Brouette militaire.
Le but de cette brouette originale, exposée en 1878 dans la classe 63, est de résoudre le problème suivant:
"Comment soulager le fantassin du poids de son sac et de celui de son fusil, dans les marches, toutes les fois que les circonstances locales et les considérations de tactique le permettent, sans séparer l'homme ni de son fusil, ni de son sac?"
Avec cette ingénieuse invention, que deux soldats peuvent réaliser instantanément à l'aide de quelques accessoires, ils rouleraient leur fardeau devant eux sans fatigue, au lieu de le porter péniblement sur le dos. Ils échapperaient ainsi aux accidents qui leur surviennent souvent aux pieds, aux reins, aux hanches, aux épaules, par suite du poids de la charge et de la manière dont elle est portée.
Cette brouette sera-t-elle adoptée dans l'armée? Qui le sait? Dame Routine est bien forte et bien rétive à l'endroit des innovations. Avouons qu'elle a souvent raison, et que si elle n'avait pas l'oreille un peu dure aux appels des inventeurs, on entrerait dans un régime d'instabilité perpétuelle et fatigante. Elle finit cependant par être vaincue, avec le temps et la patience, lorsqu'on lui présente une innovation bien conçue dont l'expérimentation parvient à démontrer l'emploi comme avantageux et pratique.
Tel pourra être le sort de la brouette militaire. Il y a beaucoup à dire sur les avantages de cette combinaison; mais les gens compétents ont aussi des objections à pousser à l'encontre. On ne sera fixé à cet égard que par des essais prolongés confiés d'abord à des officiers sans parti pris. La prévention est favorable.
Notre recueil n'est point qualifié pour prononcer une décision; mais il demeure dans son droit en exposant de son mieux le système, et surtout en rendant justice à l'inventeur.
M. Bazin le déclare avec la plus entière franchise, il ne connaît ni le mouvement, ni l'esprit, ni les tendances de l'armée; mais on lui a signalé un problème, celui que nous avons posé aux premières lignes, et il s'est mis à l'oeuvre. Il croit l'avoir résolu, comme il en a résolu bien d'autres. Le fait est que c'est sa spécialité de résoudre les problèmes de mécanique et de science appliquée, de mettre en danse les forces mouvantes, de remédier aux difficultés, de combiner et de démêler, de simplifier le complexe et de grouper les éléments simples. Là est sa vocation. C'est un don du ciel qu'il prodigue depuis plus d'un quart de siècle, et que tout le monde lui reconnaît. Nous aurons l'occasion d'y revenir au sujet d'autres gravures de l'Exposition.
Pour former la brouette, il faut deux roues et un essieu en acier, avec clavettes et tiges de mêmes, et rondelles en caoutchouc; ajoutons un plateau en bois, une entretoise en acier recevant deux bouchons de fusils en bois, et deux lanières en cuir. Toutes ces pièces sont réparties entre deux hommes, et la surcharge pour chacun d'eux n'atteint pas 1.400 grammes. En moins d'une minute, la brouette est montée, avec les deux fusils pour brancard. Elle peut être employée par les troupes en marche loin de l'ennemi, sur un chemin entretenu. L'usage de ce véhicule permettrait de faire arriver jusqu'à la zone de la lutte active des troupes fraîches, non harassées sous la charge de leurs sacs et de leurs fusils. Il est vrai qu'à ce moment chaque homme aurait à porter 1.400 grammes de plus que les 24 kilogrammes dont il est aujourd'hui chargé. L'inconvénient balance-t-il l'avantage? L'expérience peut seule prononcer sur cette question. Un soldat fatigué du poids de 24 kilogrammes pendant quinze jours de marche, sera-t-il plus dispos pour la lutte en continuant à porter cette charge, qu'un soldat portant, il est vrai 1.400 grammes de plus, mais ayant marché sans charge pendant ces quinze mêmes jours? A vrai dire l'avantage nous semble rester à celui-ci.
Ne pourrait-on d'ailleurs, en reprenant sur le dos le sac et le fusil, déposer tout l'appareil de la brouette sur une voiture spéciale qui serait attachée à chaque bataillon? Une voiture suffirait d'après le poids de la brouette.
Reste à examiner la formation de marche d'un bataillon qui emploierait les brouettes. Nous ne pouvons entrer ici dans la solution de cette difficulté, qui a été levée par un officier avec les plans et les figures indicatives. Nous dirons seulement que les combinaisons de marche à la brouette, proposées pour le bataillon, n'allongeront en rien les colonnes d'infanterie sur les routes entretenues: c'est un point essentiel.
La brouette militaire est donc mûre pour des essais.
Un officier, très-partisan, il est vrai, de l'emploi de cet appareil, a répondu à l'objection qui se présentera la première: "De temps immémorial, dira-t-on le fantassin a toujours porté son sac." Des considérations historiques semblent démontrer le contraire. Nous les résumons.
Les Athéniens, les Spartiates, les Romains, chargeaient de leurs bagages les ilotes et les esclaves et arrivaient tout frais sur les champs de bataille. Lorsque l'admission des esclaves et des affranchis dans l'armée les obligea à porter eux-mêmes un fardeau, ils en rejetèrent autant que possible sur les valets qui suivaient en grand nombre les combattants, et d'ailleurs, ils étaient eux-mêmes des sortes d'athlètes rompus à tous les exercices de corps, auxquels ils se livraient constamment et avec ardeur. Le guerrier romain, que ses généraux exerçaient à faire de longues marches pesamment chargé, avait une force herculéenne relativement à la force moyenne de nos jeunes soldats.
Les populations barbares qui envahirent l'empire romain éraient précédés de guerriers qui ne portaient que leurs armes et leurs armures, et elles suivaient avec les chars à bagages
Les chevaliers de la féodalité n'avaient sur leur cheval que leurs armes de combat; les bagages et les lances de rechange étaient répartis entre les cinq à six hommes qui étaient sous leurs ordres et attachés à chaque lance.
Vers le milieu du quinzième siècle, l'infanterie était remise à l'honneur, les soldats de profession qui la composaient étaient des hommes robustes, faits aux fatigues et très-peu chargés, ainsi que le montrent des gravures du temps; d'ailleurs, à cette époque, on hivernait, on faisait les sièges dans la belle saison, on marchait peu et lentement.
Gustave-Adolphe, Turenne, Frédéric II, au contraire adoptèrent pour leur combinaison guerrières plutôt les grandes marches que les combats; mais leurs soldats n'étaient pas chargés.
Il en fut de même au début des guerres de la révolution.
Dans les marches célèbres de Napoléon 1er, les fantassins étaient, il est vrai, lourdement chargés; mais, d'après tous les mémoires et les récits du temps, on voyait les routes couvertes de traînards et d'éclopés derrière l'armée: c'étaient seulement des hommes exercés, résistants aux fatigues, qui prenaient d'abord part aux opérations urgentes de la lutte; les autres ralliaient successivement;
On a toujours vu depuis, jusqu'en 1870, que lorsque l'armée avait à faire des marches longues ou fréquentes, l'infanterie s’éclaircissait avec une déplorable rapidité, et les hommes restant dans les rangs étaient si fatigués, qu'au moment des coups de vigueur il fallait déposer les sacs en arrière, lesquels sont perdus si l'on est battu, et que dans le cas de victoire il faut reprendre avec perte de temps et fatigue.
Il y a lieu de se préoccuper d'un tel état de chose relativement à notre armée permanente, composée de soldats plus jeunes qu'autrefois, moins aptes à supporter les fatigues continues. Les préoccupations doivent être encore plus vives pour les réservistes et les territoriaux: ou l'on marchera peu pour conserver l'effectif, ce qui ne s'accorde pas avec la manière actuelle de faire la guerre, ou l'on marchera beaucoup, mais aux dépens de l'effectif.
Danger dans les deux cas! La brouette militaire pourrait résoudre cette situation embarrassante; il semble donc prudent et nécessaire de faire des essais suivis et sérieux.
Magasin Pittoresque, 1879.
Pour former la brouette, il faut deux roues et un essieu en acier, avec clavettes et tiges de mêmes, et rondelles en caoutchouc; ajoutons un plateau en bois, une entretoise en acier recevant deux bouchons de fusils en bois, et deux lanières en cuir. Toutes ces pièces sont réparties entre deux hommes, et la surcharge pour chacun d'eux n'atteint pas 1.400 grammes. En moins d'une minute, la brouette est montée, avec les deux fusils pour brancard. Elle peut être employée par les troupes en marche loin de l'ennemi, sur un chemin entretenu. L'usage de ce véhicule permettrait de faire arriver jusqu'à la zone de la lutte active des troupes fraîches, non harassées sous la charge de leurs sacs et de leurs fusils. Il est vrai qu'à ce moment chaque homme aurait à porter 1.400 grammes de plus que les 24 kilogrammes dont il est aujourd'hui chargé. L'inconvénient balance-t-il l'avantage? L'expérience peut seule prononcer sur cette question. Un soldat fatigué du poids de 24 kilogrammes pendant quinze jours de marche, sera-t-il plus dispos pour la lutte en continuant à porter cette charge, qu'un soldat portant, il est vrai 1.400 grammes de plus, mais ayant marché sans charge pendant ces quinze mêmes jours? A vrai dire l'avantage nous semble rester à celui-ci.
Ne pourrait-on d'ailleurs, en reprenant sur le dos le sac et le fusil, déposer tout l'appareil de la brouette sur une voiture spéciale qui serait attachée à chaque bataillon? Une voiture suffirait d'après le poids de la brouette.
Reste à examiner la formation de marche d'un bataillon qui emploierait les brouettes. Nous ne pouvons entrer ici dans la solution de cette difficulté, qui a été levée par un officier avec les plans et les figures indicatives. Nous dirons seulement que les combinaisons de marche à la brouette, proposées pour le bataillon, n'allongeront en rien les colonnes d'infanterie sur les routes entretenues: c'est un point essentiel.
La brouette militaire est donc mûre pour des essais.
Un officier, très-partisan, il est vrai, de l'emploi de cet appareil, a répondu à l'objection qui se présentera la première: "De temps immémorial, dira-t-on le fantassin a toujours porté son sac." Des considérations historiques semblent démontrer le contraire. Nous les résumons.
Les Athéniens, les Spartiates, les Romains, chargeaient de leurs bagages les ilotes et les esclaves et arrivaient tout frais sur les champs de bataille. Lorsque l'admission des esclaves et des affranchis dans l'armée les obligea à porter eux-mêmes un fardeau, ils en rejetèrent autant que possible sur les valets qui suivaient en grand nombre les combattants, et d'ailleurs, ils étaient eux-mêmes des sortes d'athlètes rompus à tous les exercices de corps, auxquels ils se livraient constamment et avec ardeur. Le guerrier romain, que ses généraux exerçaient à faire de longues marches pesamment chargé, avait une force herculéenne relativement à la force moyenne de nos jeunes soldats.
Les populations barbares qui envahirent l'empire romain éraient précédés de guerriers qui ne portaient que leurs armes et leurs armures, et elles suivaient avec les chars à bagages
Les chevaliers de la féodalité n'avaient sur leur cheval que leurs armes de combat; les bagages et les lances de rechange étaient répartis entre les cinq à six hommes qui étaient sous leurs ordres et attachés à chaque lance.
Vers le milieu du quinzième siècle, l'infanterie était remise à l'honneur, les soldats de profession qui la composaient étaient des hommes robustes, faits aux fatigues et très-peu chargés, ainsi que le montrent des gravures du temps; d'ailleurs, à cette époque, on hivernait, on faisait les sièges dans la belle saison, on marchait peu et lentement.
Gustave-Adolphe, Turenne, Frédéric II, au contraire adoptèrent pour leur combinaison guerrières plutôt les grandes marches que les combats; mais leurs soldats n'étaient pas chargés.
Il en fut de même au début des guerres de la révolution.
Dans les marches célèbres de Napoléon 1er, les fantassins étaient, il est vrai, lourdement chargés; mais, d'après tous les mémoires et les récits du temps, on voyait les routes couvertes de traînards et d'éclopés derrière l'armée: c'étaient seulement des hommes exercés, résistants aux fatigues, qui prenaient d'abord part aux opérations urgentes de la lutte; les autres ralliaient successivement;
On a toujours vu depuis, jusqu'en 1870, que lorsque l'armée avait à faire des marches longues ou fréquentes, l'infanterie s’éclaircissait avec une déplorable rapidité, et les hommes restant dans les rangs étaient si fatigués, qu'au moment des coups de vigueur il fallait déposer les sacs en arrière, lesquels sont perdus si l'on est battu, et que dans le cas de victoire il faut reprendre avec perte de temps et fatigue.
Il y a lieu de se préoccuper d'un tel état de chose relativement à notre armée permanente, composée de soldats plus jeunes qu'autrefois, moins aptes à supporter les fatigues continues. Les préoccupations doivent être encore plus vives pour les réservistes et les territoriaux: ou l'on marchera peu pour conserver l'effectif, ce qui ne s'accorde pas avec la manière actuelle de faire la guerre, ou l'on marchera beaucoup, mais aux dépens de l'effectif.
Danger dans les deux cas! La brouette militaire pourrait résoudre cette situation embarrassante; il semble donc prudent et nécessaire de faire des essais suivis et sérieux.
Magasin Pittoresque, 1879.
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