Patrons et ouvriers.
"J'ai consulté plusieurs manuels de savoir-vivre, nous écrit une de nos correspondantes, et dans aucun d'entre eux je n'ai trouvé des indications sur les questions qui m'intéressaient. Ces livres de savoir-vivre s'adressent spécialement aux personnes du monde et s'inquiètent peu des petites gens et des ouvriers. Et pourtant, ne semble-t-il pas que c'est à ceux-là surtout qui n'ont point reçu dans leur jeunesse une éducation suffisante qu'ils devraient songer? En effet, que de fois ne nous arrive-t-il pas, à nous autres employés, ouvriers, d'être en rapport, à l'occasion d'une fête, d'un mariage, d'un anniversaire, avec un patron et de ne pas savoir en ce cas comment nous devons nous comporter pour être corrects et polis sans sortir des bornes du respect. Et si vous saviez que de cas étranges se présentent dans nos divers métiers: je suis demoiselle de magasin et j'ai vingt-huit ans; mon patron, mis depuis huit mois à la tête de ce commerce par suite de deuils successifs, en a vingt-quatre. Dois-je, au matin du 1er janvier, lorsqu'il entrera dans le magasin, aller à lui pour lui présenter mes vœux ou attendre qu'il me les offre de lui-même? Comme il s'agit d'un jeune homme, n'est-il pas convenable d'attendre qu'il parle le premier?"
Il n'est point question, ainsi que le suppose mon interlocutrice, de rapport entre jeune homme et jeune fille, mais de rapport d'employé à supérieur, et quel que soit l'âge, la femme employée doit offrir ses vœux à son patron la première, en ayant soin de les présenter sous cette forme: Permettez-moi de...
Une autre correspondante m'écrit en ces termes:
"Nous sommes employés, mon mari et moi, dans une grande imprimerie; le patron, autrefois ouvrier comme nous, est resté simple et cordial et sa femmes et ses enfants sont très simples aussi. Alors dernièrement, comme c'était le baptême de ma plus petite, nous avons demandé au patron d'en être parrain et d'assister au repas avec sa famille. Il a accepté.
"Le lendemain, comme on s'était couchés un peu tard, mon mari et moi sommes arrivés deux heures après la cloche, le patron m'a fait une observation et a mis mon mari à l'amende. Ne trouvez-vous pas qu'il aurait dû être plus indulgent à l'égard de gens chez qui il avait dîné la veille, et n'indiquait-il pas ainsi d'une façon nette la différence qu'il fait entre lui et nous?"
Votre patron n'est nullement à blâmer en cette circonstance, madame, et il a agi comme doit le faire tout directeur honnête et consciencieux. Il avait dîné chez vous la veille, c'est vrai; mais ne vous avait-il pas fait un honneur en acceptant ce repas et le parrainage de votre enfant, et ne lui deviez-vous pas en échange de récompenser sa condescendance par plus d'exactitude et d'assiduité au travail?
Trouveriez-vous naturel que votre patron vous dise le jour de votre paye: "Puisque j'ai dîné chez vous, je vous traite en ami et non en ouvrier, je ne vous paierai donc pas votre semaine comme aux autres employés?" Vous trouveriez cette abstention souverainement injuste. Eh bien! vous faites de même lorsque, sous prétexte d'amitié, vous vous relâchez dans votre travail et en supprimez quelques heures.
Maintenant il s'agit d'un patron d'un tout autre genre. Celui-ci est fier, dur, orgueilleux, ne faisant nulle attention à ses ouvriers, à ses employés. Convient-il à un ouvrier de lui annoncer son mariage, et si oui comment doit-il le faire? Si le patron n'a pas de rapports directs avec ses ouvriers, si des contremaîtres, des chefs servent d'intermédiaire entre lui et eux, l'ouvrier ou l'employé annoncera son mariage au contremaître, au chef, en lui demandant quelle est la conduite à tenir vis-à-vis de ses patrons. Si le chef conseille à l'ouvrier de faire lui-même part de son mariage au directeur, il cherchera à rencontrer le patron, dans l'usine, dans les ateliers, ou ira le trouver dans son bureau.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 janvier 1905.
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