Les traditions de la place Maubert. (part III)
La fontaine, le violon et le marché.
Au seul nom de Carmes s'éveille en nous l'idée de moines gros, gras et fleuris, à panse proéminente, ayant inventé l'alccolat "eau de mélisse" dont on débite encore des millions de flacons. Cette eau n'est qu'une tradition druidique, remède populaire, ainsi que le sélage ou herbe d'or de la fée Koridwen.
L'histoire de l'ordre des Carmes les montre sous un double aspect.
A la fin du treizième siècle, ils étaient pauvres, préoccupés avant tout des choses de la religion et de l'enseignement, avec des tendances larges et hardies. Chacun les citait, alors, pour l'austérité de leurs vies, les rigueurs de leurs cloîtres, leurs longs jeûnes, leur silence absolu, leurs continuelles prières.
Jean de Venette, prieur des Carmes, à Paris, troisième continuateur de Nangis, s'était distingué en défendant les droits du peuple opprimé, et les hommes qui aspiraient à un gouvernement libre, en se faisant l'apôtre de la moralité, du courage civil et de la justice, dans la première moitié du quatorzième siècle. Habile chroniqueur et prédicateur, Jean de Venette était faible romancier et poëte; dans son roman des Trois Maries, en rimes françaises, on peine à compter deux bons vers sur quarante mille.
Plus tard, sous la Ligue, un autre carme joua un rôle important, mais tout différent. Il se nommait Simon Fillieul, et prêcha contre Henri IV. "Lors même que le Béarnais, disait-il, aurait bu toute l'eau de Notre-dame, sa conversion serait encore douteuse... Il faut se défaire de ce Judas, et quelque bonne dame Judith devrait sauver la France par un coup du ciel, et la débarrasser d'un coquin, d'un tyran auquel on aurait raison de préférer le Turcq."
Un peu plus tard, les Carmes prouvèrent leur grande supériorité dans les sciences. Quelques uns, travailleurs infatigables, s'acquirent une renommée européenne.
Tel Jean Truchet, dit le Père Sébastien, dont Fontenelle a écrit l'éloge, et sur lequel nous connaissons l'anecdote suivante:
Le roi d'Angleterre, Charles II, avait envoyé au roi de France, Louis XIV, deux montres à répétition, les premières qu'on ait vu dans notre pays.
Ces montres ne se pouvaient s'ouvrir qu'au moyen d'un secret; précaution des ouvriers anglais pour cacher la nouvelle construction, pour s'en assurer d'autant plus la gloire que le profit.
Mais tout à coup les montres se dérangèrent. On les remit bien vite entre les mains de Martineau, horloger du roi, de Martineau réputé fort expert dans sa profession.
L'horloger chercha, sans y parvenir, à ouvrir les deux montres. Sa science de la mécanique demeura en défaut. Donc Martineau ne put travailler; il s'avoua vaincu à Colbert.
- Il n'existe, dit-il au grand ministre, qu'un jeune Carme qui soit capable d'ouvrir ces montres. S'il n'y réussit pas, il faudra se résoudre à les renvoyer en Angleterre.
Cette dure extrémité chagrinait le patriotisme de Colbert, qui permit à Martineau de confier les précieuses montres au Père Sébastien.
Ce Carme, habile mécanicien, les ouvrit assez promptement; de plus, il les raccommoda en perfection, sans savoir qu'elles appartenaient à Louis XIV.
Les courtisans crièrent au prodige. Le roi donna au Père Sébastien six cents livres de pension et quarante pièces de marbre pour ses travaux de mécanique.
Ces marbres servirent pour le maître-autel des Carmes. On l'a vu précédemment.
Le couvent bornait, au midi, la place Maubert dont la forme était oblongue; de même le marché bâti sur l'emplacement des Carmes, par Thomas Vaudoyer en 1813, et inauguré le 15 février 1819, la borne aujourd'hui.
D'après le beau plan de La Caille, il avait une fontaine bâtie, en 1674, au milieu de la place avec les matériaux d'une fontaine plus ancienne, construite près du couvent des Carmes, et qui en porta le nom jusqu'en 1674, époque de sa destruction.
Ces vers latins, de Santeuil, s'y trouvaient inscrits:
Jean de Venette, prieur des Carmes, à Paris, troisième continuateur de Nangis, s'était distingué en défendant les droits du peuple opprimé, et les hommes qui aspiraient à un gouvernement libre, en se faisant l'apôtre de la moralité, du courage civil et de la justice, dans la première moitié du quatorzième siècle. Habile chroniqueur et prédicateur, Jean de Venette était faible romancier et poëte; dans son roman des Trois Maries, en rimes françaises, on peine à compter deux bons vers sur quarante mille.
Plus tard, sous la Ligue, un autre carme joua un rôle important, mais tout différent. Il se nommait Simon Fillieul, et prêcha contre Henri IV. "Lors même que le Béarnais, disait-il, aurait bu toute l'eau de Notre-dame, sa conversion serait encore douteuse... Il faut se défaire de ce Judas, et quelque bonne dame Judith devrait sauver la France par un coup du ciel, et la débarrasser d'un coquin, d'un tyran auquel on aurait raison de préférer le Turcq."
Un peu plus tard, les Carmes prouvèrent leur grande supériorité dans les sciences. Quelques uns, travailleurs infatigables, s'acquirent une renommée européenne.
Tel Jean Truchet, dit le Père Sébastien, dont Fontenelle a écrit l'éloge, et sur lequel nous connaissons l'anecdote suivante:
Le roi d'Angleterre, Charles II, avait envoyé au roi de France, Louis XIV, deux montres à répétition, les premières qu'on ait vu dans notre pays.
Ces montres ne se pouvaient s'ouvrir qu'au moyen d'un secret; précaution des ouvriers anglais pour cacher la nouvelle construction, pour s'en assurer d'autant plus la gloire que le profit.
Mais tout à coup les montres se dérangèrent. On les remit bien vite entre les mains de Martineau, horloger du roi, de Martineau réputé fort expert dans sa profession.
L'horloger chercha, sans y parvenir, à ouvrir les deux montres. Sa science de la mécanique demeura en défaut. Donc Martineau ne put travailler; il s'avoua vaincu à Colbert.
- Il n'existe, dit-il au grand ministre, qu'un jeune Carme qui soit capable d'ouvrir ces montres. S'il n'y réussit pas, il faudra se résoudre à les renvoyer en Angleterre.
Cette dure extrémité chagrinait le patriotisme de Colbert, qui permit à Martineau de confier les précieuses montres au Père Sébastien.
Ce Carme, habile mécanicien, les ouvrit assez promptement; de plus, il les raccommoda en perfection, sans savoir qu'elles appartenaient à Louis XIV.
Les courtisans crièrent au prodige. Le roi donna au Père Sébastien six cents livres de pension et quarante pièces de marbre pour ses travaux de mécanique.
Ces marbres servirent pour le maître-autel des Carmes. On l'a vu précédemment.
Le couvent bornait, au midi, la place Maubert dont la forme était oblongue; de même le marché bâti sur l'emplacement des Carmes, par Thomas Vaudoyer en 1813, et inauguré le 15 février 1819, la borne aujourd'hui.
D'après le beau plan de La Caille, il avait une fontaine bâtie, en 1674, au milieu de la place avec les matériaux d'une fontaine plus ancienne, construite près du couvent des Carmes, et qui en porta le nom jusqu'en 1674, époque de sa destruction.
Ces vers latins, de Santeuil, s'y trouvaient inscrits:
Qui tot venales populo locus exhibit escas,
Sufficit et faciles, ne sitis urat, aquas.
Traduisez:
"Cette place où l'on vend aux citoyens des denrées de toute espèce, fournit aussi, mais gratuitement, une eau limpide pour étancher leur soif."
Un certain poëte français, nommé Bosquillon, imita ce distique en quatre pauvres vers:
Pour vous sauver de la faim dévorante,
Si dans ces lieux, on vous vend des secours,
Peuples, chez moi, contre la soif brûlante,
Sans intérêt, vous en trouvez toujours.
Tout à côté de la fontaine s'élevait un corps de garde du guet à pied.
Sous l'Empire, en 1806, l'architecte Jean Rondelet et exécuta une autre fontaine, , dont la forme présentait une petite masse carrée, ayant sur sa façade principale une table cintrée, un peu en saillie, qui renfermait un mascaron de bronze, d'où l'eau tombait dans une cuvette semi-circulaire, eau de Seine provenant de la pompe de Notre-Dame et de la pompe à feu du Gros-Caillou.
Cette fontaine était adossée au corps de garde, lequel avait quatre colonnes de façade avec un fronton.
Sur le fronton, nous avons pu lire encore, après la révolution de juillet 1830, la devise bourgeoise: LIBERTÉ, ORDRE PUBLIC. Mais, en 1840, selon le graveur Martial, il n'y eut plus de fronton. Le corps de garde devint excessivement simple. Il était recouvert d'un toit de tuiles.
Comme dans toutes les constructions qui se rapportent à la police, on y voyait un violon, c'est à dire une petite prison où l'on déposait des gens arrêtés le soir pour qu'ils y passassent la nuit, en attendant que l'autorité prononçât le lendemain si leur emprisonnement préventif devait être ou non maintenu.
Je vous laisse à penser la quantité de gaillards qui couchèrent au violon de la place Maubert, depuis son origine jusqu'à se disparition, qui précéda l'ouverture du boulevard Saint-Germain. Bien souvent, des gens sans asile sollicitèrent leur admission au poste, afin d'échapper au sort des vagabonds.
La foule se pressa en ce lieu, à toutes les époques. Elle y grouillait et bruissait.
Les uns se rendaient au marché; les autres conduisaient des chevaux à un abreuvoir situé au bout de la rue du pavé; d'autres couraient, en 1779, prendre sur cette place des fiacres ou des brouettes; d'autres, en 1784, allaient déposer leur correspondance dans une des quarante-six boîtes aux lettres de Paris, située sur la place Maubert; d'autres, enfin, venaient donner de l'ouvrage aux écrivains publics. Toute la population de la Ville, ainsi s'appelait la rive droite, y passait pour se rendre à la foire Saint-Victor.
Au dix-huitième siècle, ce n'était que maquignons, marchands ou loueurs de chevaux, flânant le soir sur le pavé ou buvant dans les cabarets. A cause de la proximité de la Seine, les lavandières s'étaient fixées dans la rue qui porte encore ce nom. Au quai Saint-Bernard, les Parisiens allaient faire leurs provisions de bois à brûler. Nous lisons, au bas d'une vue de ce quai par Israël Silvestre:
Au dix-huitième siècle, ce n'était que maquignons, marchands ou loueurs de chevaux, flânant le soir sur le pavé ou buvant dans les cabarets. A cause de la proximité de la Seine, les lavandières s'étaient fixées dans la rue qui porte encore ce nom. Au quai Saint-Bernard, les Parisiens allaient faire leurs provisions de bois à brûler. Nous lisons, au bas d'une vue de ce quai par Israël Silvestre:
Lorsque d'un rude hiver nous ressentons l'outrage,
Et qu'au foyer le feu n'a de quoy se nourrir,
Icy l'on voit venir les forests à la nage;
Et le port Saint-Bernard nous peut seul secourir.
(A suivre)
Augustin Challamel.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.
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