Pourquoi l'on divorce en Amérique.
Dans un précédent article nous avons conté quels singuliers motifs invoquent les Américains des deux sexes pour rompre la chaîne matrimoniale. Chaque courrier venu de là-bas nous apporte, par l'entremise des revues d'outre-Océan, de nouveaux exemples de la mansuétude des tribunaux rendant la liberté à qui sait se plaindre de sa moitié d'une façon ingénieuse ou comique. Divorcer est un jeu très américain. Esquissons encore quelques types de joueurs particulièrement drôles.
L'Homme ventilateur.
A Baltimore, c'est une dame qui accuse son mari de... ronfler. Le cas ne passe pas pour pendable en Europe! Mais il est des ronfleurs de puissances différentes. L'incriminé, au dire de sa femme, surpasse tous ceux que l'on a pu entendre jusqu'à ce jour. Son souffle soulève les rideaux du lit. Et les co-locataires du pauvre homme prétendent qu'il se livre à des expériences sur les moteurs, la nuit, tant il gronde avec ampleur.
- Mon existence, dit la dame est un supplice incessant. Dans toutes les maisons où nous fixons notre domicile le propriétaire nous accable de papier timbré!
Les magistrats délivrent la plaignante de son "orgue".
Dans l'Ohio, à Colombus, un mari demande à se séparer de son épouse parce qu'elle est trop propre. Ecoutez son réquisitoire:
- Sans doute, messieurs les juges, les motifs que j'invoque pour obtenir la rupture d'une union devenue odieuse vous semblent, à premier vue, fantaisistes. Oui, j'ose reprocher à ma femme les soins ridiculement méticuleux qu'elle donne à notre intérieur! Je vais brièvement vous peindre mon martyre:
" Je ne puis entrer chez moi sans piétiner, dix minutes durant, les trois paillassons que ma femme a disposés, l'un sur le palier, les deux autres dans le vestibule.
Et à peine ai-je mis le pied sur le parquet ciré et frotté par ma chère épouse, qu'il m'est impossible d'éviter la glissade. C'est un vrai skating! Et les amis qui viennent me rendre visite doivent, dès l'entrée, plonger leurs chaussures dans de grosses pantoufles de feutre pour ne pas se rompre le cou!
L'an dernier, l'excessive propreté de ma femme me valut deux entorses et un conflit dangereux avec l'angle d'une table. Je suppliai madame de frotter moins vigoureusement. Elle se mit en devoir d'user son parquet avec une énergie endiablée.
A table, autres chansons! Tout d'abord, il m'est interdit de m'asseoir deux jours de suite sur la même chaise, pour ne pas dépailler l'ameublement de notre salle à manger. Puis, je dois rompre mon pain sans faire de miettes. Pour une nappe tachée, je... je suis privé de dessert huit jours durant.
Ah, messieurs les juges, ma femme est si propre qu'elle essuie à l'aide d'un plumeau une aquarelle toute fraîche ou un pastel non encadré! Ma femme est si propre, messieurs du tribunal, qu'il me faut mettre, par son ordre, un bonnet de nuit pour ne pas salir la toile vierge de ses oreillers. Depuis cinq ans je subis semblable tyrannie!
Par Dieu, j'en ai assez de cette propreté. Rendez-moi la vie libre et insouciante des vieux garçons. J'aime mieux dormir sous un ciel de lit en toile d'araignée que dans la chambre préparée par ma chère épouse. C'est un dortoir pour les anges et je ne sais jamais où déposer ma culotte ainsi que mes chaussettes!"
Le tribunal remis son jugement à huitaine, un peu embarrassé par ce cas tout nouveau.
Les plaignantes.
Les plaignantes ne manquent pas, comme on l'imagine, de l'emporter sur les hommes dans l'exposé des motifs qui les amènent à fuir un mari détesté.
En 1902, on a compté, à Chicago, plus de deux cents divorces pour cause de mauvaise cuisine; c'est à dire que deux cents messieurs ont obtenu le droit de quitter leurs femmes trop dédaigneuses de leur mission culinaire.
Dans cette même ville, une dame demandait aux juges de la délivrer d'un époux trop gourmet.
- Messieurs, disait la femme, mon mari n'a aucune conscience de ses devoirs de chef de famille. Nous sommes riches l'un et l'autre et pouvons engager un cuisinier français. Mais, par tyrannie, M. Dabson m'impose la préparation des aliments et tempête si je "rate" les plats qui lui sont chers. Semblable existence n'est pas digne d'une femme telle que moi. L'équité du tribunal voudra bien m'en affranchir.
- Non pas, riposte le mari, le tribunal vous renverra à vos fourneaux. Je vous épousai, madame, parce que vous aviez acquis une réputation méritée dans l'art de lier les sauces et de rôtir à point un filet de bœuf. Vous connaissez mes goûts. Je suis gourmet, cela est vrai. Mon estomac pâtirait d'une cuisine qui lui serait étrangère. Et j'entends que vous me continuiez vos bons soins! La loi est formelle, madame. Elle enjoint aux épouses de préparer les mets nécessaires à l'alimentation du mari.
Le tribunal consacre cette thèse un peu égoïste.
- Soit, fait la dame, je saurais bien me venger.
- Madame, réplique le gourmet, au premier plat brûlé je confisque tous les romans et tous les journaux de mode qui, depuis quelque temps, ont pris le pas, chez moi, sur les casseroles!
Et ils s'en vont... toujours unis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 2 août 1903.
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