Secrètes fiançailles.
" Y a-t-il vraiment des fiançailles secrètes?" me demandent quelques uns de mes lecteurs; mais certainement, il en existe et beaucoup plus qu'on ne l'imagine en général; mainte mère de famille qui croit son enfant libre de tout lien serait bien étonnée, bien contrariée aussi, sans doute, d'apprendre qu'elle a déjà échangé de graves promesses sans avoir pris ses conseils.
La chose se produit simplement, par l'entraînement de la jeunesse et la généreuse étourderie des cœurs naïfs.
Deux jeunes gens se rencontrent souvent: au bal, au tennis, dans des réceptions diverses; ils se plaisent, les occasions de se parler sont fréquentes; dans ces moments d'intimité, un incident insignifiant peut faire naître un aveu: que des mains se frôlent simplement et la jeune fille rougit, le jeune homme se trouble, cette gêne délicieuse leur semble l'indice d'un profond amour; et, sans prendre le temps de réfléchir, de consulter quelqu'un, sans se laisser le loisir de s'étudier sincèrement, tous les deux, avec une spontanéité d'enfants, se lient!
Ce mystère même donne à leurs fiançailles un charme étrange; il leur plaît d'être enchaînés déjà pour toute leur existence quand tout le monde autour d'eux les considère encore comme des enfants sans secret et sans arrière-pensée.
Il n'y a eu dans leur conduite aucune préméditation; une boucle de cheveux, la courbe conquérante d'une moustache, un rien délicieux a subitement déterminé l'explosion. Les bons conseils de leurs parents et ceux de Mme Elise les avaient trop bien avertis des précautions à prendre dans le choix d'un époux, pour qu'ils aient pu se dire délibérément: "Cet après-midi, ce soir, entre deux danses, je me lierai à jamais avec une personne que je connais à peine." Du tout.
Ils ont subi un entraînement et, mirage merveilleux, dès qu'ils se sont plu, ils ont cru, de la meilleure foi du monde, qu'ils se connaissaient véritablement l'un et l'autre.
Le temps passe; pour le jeune homme il s'agit de choisir une carrière; pour la jeune fille de s'établir; des circonstances indifférentes se coalisent pour les séparer. Ils se voient moins, ils s'écrivent; leur désespoir se traduit en phrases passionnées et imprudentes. Quand les parents sont mis au courant de ces fiançailles secrètes, cette tendresse soudain révélée leur paraît souvent trop profonde, trop avancée pour qu'ils osent s'y opposer.
Le mariage s'accomplit et songez que de part et d'autre le choix a été fait sans réflexion, dans un éclair d'émotion; les parents sont obligés d'accepter ce que les enfants ont étourdiment conclu.
Cette union sera-t-elle heureuse? C'est peu probable, car la belle fidélité des deux jeunes gens engagés en secret peut fort bien être qu'un entêtement sentimental et romanesque n'assurant en rien leur constance future.
Quel remède préventif doit-on indiquer pour ce genre de mal? La meilleure précaution à prendre, c'est d'inspirer aux enfants une confiance aveugle dans leurs parents.
Au lieu de les traiter en bébés qui ne peuvent encore songer à s'établir, la mère leur parlera souvent de leur futur mariage et les mettra surtout en garde contre cet entraînement juvénile qui néglige le contrôle de l'expérience maternelle.
Qu'elle se rassure, cette conversation ne sèmera pas dans le cerveau des rêveries prématurées; toutes ses pensées romanesques y sont écloses déjà; il faut qu'elle s'en empare, qu'elle les remette au point, et, surtout, il faut que par son indulgence éclairée elle provoque toutes les confidences.
Les parents pourront rompre ou encourager à leur gré ces fiançailles secrètes révélées au début; au bout d'un ou deux ans, il faut les accepter sans examen;
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 août 1903.
La chose se produit simplement, par l'entraînement de la jeunesse et la généreuse étourderie des cœurs naïfs.
Deux jeunes gens se rencontrent souvent: au bal, au tennis, dans des réceptions diverses; ils se plaisent, les occasions de se parler sont fréquentes; dans ces moments d'intimité, un incident insignifiant peut faire naître un aveu: que des mains se frôlent simplement et la jeune fille rougit, le jeune homme se trouble, cette gêne délicieuse leur semble l'indice d'un profond amour; et, sans prendre le temps de réfléchir, de consulter quelqu'un, sans se laisser le loisir de s'étudier sincèrement, tous les deux, avec une spontanéité d'enfants, se lient!
Ce mystère même donne à leurs fiançailles un charme étrange; il leur plaît d'être enchaînés déjà pour toute leur existence quand tout le monde autour d'eux les considère encore comme des enfants sans secret et sans arrière-pensée.
Il n'y a eu dans leur conduite aucune préméditation; une boucle de cheveux, la courbe conquérante d'une moustache, un rien délicieux a subitement déterminé l'explosion. Les bons conseils de leurs parents et ceux de Mme Elise les avaient trop bien avertis des précautions à prendre dans le choix d'un époux, pour qu'ils aient pu se dire délibérément: "Cet après-midi, ce soir, entre deux danses, je me lierai à jamais avec une personne que je connais à peine." Du tout.
Ils ont subi un entraînement et, mirage merveilleux, dès qu'ils se sont plu, ils ont cru, de la meilleure foi du monde, qu'ils se connaissaient véritablement l'un et l'autre.
Le temps passe; pour le jeune homme il s'agit de choisir une carrière; pour la jeune fille de s'établir; des circonstances indifférentes se coalisent pour les séparer. Ils se voient moins, ils s'écrivent; leur désespoir se traduit en phrases passionnées et imprudentes. Quand les parents sont mis au courant de ces fiançailles secrètes, cette tendresse soudain révélée leur paraît souvent trop profonde, trop avancée pour qu'ils osent s'y opposer.
Le mariage s'accomplit et songez que de part et d'autre le choix a été fait sans réflexion, dans un éclair d'émotion; les parents sont obligés d'accepter ce que les enfants ont étourdiment conclu.
Cette union sera-t-elle heureuse? C'est peu probable, car la belle fidélité des deux jeunes gens engagés en secret peut fort bien être qu'un entêtement sentimental et romanesque n'assurant en rien leur constance future.
Quel remède préventif doit-on indiquer pour ce genre de mal? La meilleure précaution à prendre, c'est d'inspirer aux enfants une confiance aveugle dans leurs parents.
Au lieu de les traiter en bébés qui ne peuvent encore songer à s'établir, la mère leur parlera souvent de leur futur mariage et les mettra surtout en garde contre cet entraînement juvénile qui néglige le contrôle de l'expérience maternelle.
Qu'elle se rassure, cette conversation ne sèmera pas dans le cerveau des rêveries prématurées; toutes ses pensées romanesques y sont écloses déjà; il faut qu'elle s'en empare, qu'elle les remette au point, et, surtout, il faut que par son indulgence éclairée elle provoque toutes les confidences.
Les parents pourront rompre ou encourager à leur gré ces fiançailles secrètes révélées au début; au bout d'un ou deux ans, il faut les accepter sans examen;
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 août 1903.
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