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mercredi 5 juillet 2017

Les trésors de la librairie française.

Les trésors de la librairie française (1).



Nous avons à plusieurs reprises entretenu nos lecteurs de l'exposition rétrospective du costume, qui a eu lieu dernièrement au palais de l'Industrie, et qui vient de se terminer ces jours-ci. Voici un ouvrage qui en est comme le résumé, et qu'on croirait presque inspiré par cette exhibition, si l'on ne savait les longues années de veilles et de recherches qu'il a demandé à son auteur. Ceux qui n'ont pas vu cette exposition, la trouveront dans ce livre bien plus complète et bien plus variée; ceux qui ont pu la visiter y découvriront nombre de documents importants sur les premiers siècles de notre histoire. Ses gravures ne sont que la reproduction de pièces historiques, telles que statues, bas-reliefs, miniatures, manuscrits, portraits et gravures: quant au texte, qui est des plus savants, il suit pas à pas l'histoire du costume, note ses variations, donne les origines et les transformations diverses de chaque partie de l'habillement. Nous croyons être utiles à nos lecteurs en leur signalant ce livre curieux et intéressant pour tous, mais surtout d'une importance exceptionnelle pour les artistes, auxquels il épargnera de longues recherches.
Le costume n'est point l'effet du caprice ou de la fantaisie; tout au plus pourrait-on dire cela de la mode, dont le domaine n'embrasse que les parties accessoires de l'habillement. Le costume, lui, a des lois générales auxquelles il obéit; la meilleure preuve, c'est que les Arabes, qui ont changé de religion, n'ont pourtant pas changé leur manière de se vêtir. Chez eux, en effet, les conditions du climat et de la vie sociale sont restées les mêmes, malgré l'introduction de l'islamisme. Chez nous, il n'en a pas été de même; notre organisation sociale a été plusieurs fois modifiée, et notre costume a obéit à la même impulsion.
La conquête romaine apporte un premier changement dans la manière de se vêtir; alors paraît le costume gallo-romain. Vient ensuite l'invasion des Francs qui amène une nouvelle modification. L'état de guerre perpétuelle dans laquelle vit l'Europe, les croisades donnent naissance à un costume approprié à ce genre de vie. L'invention de l'artillerie ne révolutionne pas moins le costume que l'art de la guerre. Plus besoin de ces lames de fer qui recouvraient le corps d'une cuirasse impénétrable aux coups de lance, mais défense illusoire contre les boulets; le goût des costumes de soie et de velours, seuls résultats de nos guerres d'Italie, devient général, et cette manière de se vêtir subsistera durant trois siècles, subissant tantôt l'influence italienne, tantôt l'influence espagnole, tantôt l'influence anglaise. Avec la Révolution française, nouvelle et plus radicale transformation du costume, qui se simplifie et qui, aux couleurs brillantes, fait succéder le noir, que, jusqu'à cette époque, on avait réservé pour le deuil.
Ce ne sont là que les grandes lignes. Quelle variété infinie dans les détails, que de choses piquantes à noter en passant! Voulez-vous savoir quel était le prix de la soie sous Dioclétien? lisez son édit, et vous y verrez que la soie blanche coûtait 620 francs la livre, et la soie teinte en pourpre de Tyr 9.300 francs. L'empereur Aurélien répondait à sa femme, qui lui demandait un pallium de cette soie pourpre: "Pas de ces habits dont chaque fil vaut son pesant d'or". Que devaient faire les femmes et surtout les pauvres maris de cette époque?
Vous croyez que l'usage pour les femmes d'aller les bras nus est d'invention récente: erreur! Les Germaines allaient toujours ainsi, et cette habitude était si générale que, pour les protéger contre les attouchements indiscrets, la loi salique prononçait une amende de 3.250 francs contre celui qui avait touché le bras d'une femme libre. On ne payait pas davantage pour voler deux bœufs; et il en coûtait moitié moins pour faire violence à une femme serve.
Si l'on veut comparer le luxe de Charlemagne à celui de Louis XIV, on peut le faire à l'aide de l'anecdote suivante. Ce prince était très-simple, tout en sachant se montrer magnifique; il ne partageait nullement cette opinion que le luxe d'une cour entretient la richesse de la nation. Aussi, ne l'aimait-il pas plus chez les autres que chez lui, et regardait-il comme une absurdité les étoffes de soie et les plumes chez des hommes qui menaient la rude vie de guerriers et de chasseurs. Dans une chasse, les seigneurs qui l'accompagnaient s'étaient accoutrés de justaucorps en plume de paon et de flamant, tandis que lui n'avait que son roque en peau de mouton. Pour leur donner une leçon, il les engagea malicieusement dans les fourrés; les branches et les épines enlevèrent les plumes et firent des accrocs à ces tissus délicats. Survint la pluie, et le roi, au lieu de donner le signal du retour, retint toute sa compagnie, afin de la laisser se mouiller. rentré au palais, il la retint encore près de lui et ne permit à personne d'aller se changer. Enfin il congédia ces pauvres gens morfondus et gelés, leur enjoignant de se représenter le lendemain avec le même habit; Ils vinrent ainsi accoutrés, avec leurs vêtements flétris et en lambeaux. Alors Charlemagne leur montrant sa peau de mouton, à laquelle un coup de peigne avait rendu sa fraîcheur: "Cet habit, leur dit-il, m'a coûté un sou; comparez-le aux vôtres, que vous avez payés des centaines de livres, et dites-moi si vous n'êtes pas des fous".
Quant aux femmes de son temps, voici comment elles s'habillaient: elles portaient deux robes et un manteau posé sur la tête en guise de voile. 



La robe de dessus, munie de larges et courtes manches, était flottante, coupée assez souvent à mi-jambe et laissant voir la robe de dessous traînante à manches plates. La décoration consistait en pièces rondes sur le fond, en limbe sur les bords, et en un large clavé orné de broderies. Les souliers de couleur étaient galonnés en dessus; une ceinture soutenait la taille; et enfin le pallium, converti en voile, couvrait la tête: cet usage était obligatoire.
Voulez-vous un autre costume curieux? Regardez la gravure ci-dessous, représentant Jeanne d'Arc d'après la tapisserie du musée d'Orléans: c'est la seule image contemporaine que l'on connaisse d'elle. 



Nous la voyons au moment où elle arrive auprès de Charles VII, entre son archer et un page qui porte sa lance. Elle n'a sur le corps qu'un pourpoint couvert d'une tunique déchiquetée. Sa coiffure est un heaumet sans visière, entouré d'une cornette; sur le devant de celle-ci est attaché un joyau surmonté d'une aigrette. Elle tient à la main son étendard. Ce costume était magnifique pour l'époque. Cette magnificence était une nécessité de la situation, car si la Pucelle n'avait pas été habillée somptueusement, la multitude ne l'eût pas réputée chef de guerre, et elle n'eût pas pris sur les troupes l'ascendant qu'elle exerça pour le bien de la France. Puis il était dans le goût de la jeune guerrière, car Jeanne était femme entre tout, et sa coquetterie lui fut même reprochée. Lorsqu'on apprit sa captivité à la cour de Charles VII, quelques personnages importants eurent assez peu de cœur pour dire qu'elle n'avait que ce qu'elle méritait, parce qu'elle était devenue orgueilleuse en habits.
Si la femme qui tenait le moins des faiblesses de son sexe en gardait le goût pour la parure, que dire des autres qui s'abandonnaient sans contrainte à leur propension naturelle? En France, il n'y eut jamais besoin, comme à Athènes, de nommer des magistrats chargés de prononcer une amende contre les femmes négligées dans leur habillement; c'est le contraire qui eut lieu, et à chaque instant nos rois se virent forcés de faire des lois somptuaires. Aussi cet ouvrage est-il un peu l'histoire de la coquetterie féminine en France, qui est restée la même à travers toutes les transformations des costumes. Le quatrain suivant, cité par M. Quicherat, pourrait servir d'épigraphe à ce curieux volume:

Habit gros vert ou gris de lin
Ou d'autres couleurs mélangées;
Culotte, gilet de basin; 
Les têtes ne sont point changées.

                                                                                                                Adrien Desprez.



(1) J. Quicherat. 1 vol. grand in-8, illustré de 481 gravures. (Librairie Hachette)

Le Musée universel, revue hebdomadaire illustrée, premier semestre 1874.

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