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dimanche 23 juillet 2017

Celles dont on parle.

Mlle Berthe Cerny.

Quand Mlle Berthe Cerny, qui venait, formée par les leçons de M. Worms du Français, de remporter le premier prix de comédie au Conservatoire, débuta à l'Odéon dans le rôle de Suzanne, du Mariage de Figaro, le public parut charmé et vit dans la jeune actrice une des futures gloires de la Comédie française.
Ce n'est pourtant que vingt ans plus tard que Mlle cerny parut sur la scène des Français, après avoir menée de planches en planches son humeur vagabonde et son talent capricieux.
Faut-il attribuer à son seul mérite ou bien à des recommandations influentes l'entrée de Mlle Cerny au Théâtre Français? Je n'aurai pas l'indiscrétion de creuser cette question. Mais si cette artiste a de puissants protecteurs, ce que j'ignore, on doit lui rendre cette justice qu'elle n'abuse pas de leur crédit dans la République.




Lors des dernières augmentations votées par le Comité de la Comédie Française, Mlle Berthe Cerny avait eu la discrétion de ne pas poser sa candidature au sociétariat. Invoquant seulement les rôles difficiles qu'elle avait créés avec succès, elle demandait des appointements de vingt-quatre mille francs.
Le Comité ne lui accorda que dix-huit mille francs: Mlle Cerny n'imita pas ses collègues dont les protestations bruyantes fournirent de la copie gratuite à tous les journaux; elle s'inclina froidement devant la décision du Comité.
Tous les gestes de Mlle Cerny sont emprunts de cette noble simplicité. Son nom véritable était Berthe de Choudens: elle l'a abandonné, persuadée qu'elle illustrerait aussi facilement un nom roturier.
Il est peu probable qu'en agissant ainsi, Mlle Berthe Cerny ait voulu faire une manifestation socialiste. Ce n'est pas lui faire injure que de croire qu'elle est parfaitement indifférente aux questions politiques. Elle n'a que faire de chercher à pénétrer les raisons impérieuses qui élèvent brusquement au pouvoir les chefs de l'opposition ou qui font passer un ministre du département de l'Instruction publique à celui de la Justice.
Sait-elle même qu'il y a plusieurs ministres? Un seul l'intéresse: c'est le sien, je veux dire celui qui a dans ses attributions la haute surveillance de la Comédie française. Elle professe pour ce personnage la plus grande vénération. "Le ministre m'a convoquée", "J'ai dîné avec le ministre" aime-t-elle à dire à ses amies, et elle cite souvent cette parole, qu'elle attribue à Buffon, car elle se pique d'avoir des lettres: "Le portefeuille, c'est l'homme."
L'irrésistible attrait que la fonction ministérielle exerce sur Mlle Berthe Cerny, comme sur la plupart de ses illustres camarades, s'explique aisément. Il suffit d'une amitié bien placée pour obtenir un avancement rapide, un engagement brillant, une décoration même. La décoration, c'est la gloire des poitrines que l'âge a privées de leur opulente beauté.
Depuis qu'on a accordé le ruban de la Légion d'honneur à Mme Bartet, tous les corsages de ces dames ont rougi d'émotion.
Pour le bon renom de la République et de la Comédie française, je compte que l'espoir de nos artistes nationales ne sera pas déçu et que nous pourrons un jour, en plein Paris, rencontrer la croix de Cerny.

                                                                                                                      Jean-Louis.


Les mots historiques de Mlle Berthe Cerny

I

Ils ne manquent pas de saveur, les mots historiques de Mlle Berthe Cerny. Qu'on en juge:
Se trouvant, au cours d'une tournée dans je ne sais quelle ville de province, Mlle Cerny, globe-trotter infatigable, avait été visiter les curiosités de l'endroit. Comme elle faisait part à ses camarades de ses impressions:
- Avez-vous vu la statue de Jeanne d'Arc? lui demanda quelqu'un.
- Certainement, je l'ai vue.
- Est-ce qu'elle est équestre?
La gracieuse artiste hésita, visiblement troublée par ce mot étranger à son vocabulaire, puis bravement, et d'un air connaisseur:
- Un peu, fit-elle.

II

Alors qu'elle n'appartenait pas encore à la Comédie Française, elle se promenait un soir dans le foyer de ce théâtre au bras d'un de nos honorables représentants.
Un couple les précédait, et comme ils passaient devant la statue de Voltaire, Mlle Cerny entend le monsieur dire à sa compagne, en touchant du doigt le socle:
- C'est du Houdon!
Alors la comédienne tapote d'un doigt replié la pierre du socle, comme pour en apprécier le grain, et, satisfaite, se retournant vers son cavalier;
- C'est vrai, lui dit-elle, tâtez!


Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 21 juin 1908.

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