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jeudi 21 décembre 2017

Hôtel de ville de Saint-Quentin.

Hôtel de ville de Saint-Quentin.


L'origine de la ville de Saint-Quentin est obscure: est-elle ou n'est-elle pas l'ancienne Samarobrive de l'époque gauloise? c'est ce que nous ne pouvons décider, c'est ce que n'ont pas encore expliqué les vingt ou trente brochures que cette question a fait naître. Les uns assurent que le nom de Samarobrive appartient à la ville d'Amiens, d'autres à celle de Vermand, d'autres enfin donnent le nom à Saint-Quentin. Si nous avions à opter entre ces trois hypothèses, nous adopterions la dernière; elle paraît résulter des Commentaires de César.
L'empereur Auguste ayant placé une colonie à Saint-Quentin, nomma cette ville Augusta Viromanduorum; sous ce dernier nom, elle devint la capitale de la Gaule Belgique. Après la chute de l'Empire, les Vandales, les Huns et les Francs l'envahirent tour à tour. Ouverte à toutes les incursions auxquelles elle n'avait à opposer que des haies, de mauvaises terrasses et un gouvernement sans protection, elle cède aux Barbares qui ne lui laissent pas pierre sur pierre.
Sous la première race des rois de France, le Vermandois, dont Saint-Quentin était la capitale, reçut un comte qui y fit sa résidence; l'exercice de l'administration politique fut placé dans ses mains, sous la seule charge du service militaire envers le roi.
A toutes les époques de la monarchie, la ville de Saint-Quentin a joué un rôle glorieux; sous Philippe-Auguste, elle arma de bonnes batailles de lances qui se distinguèrent auprès du preux monarque à Bovines: un habitant de Saint-Quentin, Wallon de Montigny, portait l'oriflamme, et Philippe VI adopta en 1330, pour garder sa personne royale, les arbalétiers et pavésiens de ladite ville.
Vers la fin du XVe siècle, l'empereur Maximilien la fit surprendre par un millier d'hommes bien armés; Frédéric de Horn, seigneur de Montigny, les commandait; déjà, ils avaient pénétré dans les murs de la cité, mais bientôt la population les repousse: la plupart d'entre eux périssent, les autres prennent la fuite. Cependant, Saint-Quentin, quel que fût le courage de ses habitants, fut prise en 1557, sous le règne de Henri II. Soixante mille Espagnols, Flamands, Allemands, Anglais et Écossais, ayant pour chef le duc de Savoie, représentant le roi d'Espagne Philippe II, s'en emparèrent après vingt-cinq jours de tranchée ouverte. Rien ne put la sauver, ni le connétable de Montmorency, d'une si puissante renommée militaire, ni l'amiral Coligny, ni le brave et courageux Dandelot, plus tard brillant capitaine des Calvinistes dans les guerres religieuses, et qui, à travers les lignes ennemies et les marais de Rocourt, avait conduit cinq cents hommes à la garnison. La malheureuse cité éprouva tous les désastres; elle fut pillée, ravagée, saccagée comme au temps des invasions du Ve siècle. Les Anglais enlevèrent tous les ornements et les vases sacrés de la grande église; les Espagnols prirent les tapisseries d'or qui reproduisaient l'histoire du martyre de Saint-Quentin: Philippe II en orna les vastes galeries de l'Escurial, somptueux monastère qu'il élevait à sa victoire. La ville fut dépeuplée à ce point qu'il n'y resta que deux habitants; l'histoire a conservé leur nom: l'un, simple ouvrier, s'appelait Penquoy; l'autre, clerc bien famé, se nommait Simon. Le dévouement héroïque de la cité de Saint-Quentin, dans cette circonstance mémorable, a été célébré par le poète Santeuil. On lit encore aujourd'hui six vers latins, gravés en lettre d'or sur un marbre noir attaché au frontispice de l'Hôtel de Ville.
Dans les longues guerres de religion sous François II et Charles IX, lorsque sous Henri III la ligue forme un gouvernement à part, séparé de la royauté, Saint-Quentin reste fidèle à la dynastie des Valois; en vain Jean de Montluc cherche à s'en emparer; il échoue. A peine s'est-il retiré, les majeurs, échevins et bourgeois se réunissent en l'Hôtel-de Ville, et signent unanimement la déclaration suivante:
"Nous jurons de nous maintenir et conserver sous l'autorité et obéissance de notre roi très-chrétien suivant les commandements de Dieu et de son Eglise, et d'employer nos vies et moyens pour nous opposer à ceux qui voudraient distraire, par quelque voie ou quelque manière que ce soit, de l'obéissance et fidélité que nous devons à notre Dieu, à l'Eglise romaine son épouse, et à notre foi; et d'assister de nos forces, vivres et moyens, les villes unies et qui s'uniront avec nous en cette sainte, chrétienne et catholique résolution."
Après la mort de Henri III, Saint-Quentin ouvrit ses portes à Henri IV; on lui prépara en l'Hôtel-de-Ville une excellente collation, et lorsque les officiers de bouche vinrent pour goûter les mets, Henri s'y opposa: "Je n'ai rien à craindre en si bonne compagnie, s'écrie-t-il, d'autant que je suis avec mes meilleurs amis." 
Quelque années plus tard, on répand le bruit qu'une formidable citadelle menacera bientôt les murs de Saint-Quentin; les magistrats font d'humbles remontrances à Sa Majesté; Henri IV se rend dans la ville, et déclare "que ce ne fut que oncques et n'était son intention ni volonté de faire bâtir ou construire aucune citadelle ni place forte au préjudice de la ville; et que pour toute citadelle, il ne voulait que la fidélité engravée au coeur de tous ses bons sujets et habitants de ladite ville, lesquels il tenait pour ses très-fidèles amis et serviteurs, pour leur très-grande et singulière constance au service de la couronne de France." 
Depuis cette époque, l'histoire de Saint-Quentin n'offre rien de saillant: elle se lie à celle de la monarchie, centralisée par la main puissante de Richelieu, et plus tard par Louis XIV.
La ville de Saint-Quentin est bâtie au sommet et sur le penchant d'une vaste colline, au bas de laquelle coule la Somme. Depuis 1732, le canal de Picardie l'environne d'une demi-ceinture plantée de beaux arbres, dans toute la partie de l'est; elle est ouverte par trois faubourgs qui conduisent à Cambrai et au Cateau, à Guise et à La Fère, à Ham et à Péronne. Naguère un rempart de 1.500 toises de circonférence entourait la cité; six bastions, ouvrages des règnes de Louis XIII et Louis XIV, la protégeaient; de nos jours, la démolition s'est emparée de  tous ces vieux débris: à peine quelques fragments sont debout. Saint-Quentin est pour ainsi dire dépourvue d'antiquités: la cathédrale, si ancienne, où se conservent les pieuses reliques du martyr qui a donné son nom à la ville; l'église Saint-Jacques et l'Hôtel-de-Ville, sont les seuls édifices épargnés de la destruction.
"Quoique irrégulières, les rues principales de Saint-Quentin sont larges et bien percées, dit un écrivain moderne; quoique imprégnées du mauvais goût et de l'esprit d'économie des temps anciens, quelques-unes sont assez bien bâties. Le dernier siècle y a mis quelques beaux édifices; le siècle actuel, des maisons de quelque magnificence. La grande place, presque au centre, peut passer pour un monument; au milieu d'une des quatre façades, un Hôtel-de-Ville, porté sur huit colonnes de grès formant arcades et galeries, surmonté d'une lanterne circulaire et à jour, avec un carillon et une horloge, déploie des formes singulièrement antiques, bien que né à une époque où l'architecture en France commença à prendre ces nobles formes que nous admirons dans les monuments de François 1er: c'était en 1509.



Hôtel-de-Ville de Saint Quentin.

Il contraste aujourd'hui avec la jeunesse des maisons particulières dont il est environné, et cette circonstance semble ajouter quelque chose au respect qu'inspire le vieux monument. En face et au milieu de la place, un puits, remarquable par sa vaste circonférence et par sa construction légère, appelle l'attention.
Derrière la place, mais à une très-petite distance, et également en regard de l'Hôtel-de-Ville, s'élève, attachée à l'ancienne église paroissiale de Saint-Jacques, une tour carrée, lourde bien que moderne, avec un petit donjon octogone que la ville a fait placer sur son couronnement pour servir de beffroi. Un chanoine de Saint-Quentin, Charles de Bovelles, fit en 1510, sur l'année de la construction de l'Hôtel de Ville, la bizarre énigme suivante:

D'un mouton et de cinq chevaux
Toutes les têtes prenez.                                                 M. CCCCC.
Et à icelles, sans nuls travaux
La queue d'un veau joindrez                                                   V
Et au bout ajouterez
Les quatre pieds d'une chatte;                                             IIII
Rassemblez, vous apprendrez
L'an de ma façon et ma date.                                       M, CCCCC, VIII

Déjà au XIIe siècle Saint-Quentin avait adopté une branche spéciale d'industrie; on fabriquait dans les corporations le drap et la sayette. Philippe le Long institua une foire franche, et par lettres patentes la fixa au jour de saint Denis. Les relations commerciales étaient alors bien précaires, et pendant plus de trois cents ans, Saint Quentin resta dans sa laborieuse obscurité industrielle. Dans le XVIe siècle, des fabriques de toiles de lin descendues de la Hollande en Belgique, et de la Belgique à Valenciennes et à Cambrai, arrivèrent à Saint Quentin avec une famille flamande. Des établissements se formèrent bientôt, et en 1595, époque de leur naissance, ils brillaient d'un vif éclat et d'une merveilleuse prospérité. Aujourd'hui Saint-Quentin met en oeuvre, au moyen d'environ six mille ouvriers, un quart en hommes, la moitié en femmes, et un quart en enfants, le quarantième des cotons que la France reçoit chaque année. Les filatures de Paris, de Lille et de Roubaix fournissent aussi une quantité considérable de leurs produits aux fabriques de Saint Quentin, et près de quinze cents personnes sont employées au blanchiment des toiles et aux apprêts des étoffes de coton.

                                                                                                                             A. Mazuy.

Le Magasin universel, septembre 1837.                                                  

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