Jacques du Fouilloux.
"Nous ne possédons aucun détail biographique sur le compte de Jacques du Fouilloux," dit la notice placée en tête de la dernière édition de la Vénerie, publiée à Angers en 1844. Par une singularité qu'on rencontre trop souvent dans l'histoire des lettres, pendant que les bibliophiles signalaient minutieusement les différentes éditions qu'on a données de la Vénerie, personne ne s'occupait de du Fouilloux. Le livre avait absorbé l'auteur: aussi les plus minces éléments d'une biographie manquaient-ils complètement jusqu'à ce jour. La Biographie universelle lui consacre à peine une colonne, et se borne à parler de la Vénerie. La Bibliothèque historique et critique du Poitou ne s'explique pas davantage sur le compte du célèbre chasseur.
La découverte des papiers de famille de Jacques du Fouilloux nous permet de combler cette lacune et de donner les renseignements les plus exacts sur sa vie.
Il naquit dans les premiers jours de mars 1519, au château du Fouilloux, paroisse de Saint-Martin en Gâtine, bâti sur le point culminant du haut Poitou (département des Deux-Sèvres); Son père, Antoine du Fouilloux, était issu d'une famille de très-ancienne noblesse, qui possédait, depuis plusieurs siècles, la terre dont elle portait le nom. Sa mère, Guérine Taveau de Mortemer, dame de Rouillé (1), mourut en lui donnant le jour. Ayant perdu ses parents de bonne heure, il fut mis sous la tutelle de René de la Rochefoucaut, son oncle à la mode de Bretagne, qui l'emmena chez lui à Bayers, puis à Liniers, château situé près de Saint-Maurice de la Fougereuse, non loin de Thouars.
Jacques du Fouilloux n'eut pas à se louer de la manière dont son tuteur administra ses biens, si l'on en juge par le procès qu'il eut, en 1540, avec sa veuve, aussitôt sa majorité. Cependant son éducation ne fut pas négligée, et le style de son livre prouve qu'on prit même un grand soin de développer ses facultés intellectuelles, et qu'on lui permit de se livrer de bonne heure à son goût dominant pour la chasse, passion qu'il conserva toute sa vie.
... Evitant sans cesse la paresse
A ce plaisir exerçay ma jeunesse
Qui est communs aux princes et seigneurs,
Comme avoient fait mes prédécesseurs.
Mais le jeune gentilhomme aspirait à une liberté plus complète. Arrivé à l'âge de vingt-sept ans, il lui prit "envie de s'émanciper" et un beau matin, il s'échappa de Liniers avant l'aube, "n'oubliant rien, sinon de dire adieu", et suivi de son limier Tire-Fort. Tandis qu'il vaguait à travers la campagne, un cerf partit; il se mit aussitôt à sa poursuite, et arriva, non sans quelques aventures gaiement racontée, dans sa chère Gâtine, qu'il avait abandonnée depuis l'âge de cinq ans. Ce fut ainsi qu'il fit son entrée dans le monde, et depuis, les lettres et le plaisir furent ses seules occupations.
Du Fouilloux épousa, le 20 août 1554, Jeanne Berthelot, fille de René Berthelot, conseiller au parlement de Paris, et de Jeanne d'Ausseure. Celle-ci était douée de beaucoup d'attraits, au dire du poëte J. de la Péruse, et était une riche héritière; mais, habitué à la rigidité des familles parlementaires, elle ne put se faire aux allures dissipées de son mari, et cette antipathie d'humeur engendra des querelles incessantes qui firent le tourment du ménage. Du Verville raconte la méthode brutale et singulière dont du Fouilloux se serait-dit-on, servi une fois pour vaincre l'humeur acariâtre de sa femme. Il paraît néanmoins à peu près démontré que cette anecdote est controuvée.
Du Fouilloux eut de Jeanne Berthelot un seul fils, qui fut page de Guy de Daillon, sieur du Lude, gouverneur du Poitou, et qui mourut à peine âgé de seize ans, peu de temps après sa mère.
Notre veneur chercha malheureusement dans le désordre des consolations à ses chagrins domestiques. Une note conservée à la Bibliothèque nationale, section des titres généalogiques, assure qu'il présenta à Henri III, lors du séjour qu'il fit à Poitiers en 1577, une compagnie de cinquante hommes uniquement composé de ses fils illégitimes. Ceci est évidemment encore un conte fait à plaisir, mais qui donne une idée des mœurs et de la réputation de du Fouilloux.
Il finit ses jours le 5 août 1580, à l'âge de soixante et un ans, laissant pour héritière d'une fortune assez considérable la fille de sa sœur, Marie Cathus, seconde femme de Jean de la Haye, lieutenant général de la sénéchaussée de Poitiers.
Jacques du Fouilloux doit sa célébrité au livre de la Vénerie, ouvrage écrit avec beaucoup de gaieté, de verve et d'originalité, et rempli d'observations curieuses dont les travaux des naturalistes modernes ont démontré l'exactitude. La première édition parut à Poitiers, en 1561, chez les Marnef et les Bouchet frères. Ce privilège est daté d'Orléans, le 23 décembre 1560. En tête de ce volume, de format petit in-folio, et orné de nombreuses gravures en bois, est une dédicace adressée à Charles IX, qui est l'expression complète de la philosophie de l'auteur.
"Il est certain et notoire à chacun, y dit-il au roi, que de tout temps les hommes se sont adonnés à plusieurs hautes et occultes sciences: les uns à la philosophie pour contenter leurs esprits, les autres aux arts méchaniques pour acquérir des richesses. Les inventions desquels ont en tant de manières esté esparses, que de les déduire et de nombrer par le menu, seroit quasi chose impossible. De façon qu'après avoir le tout bien examiné et considéré, enfin je me suis arresté à ce qu'a dit ce grand et sage roy Salomon: Que toutes choses qui sont sous le soleil ne sont que frivole vanité; d'autant qu'il n'y a science ny art qui puisse allonger la vie plus que ne permet le cours de nature. Pour ce m'a-t-il semblé, Sire, que la meilleure science que nous pouvons apprendre (après la crainte de Dieu) est de nous tenir et entretenir joyeux, en usant d'honnestes exercices, entre lesquels je n'ay trouvé aucun plus noble et plus recommandable que l'art le la vénerie."
On ne peut rien ajouter à ces quelques lignes: elles peignent l'homme tout entier. Sceptique, ou plutôt indifférent en matières de religion, à une époque de grand zèle, il ne prit aucune part aux guerres civiles qui bouleversaient la province où il vécut. Il fit en sorte de "s'entretenir joyeux", et de se refermer dans un voluptueux égoïsme.
La Vénerie a été réimprimée vingt-deux fois en France, trois ou quatre fois en Allemagne, et une à Milan. On a joint à quelques-unes de ces nombreuses éditions la Fauconnerie, de Jean de Franchières; la Chasse au loup, de Clamorgan; et le Miroir de fauconnerie, de pierre Harmont. Ce livre dut sa grande vogue à la passion de la noblesse pour la chasse; pendant un siècle et demi, on le trouva dans tous les châteaux. Malgré le nombre considérable d'exemplaires répandus, il est devenu fort rare aujourd'hui par cela même qu'il a été beaucoup lu, beaucoup étudié, et les bibliophiles se le disputent, surtout lorsqu'il apparaît en éditions primitives.
Le poëme de l'Adolescence de Jacques du Fouilloux est une versification simple et facile, mais un peu impudente comme tout ce que composait l'auteur. Il fait suite à la Vénerie.
Le portrait que nous donnons est la copie d'un dessin attribué à F. Clouet, dit Janet, esquissé à la pierre noire et légèrement retouché au crayon rouge. L'aspect de la physionomie indique que du Fouilloux avait de trente à trente-cinq ans lorsque ce dessin fut exécuté, c'est à dire vers 1553, époque à laquelle on sait que notre veneur suivait la cour.
La famille du Fouilloux portait: palé d'argent et de sable de dix pièces, à la face d"azur sur le tout.
(1) C'est dans les archives de ce château, placé entre Oulmes et Maillezais, que les titres de la famille du Fouilloux ont été retrouvés.
Magasin pittoresque, mars 1853.
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