Vêtements décousus.
Nous tenons à honneur de ne pas nous présenter décousus à nos contemporains. C'est un genre. Est-ce le bon? Nous le croyons du moins. Pourtant tous les peuples ne sont pas de cet avis. Nous n'en voulons pour exemple, que la manière d'agir des Samoïèdes.
Ces peuplades, qui offrent beaucoup de traits de ressemblance avec les Lapons, se vêtent fort simplement et de façon à se conformer, autant que possible, aux exigences climatiques des hautes régions qu'elles habitent. Leur unique vêtement se compose d'une malitsa, pelisse de peau de renne, assez semblable à la touloupe russe, et dont la fourrure est tournée vers le corps. Cette pelisse, simplement ornementée d'une bordure de peau de chien, a des manches, mais, neuf fois sur dix, les Samoïèdes les laissent ballantes, prétendant qu'il vaut mieux rentrer les bras sous la fourrure même pour avoir plus chaud.
Le costume des femmes est un peu plus recherché. Une jaquette de peau de renne, serrée à la taille, remplace la pelisse. Cette jaquette s'élargit en forme de jupe et se termine aux genoux par une épaisse bordure en peau de chien. Quelques femmes même poussent la coquetterie jusqu'à porter des volants en peau de phoque ou d'ours et une manière de col replié, imitant, tant bien que mal, le boa des frileuses un peu plus civilisées.
Les Samoïèdes portent ce vêtement en toute saison. C'est assez peu dire qu'il ne brille pas par une propreté exemplaire. Les coutures, fatiguées, présentent même souvent de nombreuses solutions de continuité. Ce serait le cas pour nous autres, gens civilisés, de recourir aux habiletés de l'aiguille de notre ménagère. Les Samoïèdes n'ont garde d'agir ainsi; ils tariraient d'un coup une de leurs sources de plaisir.
Sitôt, en effet, qu'un Samoïède, ainsi décousu, sort de son isba (cabane), soit pour respirer l'air, ou pour aller faire une partie d'anneau ou de quilles au bâton, on voit un de ses camarades se glisser silencieusement derrière lui et, tout doucement, mettre un doigt dans un des nombreux trous que la malitsa présente sur l'épaule. Le doigt, amicalement remué, chatouille, le plus agréablement du monde, le promeneur décousu, qui bondit, et se tord dans un rire franc et sonore.
Si un salut en exige un autre, un plaisir reçu vaut bien qu'on le rende. Donc, dès que le chatouillé a cessé de rire sous la titillation aimable qui l'a surpris, il cherche à son tour quelques malitsa décousues sur l'épaule et introduit aussitôt son doigt dans la solution de continuité.
La plaisanterie devient un jeu auxquels s'amusent enfants et grandes personnes des deux sexes. Jeu si répandu que les parties décousues de la malitsa ont pris le nom typique de trous à caresse.
Peut-on trouver une façon plus gracieuse de désigner une négligence de ménagère?
Léon Trolley.
Journal des Voyages, dimanche 8 décembre 1889.
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