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mercredi 12 juillet 2017

Bibliothèque de Strasbourg.

Bibliothèque de Strasbourg.
    Manuscrit de l'Hortus deliciarum.



Parmi les pertes irréparables que les bombes prussiennes ont causées à la ville de Strasbourg, il faut mettre en première ligne celle d'un manuscrit très-curieux à tous les points de vue, qui portait le titre de Hortus deliciarum, le jardin des délices, et qui était l'oeuvre de l'abbesse Herrade de Landsberg. Cette femme, distinguée par sa naissance et par son esprit, sortait de la noble famille alsacienne de Landsberg; fut placée au monastère de Hombourg, fondé par sainte Odile, elle fut formée par l'abbesse Relinde, qui avait une grande réputation de savoir et de piété, et elle ne tarda pas à lui succéder dans une place pour laquelle la désignaient son illustre origine aussi bien que ses vertus. Ce fut alors qu'elle entreprit de composer un ouvrage pour l'instruction et l'édification des religieuses confiées à ses soins. Comme tous les ouvrages de cette époque, il forme une sorte de compilation encyclopédique, dans laquelle se trouvent réunis les préjugés, les erreurs, les croyances du temps. C'est l'oeuvre d'une époque barbare et crédule, mais curieuse et avide d'instruction.
Un élève de l'Ecole des Chartes, M. Alexis Noble, a consacré à ce manuscrit une étude longue et détaillée. Voici en quelques lignes le résumé de son travail sur les diverses parties  qui composaient l'Hortus deliciarum.
Ce manuscrit comprenait trois cent vingt-quatre feuillets, ou six cent quarante-huit pages grand in-folio; il était écrit sur vélin en beaux caractères, et dans le latin en usage au douzième siècle. Il était en outre orné d'une foule de peintures assez correctes et parfois très-élégantes. Le texte se composait en majeure patrie de citations tirées de l'Ancien et Nouveau Testament de saint Augustin, de saint Isidore, de saint Grégoire, de saint Léonard, de saint Irénée, de Bède, de saint Romain, et de la plupart des Pères de l'Eglise, citations faites avec une exactitude parfaite et que la pieuse abbesse avait probablement tirées des manuscrits du même genre composée avant elle. Après ce texte sacré, venaient des dissertations sur la cosmographie, la chronologie, l'astronomie, la géographie, la mythologie, l'agronomie, et sur une foule d'autres sciences; ces dissertations étaient pour la plupart empruntées à un recueil intitulé Aurea gemma, qui a beaucoup de rapport avec le livre De imagine mundi, d'Honorius d'Autun.
Après la préface, venaient des chapitres traitant: Des Anges, de Dieu créateur, des dix noms de Dieu, de Dieu et de la création du monde, de la propriété et de l'incommutabilité de Dieu. Une sphère, tracée plus loin, donnait les idées de l'époque sur la configuration de notre globe, qui était divisé en cinq zones, deux habitables et trois inhabitables. Herrade donnait ensuite les noms des douze vents. Après, venait l'image de l'homme nouvellement créé, sa tête rayonnante était entourée des sept planètes alors connues; ses bras était étendus, ses jambes renfermées dans un cercle. La terre était représentée comme un monticule sur lequel broutait une chèvre; enfin l'eau, l'air et le feu figuraient aux quatre coins de ce tableau, pour montrer leur grande influence sur l'homme.
On voyait ensuite le premier homme et la première femme, Adam labourant et Eve filant au fuseau; puis les divers événements de l'Ancien Testament. Comme dans tous les ouvrages de l'époque, le profane se mêlait au sacré, et auprès des femmes de la Bible se trouvaient les neuf Muses en costumes du treizième siècle. Les allégories représentées par le pinceau abondait aussi. Une des plus curieuses était celle de la philosophie et des sept arts libéraux. La figure principale portait trois têtes surmontées de ces trois noms: ETHICA, LOGICA, PHYSICA. Les autres figures représentaient, avec des attributs analogues, la grammaire, la rhétorique, la dialectique, la musique, l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie. Tout cela en costume du temps: ainsi Loth, Esau et Jacob portaient des gants; la vierge Marie et les saintes femmes, qui accompagnaient Jésus au calvaire, étaient habillées en religieuses.
Les allégories, les paraboles, avaient fourni l'occasion de peintures très-curieuses. Ainsi, un jeu intitulé Ludus monstrorum se trouvait figuré à la page 215 du manuscrit. Deux hommes, séparés par une table, tenaient à la main l'extrémité de deux cordes sur lesquelles étaient suspendues deux petites poupées, costumées en chevaliers et armés de pied en cap, qui se battaient entre elles par suite du mouvement que les deux joueurs donnaient à la corde, en la tirant à eux ou en la lâchant. Cette gravure semble être une épigramme contre les tournois.
Une allégorie également très-ingénieuse, c'est celle des trois syrènes: l'une chantait, l'autre jouait de la flûte, la troisième pinçait de la harpe. Dans le premier tableau, les syrènes endormaient par leurs chants l'équipage d'un vaisseau; dans le second, elles sautaient à bord du vaisseau et massacraient les imprudents nautonniers; dans le troisième, Ulysse arrivait dans sa barque conduite par un marin, et se faisait attacher au mât ainsi que ses compagnons.
Une histoire de l'Eglise et un traité de morale succédait à ces allégories. Dans ce traité, se trouvent des axiomes comme le suivant: l'Eglise est un corps dont les paysans sont les pieds, et dont les soldats sont les bras; les laboureurs qui ne payent pas la dîme sont menacés de la grêle, de la peste et de la sécheresse. Il y avait aussi un poëme contre l'usure et la simonie.
Des séries d'enluminures représentaient un lépreux rendu à la santé par Dieu, qui lui jette de l'eau bénite avec un goupillon; la cour céleste ou la sainte cité, avec la foule des bienheureux étagés sur neuf degrés; la conflagration des cieux et du monde, le jugement dernier, l'enfer, la tentation de saint Antoine, qui a inspiré Callot.
De là, on passe à un catalogue chronologique des papes, à des calendriers, à des cantiques, à de la musique notée suivant la méthode de Gui d'Arrezo; à un commentaire explicatif des douze mois de l'année, et finalement au portrait de Herrade et de la plupart de ses compagnes, dont le nom se trouve inscrit au-dessus de leur tête.
Ce manuscrit, auquel Herrade travailla de 1159 à 1175, renfermait des notions très curieuses sur les idées du douzième siècle; mais sa partie la plus originale était celle des peintures qui représentaient fidèlement le costume, le mobilier et les usages de l'époque. Dans les gravures que nous donnons, on peut en voir deux spécimens: Le patricien et le chevalier du douzième siècle, le bourgeois et son enfant du douzième siècle.



Le patricien est revêtu d'un manteau noir et d'une tunique brune avec bande noire; il porte des jambières en cuir jaune ocré, et l'agrafe de son manteau est en or.
Le chevalier sur lequel il s'appuie, porte une couronne d'or, avec une toque rouge, une cotte de mailles, en acier finement tissé, enserre son corps entier, y compris sa tête et son visage.




Le bourgeois donne la main à son enfant, porte une grande tunique et un manteau de couleur brune; autour de sa taille est une ceinture de cuir jaune, servant à tenir l'escarcelle portée par tous les marchands de cette époque;
Au dessous de ces personnages tirés du manuscrit de l'Hortus deliciarum, figurent une dame noble et un seigneur du quatorzième siècle.




Rien de particulier dans le costume de la dame dont la robe est de couleur claire, sinon, les ornements qui sont tissés en or.
Le seigneur porte un capuchon noir à revers rouges; une tunique brune à revers rouges et or; une cotte de maille agrémentée d'ornements croisés en or, des culottes gris perle et des bottes en cuir; au-dessous on voit l'armure que le noble revêtait quand il était en guerre, sa corne de chasse, et son étendard porté par un chevalier et sur lequel se trouvaient ses armoiries et ses couleurs.









L'Anmeister, ou président de la république au dix-septième siècle, était vêtu entièrement en velours noir; chapeau feutre noir, bas de soie noire, nœud noir, souliers noirs.




De l'autre côté, est une femme bourgeoise de la même époque: elle a une toque noire en velours, une fraise blanche, un corsage velours et soie noire; une robe de soie noire, bordée d'hermine blanche, avec la traverse de devant jaune.




En bas de la planche se trouve une gravure représentant des orphelins du seizième siècle faisant leur quête habituelle en ville



C'étaient des enfants trouvés, recueillis par le conseil de la ville dans une maison d'assistance, et dont les administrateurs conduisaient les enfants dans les diverses habitations de la cité pour faire la quête en faveur de l'hospice; on leur faisait des dons en nature ou en argent. Ce dessin est tiré d'un tableau sur verre existant dans l'hospice des orphelines à Strasbourg; il date du seizième siècle.
Ces dessins, qui n'appartiennent pas à l'Hortus deliciarum, sont tirés d'autres manuscrits qui appartenaient à la bibliothèque de Strasbourg, et qui ont été brûlés lors du bombardement. Nous avons encore plusieurs documents d'autant plus précieux qu'ils sont inédits, à faire passer sous les yeux de nos lecteurs. Nous les accompagnerons de détails sur les mœurs et coutumes de l'Alsace pendant les quatre derniers siècles.  

                                                                                                                       Adrien Desprez.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

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