L'église du Saint-Sépulcre.
A l'entrée de la rue Saint-Denis, et presque vis-à-vis du marché des Innocens, vous aurez sans doute remarqué une vaste construction dont la façade a quelque chose de monumental et que décorent des bas-reliefs dont les sujets sont empruntés à l'industrie et au commerce. Ce bâtiment, qui, dans ses quatre faces, enveloppe une cour incessamment traversée par un flot de piétons, est ce que nous appelons la cour Batave.
Entourée de boutiques et peuplée de marchands, cette cour attirerait les regards dans une ville moins importante que Paris. Mais dans Paris, cet immense bazar, dans Paris où vous trouverez à chaque pas de riches passages ornés par le commerce, dans Paris où tant de rues ne sont qu'une suite de gracieux et brillans magasins, dans Paris qui possède le Palais-Royal, la rue de Rivoli et les boulevards, qu'est-ce bon Dieu! que la cour batave?
Le lecteur devine de suite que si nous appelons son attention sur cette vaste construction, ce n'est pas pour la lui faire passer en revue. nous passerions même sous silence l'origine de ce nom: Cour Batave, si nous ne savions pas, par expérience, qu'il y a parmi nos abonnés nombre d'érudits et d'amateurs d'origine et de traditions de toutes sortes. A cette classe de lecteurs, nous dirons que la cour Batave fut bâtie en 1791 par une société de négocians bataves ou hollandais; de là son nom.
Ce que nous voulons voir dans la cour Batave, c'est ce qui n'y est plus aujourd'hui, une ancienne église démolie de fond en comble par les entrepreneurs du nouveau bazar, église dont nous avons reproduit la façade originale, et qui fut, à diverses époques, l'occasion de longues et curieuses contestations entre les gens d'église, les bourgeois et la cour elle-même.
Vers le commencement du 14e siècle, alors que la foi chrétienne, puissante encore au fond des cœurs, et que les souvenirs de la passion du fils de Marie attiraient en Terre Sainte de nombreux pèlerins, une confrérie de bons Parisiens fonda une modeste église dans le lieu qu'occupe aujourd'hui la cour Batave. Ces pieux fondateurs avaient fait vœu de visiter la Palestine; leur église et leur corporation prirent le nom du Saint-Sépulcre.
Ce seul titre suffisait pour attirer dans le nouveau temple nombre de visiteurs et d'aumônes. Aussi, dès 1333, quatre ans au plus après sa fondation, la confrérie du Saint-Sépulcre comptait-elle dans son sein des rois et des princes. Le nombre de membre s'élevait déjà à plus de mille, et la confrérie se vit dans la nécessité de faire bâtir une église plus noble et plus vaste.
Comme les ressources particulières de cette pieuse association n'auraient pas suffi pour l'exécution de ce projet, on eut recours au moyen employé, en pareil cas, par nos pères pour la construction de tant de magnifiques cathédrales. Permission fut donnée par les évêques de solliciter la charité des fidèles dans plusieurs diocèses; et, vers le commencement du 16e siècle, la confrérie vit la dédicace de son église, qui ne fut néanmoins terminée qu'en 1655.
Cette nouvelle église se distinguait par son portail, estimé des connaisseurs. On y voyait un bas-relief qui représentait la sépulture de Notre-Seigneur; dans l'intérieur on admirait des vitraux peints en grisaille, plusieurs sculptures, quelques tableaux dans les chapelles, et surtout, au-dessus du grand autel, une Résurrection peinte par Lebrun.
Ce n'était pas sans peine que l'association du Saint-Sépulcre était parvenue à ce point de prospérité. Il lui fallut, dans l'origine, lutter contre le clergé de Notre-dame et de Saint-Méry, dont les églises étaient à proximité de celle du Saint-Sépulcre, et qui se voyaient menacés de perdre une partie de leurs fidèles. Les confrères qui allaient toujours en avant, sans avoir égard aux oppositions du clergé parisien, se virent même excommuniés par l'évêque de Paris, et force fut aux insurgés de restituer annuellement à Notre-Dame et à Saint-Méry une partie des revenus qu'ils leur enlevaient.
Bien avant la fin du 17e siècle, la confrérie avait beaucoup perdu de son importance; Le clergé qu'elle avait organisé dans son église avait, comme de raison, substitué peu à peu son autorité à celles des confrères; l'église, mieux administrée du reste, était retombée dans la classe de toutes les églises.
Enfin, en 1672, cette maison fut réunie à l'ordre de Saint-Lazare, qui, 20 ans après, fut contraint de la rendre à ses premiers chanoines, puis y rentra de nouveau pour l'évacuer définitivement en 1790, lors de la suppression de cet ordre.
Pendant que les religieux de Saint-Lazare desservaient l'église du Saint-Sépulcre, quelques personnes imaginèrent de faire revivre les anciens privilèges de la confrérie, d'exhumer les bulles qui l'avaient instituée, de créer un ordre de chevalerie et de se décorer d'insignes particuliers. C'était en 1775; la confrérie ne comptait plus à cette époque que quelques bons bourgeois qui, à des époques fixes, se réunissaient dans des banquets. Ces banquets constituaient, à vrai dire, tout ce qui restait de l'association; aussi la confrérie avait-elle changé son noble titre originaire contre le titre ignoble, mais vrai, de Confrérie de l'Aloyau, qu'on lui donna dans le public.
Les nouveaux chevaliers du Saint-Sépulcre avaient, dans leur nouvelle organisation de l'antique association, compté pour peu de choses les membres de la confrérie, et s'étaient réservé presque toutes les dignités; nombre de gens riches, et même des personnalités titrés, devaient figurer dans le nouvel ordre du Saint-Sépulcre; mais les confrères de l'Aloyau crièrent à l'usurpation; et, un beau jour, ces distributions de décorations nouvelles, ces momeries puériles de réceptions et d'assemblées de l'ordre, misérable anachronisme d'un siècle ami des hochets, tout cela disparut devant un édit du roi, qui arracha les nouveaux chevaliers à leurs illusions de théâtre, et renvoya à leur Aloyau les confrères triomphans.
Bradsaw.
Magasin universel, octobre 1836.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire