Landes, Landais et dunes.
Le nom de Landes désigne génériquement de vastes plaines désertes et incultes, qui se couvrent cependant d'une faible végétation, et s'applique particulièrement, en France, aux deux départements qui bordent la Gironde et l'Adour.
Le dessin, la peinture et la plume de l'écrivain sont insuffisants pour retracer un espace qui étonne par son étendue: l'art ne saurait reproduire aucun de ces plans intermédiaires qui servent en quelque sorte à mesurer les distances, et l'expression la plus heureuse serait également impuissante et décolorée pour les reproduire.
Ce qui frappe le plus dans ce pays sauvage, c'est la triste uniformité du site. Des bouquets de pins plantés ça et là, des chênes rabougris incessamment broutés par les troupeaux, un sable grisâtre sur lequel la végétation fait d'infructueux efforts, des parcs ou cabans, que l'on découvre de loin en loin, l'absence de chemin, la stagnation des eaux, tout concourt à faire naître de pénibles sensations dans ces solitudes. La fleur dorée de la jauge, celles des bruyères récréent un peu la vue au milieu de cette accablante monotonie.
Nous pensons qu'on s'est trompé en considérant les Landes comme étant frappées de misère autant que de stérilité. Il est vrai qu'à n'en juger que par l'apparence, tout y offre l'image du plus absolu dénuement; cependant la mendicité, cette lèpre incurable, indestructible au sein de la civilisation, est un fléau qui ne désole pas ces arides contrées. Les Landais les plus aisés, ainsi que les plus pauvres, sont vêtus de bure grossièrement fabriquée avec la toison des brebis, et tous se couvrent de la dépouille même de leurs troupeaux, mettant la laine en dehors ou en dedans, suivant qu'il pleut ou qu'il fait froid. C'est sous cet accoutrement bizarre qu'ils viennent très-fréquemment jusqu'à Bordeaux vendre leurs denrées; mais s'ils font pitié à l'opulent habitant des villes, ils sont plein d'indifférence pour un sort meilleur, rient sans cesse du mépris qu'ils inspirent, et s'en dédommagent en faisant glisser de nouvelles pièces d'or dans leur gousset.
Les Landes ont été l'objet de l'attention et des recherches des économistes et des agriculteurs; mais jusqu'à présent il n'a été apporté aucun changement à leur situation: il est à craindre qu'elles ne s'améliorent pas davantage à l'avenir, et que, l'aveugle routine, dont l'empire est là plus absolu qu'ailleurs, ne soit toujours l'un des obstacles qu'on aura à vaincre. On doit se défier dans ces contrées des innovations purement spéculatives et qui ne reposeront pas sur l'expérience et la pratique: on peut modifier la culture que les gens du pays ont reconnue la meilleure, mais il se faudrait bien garder de la changer. C'est pour avoir trop complètement dédaigné d'anciens usages que l'on vu échouer tous les essais. On voit encore dans les Landes la trace des dépenses extraordinaires qui ont été faites pour fertiliser un sol qui s'est constamment refusé à seconder des entreprises mal combinées; On a voulu élever des châteaux, où il ne fallait construire que des cabanes; on a planté et aligné des allées, où il ne fallait que des semis de pins; on a creusé à grands frais des étangs, des rivières où il ne fallait qu'ouvrir des fossés et les entretenir. Cette dernière observation se justifie par les lagunes ou flaques qui sillonnent les Landes en tout sens, et qui forcent le Landais à toutes les précautions qu'il prend pour garantir ses semences de l'inondation. On est contraint d'admirer son industrie, sa patience opiniâtre, et de reconnaître qu'il rend vraiment un culte à la terre en le voyant conduire les dépôts d'eaux pluviales dans les canaux partiels aboutissant à des ruisseaux ou petites jales, et dans les temps de sécheresse, détruire ce travail inouï par un travail entièrement contraire, et rappeler l'eau dans ses champs brûlés.
Si comme nous l'avons dit, l'aspect général des Landes est âpre et sauvage, on rencontre parfois des hameaux où l’œil se repose agréablement. Presque partout où plusieurs familles se sont réunies, des eaux saines et transparentes murmurent sur un sable moins ingrat, que la proximité des engrais achève de rendre plus fertile; le chêne, l'ormeau, diverses espèces de peupliers d'une assez belle végétation confondent leur ombrage, et des prairies charmantes semblent y avoir été transportées par magie. Non loin de ces habitations se trouvent quelques groupes de bouleau: leur feuillage grêle, léger et mobile, leur vert cendré, le luisant de leur écorce, contrastent avec les pins et les bruyères touffues dont ils sont avoisinés: c'est comme un paysage de Salvator dans lequel un peintre moins sévère serait venu introduire cet arbre gracieux.
C'est dans ces petits villages qu'on peut juger avec quel instinct particulier et quel succès étonnant les Landais s'occupent de l'éducation des abeilles, ou plutôt les élèvent sans s'en occuper: ils n'ont besoin ni de démonstration, ni de livres, ni d'ouvriers pour leur façonner des ruches. Ces merveilleux insectes, irrésistiblement portés au travail, s'y livrent avec ardeur sans qu'on les y excite, il suffit qu'on place des appiés (1) à une certaine distance de la maison, et près d'un ruisseau, pour qu'ils y établissent leur laboratoire; ils trouvent là tout ce qu'ils cherchent: la liberté et le secret.
La partie des Landes la plus déserte, la plus complètement dépeuplée, se trouve derrière les dunes, sur le littoral de l'Atlantique, depuis Bayonne jusqu'au bassin d'Arcachan. Ce bassin est renommé pour la pêche. La commune de Gujan et celle de la Teste qui l'avoisine sont uniquement habitées par des marins pêcheurs. Comme ils ne vont jamais en pleine mer, la famille entière fait partie de l'équipage et s'entasse dans une longue embarcation dont la proue, excessivement élevée, sert tout à la fois à fendre la vague et à protéger les pêcheurs contre l'impétuosité des lames pendant le gros temps. On est frappé de l'aspect riant de ces communes de Gujan, de Teich, et de la Teste, dont la fertilité contraste avec les déserts arides et les sites sauvages des Landes qui les entourent et qu'il a fallu traverser pour arriver jusque là.
Les pêcheurs jettent leurs filets vis-à-vis la chapelle après avoir adressé la prière accoutumée à Notre-Dame d'Arcachan; ils suivent l'île des Oiseaux et le canal qui aboutit au Cap-Ferret. Arrivés à ce point, ils se dirigent vers le sud jusqu'au lieu dit l'Ancien-Pila; puis ils se replient et viennent terminer leur petite campagne au Moulau.
Non loin de ce rivage s'élève, au milieu d'une forêt de pins, à travers laquelle on découvre la mer, le cippe consacré à Bremautier. Ce fut cet ingénieux habile qui, vers la fin du dernier siècle fit d'heureux essais de semis de pins dans l'objet de fixer les dunes, espèces de montagnes de sable mobile que les vents déplacent incessamment; il parvint à éviter l'envahissement des terres qu'elle séparent de la mer, à rendre la salubrité au pays qui dévorait ses habitants et à former un balisage pour les marins que la triste uniformité des dunes, depuis l'Adour jusqu'à la Gironde, expose à des méprises fréquentes et à des dangers imminents.
(1) C'est le nom qu'on donne aux ruches; il vient sans doute d'apiaires, désignation générique des abeilles.
Magasin universel, février 1837.
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