Les instituteurs primaires.
"La situation de l'instituteur, dit l'Officiel, concorde avec l'esprit général de chaque législation."
Dans les états scandinaves, les maîtres sortent des séminaires d'instituteurs dans lesquels ils reçoivent une instruction complète: ils dépendent de la direction du diocèse; s'ils sont congédiés, ils ne peuvent rentrer dans leurs fonctions; mais cette sévérité est justifiée par la situation exceptionnelle qui leur est faite. Leurs appointements ne peuvent être inférieurs à 500 fr., ce qui est beaucoup en Suède, et si les communes veulent ajouter à ce minimum, elles reçoivent à titre d'encouragement un subside de l'Etat. L'instituteur est, en outre, logé et chauffé; on doit lui fournir un champ et de quoi nourrir un peu de bétail; et comme il peut cumuler ses fonctions avec celles de sacristain de la paroisse, il jouit d'une certaine aisance. Quand l'heure de la retraite est venue, la paroisse lui fait une pension, et l'Etat a institué une somme de 168.000 fr. comme fonds destiné aux instituteurs retraités.
En Allemagne l'instituteur est nommé par l'Etat: on retrouve là l'organisation administrative que nous avons signalée; mais grâce à l'active intervention de l'administration, le corps des maîtres ainsi transformé en fonctionnaires est supérieur à tout ce qu'on trouve ailleurs.
Les instituteurs se forment, pour la généralité, dans les écoles normales; un grand nombre sortent cependant des institutions libres qui font une sérieuse concurrence aux écoles de l'Etat, et entretiennent l'esprit d'émulation. Les jeunes gens, avant d'entrer dans la carrière, passent un examen devant les professeurs de l'école présidé par le schulrath. Cet examen, comme l'enseignement donné dans l'école, est pratique, pédagogique; son objet principal est l'art d'enseigner. C'est en effet ce qu'il y a de plus difficile et de plus important.
Les élèves sont nommés aides-instituteurs, puis sous-maîtres, enfin maîtres. Des examens annuels, auxquels sont soumis chaque année, au temps des vacances, les jeunes sous-maîtres, permettent de donner à l'avancement une autre base que l'ancienneté. Ce contrôle perpétuel est complété par des conférences mensuelles ou bimensuelles que les instituteurs d'une même paroisse, d'un même district et d'un même cercle doivent avoir entre eux sur les matières et les méthodes d'enseignement, et par une réunion annuelle que le schulrath préside au chef-lieu du département.
Voulant à la fois entourer de considération la fonction de maître et permettre à ceux qui la remplissent de se consacrer à leurs fonctions, l'Allemagne a interdit aux instituteurs de rien faire en dehors; par dédommagement, elle les a affranchis de toute charge communale. Quoi qu'il en soit, leur situation matérielle ne répond peut-être pas tout à fait à ce qu'on pourrait attendre. La moyenne des traitements est de 700 francs, somme évidemment insuffisante et, en présence de l'élévation générale des prix en Allemagne, on peut attribuer à cette cause l'abaissement sensible aujourd'hui du nombre des candidats à l'école normale.
A l'âge de soixante-six ans, l'instituteur est mis à la retraite. Sa pension ne peut être inférieure à 225 francs, elle peut s'élever jusqu'à 1.300 florins, c'est à dire un peu plus de 2.400 francs. Une caisse générale est chargée de subvenir aux besoins des veuves et des orphelins; elle est obtenue au moyen d'une retenue de 4 p. 100 sur les traitements.
En Suisse, la nomination appartient à la commune scolaire qui ne peut élire qu'un candidat ayant déjà fait un stage de deux ans.
Les instituteurs forment dans chaque cercle une association qui porte le nom de chapitre, et se réunit plusieurs fois par an. Au chapitre est adjoint une bibliothèque spéciale qui possède tous les documents nécessaires à l'enseignement. Enfin l'ensemble des instituteurs du canton forme le synode qui prend part à la nomination du conseil supérieur de l'instruction publique.
Les instituteurs sont donc dans ces cantons une corporation et non pas un corps de fonctionnaires. Souvent ils se forment entre eux des associations particulières qui publient des revues spéciales. Ils élucident ainsi les questions d'enseignement et se tiennent au courant de ce qui se fait à l'étranger. C'est par cet esprit de corps et par le stage de deux ans qu'ils ont pu éviter les résultats qui se seraient produits, s'ils avaient été absolument livrés à l'arbitraire des pouvoirs locaux. Ces résultats, nous les trouverons aux Etats-Unis.
Là, les instituteurs ne forment pas un corps, ayant ses traditions, ses usages, ses intérêts. Il en résulte que l'expérience manque.
Chaque comité scolaire engage un maître pour un laps de temps plus ou moins court: six mois en général. Ce maître est d'ordinaire un jeune homme qui cherche une carrière; les fonctions d'instituteur sont ainsi devenues la ressource des années besogneuses de la jeunesse. Le R. Fraser, dans son rapport au parlement anglais, remarque que l'enseignement est une très-bonne discipline pour l'esprit des jeunes gens américains, mais si le maître en profite, on ne pourrait en dire autant des élèves dont l'intelligence est surmenée.
Ce n'est pas que les Etats-Unis n'aient essayé de former de bons maîtres. Des écoles normales existent, mais les leçons qui y sont données ne s'adressent pas à des jeunes gens destinés à devenir maître d'école. On y professe moins l'art difficile de faire connaître les premiers éléments que les sciences les plus ardues et les plus élevées. Il est vrai que ces programmes si étendus se traduisent souvent par un enseignement peu approfondi: mais quoi qu'il soit, la mesure et la juste appropriation au but poursuivi sont absentes.
Beaucoup d'instituteurs n'ont pas passé par ces écoles; ils se sont formés dans l'école primaire par des études libres. Pendant les vacances, ces jeunes gens se réunissent dans des congrès où ils discutent comme dans un meeting. Enfin ils obtiennent le diplôme exigé, et se présentent aux comités scolaires pour remplir les fonctions auxquelles ils se sont si rapidement préparés. Leur salaire est élevé et n'a point d'analogue en Europe: M. Hippeau, dans son livre sur l'instruction publique aux Etats-Unis, constate que dans quarante-deux villes la moyenne du traitement des instituteurs est de 8.500 francs, celui des institutrices de 2.712. Dans les campagnes, elle est de près de 250 fr. par mois pour les instituteurs, de plus de 100 fr. pour les femmes. Malgré ces avantages, l'instabilité de la situation des maîtres ne les encourage pas à persévérer, et au bout de quelques années, souvent de quelques mois, la plupart choisissent une carrière plus active et plus sûre.
Un phénomène remarquable et qui tient à la constitution même de la société américaine, c'est le nombre toujours croissant des femmes placées à la tête des écoles. Au Massachussetts, sur 10.884 écoles, 9.340 sont tenues par des institutrices. Les femmes trouvent là une profession relativement lucrative qui leur permet d'attendre l'époque du mariage: elles y apportent plus de soin que les hommes et réussissent mieux: les écoles mixtes pour les garçons et les filles, qui sont générales aux Etats-Unis, prospèrent entre leurs mains.
On ne saurait se dissimuler que ces continuels changements dans le personnel enseignant n'entraînent avec eux une révolution perpétuelle dans la manière d'enseigner. Il n'est pas de maître qui puisse suivre une méthode pendant un certain temps, en connaître les résultats; il n'en est pas qui puisse à ce régime acquérir l'expérience des enfants. Toutes les autorités scolaires sont, dans la plupart des Etats de la confédération, soumises au même régime; soumises à un renouvellement continuel par la jalousie des électeurs, il n'est pas surprenant que, malgré une bonne volonté sans pareille, elles aient quelque inexpérience et ne tirent pas de la générosité de la nation tout le profit qu'on en pourrait tirer.
Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.
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