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dimanche 9 juillet 2017

Le colporteur espagnol.

Le colporteur Espagnol.



Les Espagnols sont de grands coloristes. Dans ce pays du soleil, on aime les étoffes à reflets chatoyants, on recherche la mise en scène; tout ce qui évoque les idées superstitieuses, tout ce qui rappelle le passé. L'Espagne a de la peine à se déshabituer du moyen âge. Ce colporteur ne serait pas complet sans cet oiseau sinistre, compagnon des bons et des mauvais jours. 



Ne dirait-on pas deux philosophes vivant de la même vie? Ils se complètent. les gentilles manolas achèteront des mouchoirs en fils d'aloës, des ceintures de soie et des éventails à ce colporteur, uniquement pour causer avec ce grand-duc, qui a pris le dos du marchand pour perchoir.
Cet oiseau de nuit représente la réclame: c'est l'enseigne pittoresque et vivante de ce pays original.
Vivant de peu, cheminant par les plaines dénudées, sous un soleil de plomb, le colporteur espagnol, lorsqu'il se sent fatigué, s'asseoit sur son ballot, fume sa pipe ou son manille, et boit une goutte d'eau. Il aime autant le soleil que son compagnon recherche l'ombre. Le soir venu, il s'étendra au pied d'un arbre, dînant d'une tomate crue, d'un piment ou d'un oignon au gros sel. Voilà la vie de ce sage; c'est le Diogène du midi! Accosté par les señoras, il étale ses marchandises, froidement; armé de patience, attendant avec une indifférence mauresque qu'on se décide à faire des emplettes. Parfois il perd une heure à satisfaire les caprices de ses clientes qui n'achètent rien.
Sa figure parcheminée sait se dérider au besoin et grimacer un sourire. Il excelle à prononcer une sentence galante et solennelle à la fois; sa patience est proverbiale; mais malheur à qui insulterait ou regarderait avec mépris ce sage qui sommeille.
Celui-là verrait vite briller la lame du cuchillo suspendu à sa ceinture, et en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, il aurait pourvu la peau de son adversaire de larges boutonnières.
Le colporteur enroule souvent les objets qu'il vend autour de son corps, se souvenant de son ancien métier de contrebandier.
J'en ai vu un à Biarritz, qui venait offrir aux dames des étoffes à acheter. Comme on lui demandait de faire porter les échantillons: "Voilà", dit-il, et il commença à dérouler de grandes pièces qui étaient adroitement pliées autour de son corps. Il fallut l'arrêter par décence; on ne sait pas à quel point il se serait arrêté. Comme Bias, il portait toute sa fortune sur lui.

                                                                                                                       Paul Cézano.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1875.

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