Le carroccio.
Dans les républiques italiennes du moyen âge, le drapeau était remplacé par un char monté sur quatre roues et traîné par quatre paires de bœufs. Ce char était peint en rouge, les bœufs qui le traînaient étaient couverts des pieds à la tête de tapis également rouges; un globe doré le surmontait, et au-dessus, entre deux voiles blancs, brillait l'étendard de la commune.
Plus bas, vers le milieu du mât, un Christ, les bras étendus en croix, semblait bénir l'armée. C'est près de lui que se tenaient les conseils de guerre, que se gardaient la caisse militaire, la pharmacie et le butin.
Il fallait un décret public pour le faire sortir de la ville, et dans ce cas, il devait toujours être accompagné de vétérans armés de lances et de hallebardes.
Sur le devant du du carroccio se trouvait une espèce de plate-forme, garnie des soldats les plus braves et les plus vaillants, qui devaient mourir plutôt que déserter leur poste; an arrière; sur une autre plate-forme, étaient établis des musiciens avec des trompettes. Enfin le carroccio servait d'autel, et un chapelain attaché à son service et le suivant partout y célébrait les saints offices.
Aussi le carroccio était-il pour les citoyens de chaque ville ce que l'arche sainte était pour les Hébreux, une sorte de palladium saint à la conservation duquel on attachait un grand prix. Sa perte était considérée comme la plus grande ignominie qui pût arriver à une ville, et sa garde confiée à l'élite de l'armée. Il devenait le centre de tous les efforts, le but de toutes les luttes; il était plus que l'aigle des Romains et que le drapeau des armées modernes. Eribert, archevêque de Milan, avait eu en l'inventant une idée assez heureuse: il avait voulu donner de la stabilité à l'infanterie, composée des bourgeois de la ville, et la rendre capable de résister à la cavalerie formée uniquement de gentilshommes. L'infanterie, obligée de subordonner ses mouvements à ceux du carroccio qui n'allait pas vite, acquit plus de poids et de confiance en elle-même; placée entre l'alternative de la bravoure ou de la honte, elle prit le part d'être héroïque.
De tous les carroccio, le plus renommé était celui de Florence; une cloche nommée Martinella le surmontait. Les Florantins voulaient-ils déclarer la guerre à un de leurs voisins, ils conduisaient le carroccio aussi loin que possible dans la direction de ce pays, puis sonnaient la Martinella, un mois durant, jusqu'à ce que leur ennemi se fût mis sur la défensive. C'est un acte de courtoisie peu usité entre belligérants. Le carroccio de Florence fut pris à la fameuse bataille de Monte-Aperti, livrée par les Siennois aux Florentins, le 4 septembre 1260; tous ceux qui étaient chargés de sa garde se firent tuer sur ses marches. Cette défaite consacra la ruine du parti guelfe et de la démocratie florentine. L'invention de l'artillerie fut la ruine du carroccio, qui n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir historique.
Alfred d'Ottens.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.
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