et chacune avec son costume, dans la mêlée mouvante et diaprée, sur le champ du marché, parmi les bestiaux, les étalages, les cuisines en plein vent. Sur les routes, ils arrivent à la file, jeunes et vieux, qui à pied, qui à cheval, qui à âne, qui en rustique carriole, par groupe animé, caquetant, coquetant, endimanchés; les jeunes gens et les jeunes filles sont ornés de fleurs et de nœuds de rubans.
"Les fermiers, graves, pleins de leur importance, sont en jaquettes courtes de drap gris ou bleu, et larges pantalons d'une coupe campagnarde, avec gros souliers ferrés et bâton de houx; les garçons de ferme, les jeunes gens portent la blouse de charretier, en cotonnade bleue, brochée de blanc au col et sur l'épaulette. Les femmes âgées sont en noir, les jeunes en couleurs, avec jupons courts, petit châle en pointe de tons éclatants à grands ramages, croisés sur la poitrine et noués par derrière; avec d'élégantes devantières, c'est à dire d'étroits tabliers de fin tissu de mérinos noir ou même de soie, pourvus d'une piécette, coquettement attachée sous la gorge. Les plus riches ont aux pieds des souliers plats, à boucle d'argent.




Un pardon en Bretagne.

Toutes portent la coiffe blanche: la coiffe du pays, plus ou moins fine et garnie de dentelles, raide d'empois et plissée à plis tuyautés au fer, nouée sous le menton avec de longs rubans, et posée sur un serre-tête de tulle qui renferme la chevelure, lissée à bandeaux plats. La coiffe d'une femme, voyez-vous, c'est son pavillon: "pavillon de nationalité fière et souvent jalouse (1)". Chaque village, j'allais dire chaque patrie, a sa coiffure différente, fixée par une tradition immémoriale, peut-être depuis les temps druidiques. D'un clocher à l'autre il y a des différences, parfois peu sensibles à l’œil inexpérimenté de l'observateur masculin; mais tout ce qui porte jupons les connaît par le menu: en sorte que la première venue des paroissiennes, au milieu du va-et-vient de la foire, vous dira, vous montrant du doigt l'une après l'autre: "Celle-là est de Dol, celle-là du Miniac, cette autre de Plerguer; en voici une de Roz, une de Cancale..."
Certaines de ces coiffures sont fort originales. Les élégantes de Saint-Suliac et de Dinard portent fièrement le grand coq, imité dit-on du casque romain... (mais j'en doute fort); le triomphant coq, à haute et large crête plissée à petits plis, étalée en éventail, avec deux vastes ailes repliées que soulève le vent de la mer, et qui semble toujours prêt à s'envoler du coup. Il s'envole aussi quelquefois... Les modestes villageoises de Pleudihen se contentent du petit coq, très abaissé, crête courte, ailes pendantes, que leurs voisines, dédaigneusement, appellent des poulettes. Les femmes de Saint-Père et celles du marais de Dol portent des coiffes plates sans crête, avec les bandeaux relevés en "huit de chiffre"; celles de Plouër se distinguent par la coutume, toute particulière et très antique, de détacher et de laisser tomber les barbes de leurs coiffures lorsqu'elles vont à l'église, ce qui figure une sorte de voile de nonne, d'une signification austère et religieuse. Ajoutez enfin, pour compléter le costume férié, un livre de messe à fermoir, où plus d'une qui cérémonieusement le tient du bout des doigts serait, on le sait,  fort en peine de le lire!...
Aux champs, toute la semaine, on est plus simple: lourds jupons de bure tissée de fil et de laine mêlés, bon gros sabots bretons, à pointe relevée; et, quand il fait de la pluie, la large devantière de futaine, détachée de la ceinture, se noue sur la tête en façon de capuce ou, si vous aimez mieux, de petit manteau écourté.

(1) C. Delon, Le Mal du pays.

Les Peuples de la terre, Ch. Delon, librairie Hachette et Cie, 1890.

* Nota de Célestin Mira:

La gwerz de Penmarc'h raconte le naufrage d'un bateau survenu au large de Penmarc'h. A Penmarc'h sévissaient aussi les naufrageurs qui allumaient des feux au clocher de l'église afin de les attirer sur les récifs.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire