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jeudi 16 avril 2015

Le livre des prodiges.

Le livre des prodiges.
par Conrad Lycosthènes (1)




L'antiquité  avait eu son livre des Prodiges; la renaissance devait posséder le sien, et ce fut un rêveur qui, gravement affublé du titre de philosophe, se chargea de lui faire ce présent. Un demi-siècle ne s'était pas encore écoulé depuis qu'Alde Manuce avait publié ce qu'il nous reste du livre de Julius Obsequens, écrivain que l'on suppose avoir vécu un peu avant le règne d'Honorius, lorsqu'un savant professeur d'Heidelberg, nommé Théobald Wolffhart, fit imprimer un gros volume dans lequel ses propres recherches se confondaient avec celles de l'écrivain romain. 
Voilé sous le pseudonyme de Conrad Lycosthènes, Wolffhart prétendit donner à ses compatriotes un livre du plus haut enseignement, et il n'hésita pas à dédier l'étrange compilation, qui lui avait coûté vingt et un ans de travail, aux premiers magistrats de la ville de Bâle. Ce fut, ou peu s'en faut, l'unique emploi de cette vie laborieuse, car notre philosophe naturaliste, moitié fou, moitié observateur judicieux, ne vécut que quarante quatre ans et mourut en 1561, bien peu d'années après l'apparition de son livre.
Frappé des misères sans nombre et mêmes des crimes qui désolent son époque, l'écrivain allemand ne trouve rien de mieux, pour forcer le monde à une tardive résipiscence, que de lui présenter le tableau de tous les événements prodigieux par lesquels se manifeste le courroux céleste. Les dates qu'il adopte sont précises, et il marche rigoureusement armé de la chronologie; c'est le seul mérite qui conserve une sorte d'utilité à ses récits. Quant aux théories scientifiques qu'il émet et aux conclusions qu'il adopte, il se montre, en astronomie et en histoire naturelle, ce qu'étaient en cosmographie Sébastien Munster et Belleforest.
Veut-on savoir, par exemple, quelle idée nos pères se formaient de la comète formidable qui causa un si grand effroi à une partie de l'Europe en 1527, et dont l'apparition cependant ne dura qu'une heure et quart? Lycosthènes nous le fera comprendre, ne fût-ce que par les exagérations de son récit; il ira plus loin même, et il formulera dans une gravure bizarre le phénomène céleste qu'il avait pu voir dans son enfance. Grâce à lui, nous apprenons que cette comète immense était d'une couleur sanglante qui se modifiait à son extrémité par une teinte de safran. Du sommet sortait un bras recourbé, armé d'un glaive immense, tout prêt à frapper. Trois étoiles scintillaient à l'extrémité de l'arme céleste; mais celle qu'on voyait à la pointe était à la fois la plus brillante et la plus grande. Sur les côtés du corps lumineux, on distinguait des rayons qui affectaient les formes de piques et d'épées de moindre dimension (les haches et les poignards sont un luxe de l'artiste du seizième siècle, car l'auteur n'en fait pas mention). Au milieu de ces armes apparaissaient des têtes humaines roulant ça et là parmi les nuées.



Les gravures fantastiques qui accompagnent le récit de Lycosthènes étaient destinées à frapper les imaginations troublées, bien plus, à coup sur, qu'elles n'étaient un moyen d'instruction, et l'on s'aperçoit de leur influence immédiate lorsqu'en lisant un écrivain excellent du seizième siècle, Simon Goulard, on acquiert la certitude qu'il n'a modifié la description qu'il donne du même phénomène que pour la faire concorder avec l'image de la terrible comète.
"Le regard d'icelle, ajoute-t-il, donna telle frayeur à plusieurs qu'aucuns en moururent; autres tombèrent malades".
Le disciple de Lichtenberg, l'astrologue renommé, Petrus Creusserus, ayant soumis le phénomène terrible aux règles de son art, on en tira les conséquences qu'admettait la science menteuse de l'époque: ces pronostics étaient tels que les esprits les plus judicieux en furent troublés pendant près d'un demi-siècle. Lycosthènes n'avait signalé que les ravages de la Hongrie et le sac de Rome comme étant les suites infaillibles des événements annoncés par la comète de 1527. Au temps de Henri IV, Simon Goulard s'écriait: " Et qu'a vu, l'espace de 63 ans depuis, toute l'Europe, sinon les terribles effets en terre de cest horrible présage du ciel?... Après lui survindrent les terribles ravages des Turcs en Hongrie, la famine en Souabe, Lombardie et Venise; la guerre en Suisse, le siège de Vienne en Autriche, la suète en Angleterre, le desbord de l'Océan en Hollande et Zélande, où il noya grande estendue de pays et un tremblement de terre de huit jours durant en Portugal!"

(1) Prodigiorum ac ostentorum Chronicon. Basilcæ, 1557, in-fol.

Magasin pittoresque, juillet 1853.

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