Le sans-gène dans la famille.
Avoir un chez soi, n'est-ce pas avoir une oasis confortable où l'on peut se laisser aller à sa fantaisie sans craindre de nuire à sa dignité, à sa réputation, à son intérêt? On y laisse de côté toute cérémonie, ce qui est charmant; on s'y montre tout à fait au naturel, ce qui est sincère: mais ce naturel est parfois un peu "débraillé" et rébarbatif. On songe rarement que le foyer est le centre de sa vraie vie et que, pour y trouver le bonheur, il faut savoir faire quelques sacrifices d'égoïsme à ceux qui nous entourent et nous préoccuper de les rendre heureux par le menu.
"Faire des frais pour les siens! mettre un sourire sur son visage lorsqu'on rentre au logis l'âme maussade et attristée, est-ce vraiment la peine et faut-il se fatiguer encore à cette contrainte inutile?"
Voilà l'apostrophe coutumière du mari grincheux. Qu'a-t-il à craindre, en effet, s'il se laisse aller à sa mauvaise humeur, s'il calme ses nerfs irrités aux dépens de ceux qui l'entourent? sa femme n'en remplira pas moins ses devoirs; le déjeuner sera prêt à l'heure, les vêtements bien entretenus et ses finances ne courront pas le risque d'être gaspillées par des mains indifférentes.
Ce raisonnement cynique dort (heureusement inconscient!) au fond de l'esprit de bien des hommes. Ils savent qu'ils ont à la maison une alliée sûre et fidèle dont l'intérêt est trop lié au leur pour qu'ils aient à craindre des défaillances. Peu importe qu'attristée par le manque d'attention de son mari la besogne ménagère lui paraisse lourde...
Son mari se borne à louer d'avoir une économe associée parfaitement sûre: "A-t-il le temps, en vérité, de songer à lui faire une existence plus agréable? lui refuse-t-il quelque chose pour la vie matérielle? Et que pourrait-il lui donner de plus?
Mais des riens qui font le charme de l'activité, lui faire entendre que vous sentez le confort et le calme dus à ses soins, lui parler de vos travaux, de vos joies, de vos découragements, lui dire pourquoi votre front est soucieux: vous mêlerez ainsi vos âmes et votre compagne sera ravie.
Ce qui se passe d'ordinaire est tout différent et la mère de famille laborieuse se rend bien compte qu'on ne veut pas faire l'effort de la distraire de sa monotone besogne.
De son côté, après quelques années de mariage, elle s'habitue bien à ne pas compter sur les amabilités de son mari; elle désapprend aussi, à cette école, les délicatesses qu'elle avait au commencement de leur"union". Elle ne se plus jolie pour plaire à son mari, elle ne se gène même pas pour porter une toilette qui lui déplaît. La grâce et le sourire disparaissent de son visage à la vue de son compagnon; et les paroles ingénieuses ou tendres qui réconfortent et chassent la peine, elle les oublie; elle ne met plus sur la table le mets préféré, les fleurs qui lui rappellent celles du jardin de grand-mère, quand il était petit. Elle ne lui prépare plus de surprises... idée enfantine, sans doute, mais qui prouve qu'au foyer on garde votre place et qu'on se promet, comme un fête, le spectacle de la joie que vous allez avoir.
Ainsi on laisse s'user toute la poésie, tout le charme de la vie à deux. On a pris l'habitude de se traiter l'un et l'autre comme "si l'on n'avait pas d'importance" et, sans qu'on s'en doute, on a fini par croire qu'un cœur dévoué n'est pas d'un prix immense, qu'il est acquis une fois pour toutes et que, pour le garder, il ne fallait pas faire quelquefois le sacrifice de son humeur et de ses aises.
Mais j'ai parlé pour des inconnus... Chez les lecteurs de Mon Dimanche, on ne gâche pas son bonheur par du laisser-aller; on tremble de perdre, par un manque d'attention, les affections précieuses du foyer; enfin, on garde ce que l'on a de meilleur pour la maison et pour les siens.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 mai 1903.
"Faire des frais pour les siens! mettre un sourire sur son visage lorsqu'on rentre au logis l'âme maussade et attristée, est-ce vraiment la peine et faut-il se fatiguer encore à cette contrainte inutile?"
Voilà l'apostrophe coutumière du mari grincheux. Qu'a-t-il à craindre, en effet, s'il se laisse aller à sa mauvaise humeur, s'il calme ses nerfs irrités aux dépens de ceux qui l'entourent? sa femme n'en remplira pas moins ses devoirs; le déjeuner sera prêt à l'heure, les vêtements bien entretenus et ses finances ne courront pas le risque d'être gaspillées par des mains indifférentes.
Ce raisonnement cynique dort (heureusement inconscient!) au fond de l'esprit de bien des hommes. Ils savent qu'ils ont à la maison une alliée sûre et fidèle dont l'intérêt est trop lié au leur pour qu'ils aient à craindre des défaillances. Peu importe qu'attristée par le manque d'attention de son mari la besogne ménagère lui paraisse lourde...
Son mari se borne à louer d'avoir une économe associée parfaitement sûre: "A-t-il le temps, en vérité, de songer à lui faire une existence plus agréable? lui refuse-t-il quelque chose pour la vie matérielle? Et que pourrait-il lui donner de plus?
Mais des riens qui font le charme de l'activité, lui faire entendre que vous sentez le confort et le calme dus à ses soins, lui parler de vos travaux, de vos joies, de vos découragements, lui dire pourquoi votre front est soucieux: vous mêlerez ainsi vos âmes et votre compagne sera ravie.
Ce qui se passe d'ordinaire est tout différent et la mère de famille laborieuse se rend bien compte qu'on ne veut pas faire l'effort de la distraire de sa monotone besogne.
De son côté, après quelques années de mariage, elle s'habitue bien à ne pas compter sur les amabilités de son mari; elle désapprend aussi, à cette école, les délicatesses qu'elle avait au commencement de leur"union". Elle ne se plus jolie pour plaire à son mari, elle ne se gène même pas pour porter une toilette qui lui déplaît. La grâce et le sourire disparaissent de son visage à la vue de son compagnon; et les paroles ingénieuses ou tendres qui réconfortent et chassent la peine, elle les oublie; elle ne met plus sur la table le mets préféré, les fleurs qui lui rappellent celles du jardin de grand-mère, quand il était petit. Elle ne lui prépare plus de surprises... idée enfantine, sans doute, mais qui prouve qu'au foyer on garde votre place et qu'on se promet, comme un fête, le spectacle de la joie que vous allez avoir.
Ainsi on laisse s'user toute la poésie, tout le charme de la vie à deux. On a pris l'habitude de se traiter l'un et l'autre comme "si l'on n'avait pas d'importance" et, sans qu'on s'en doute, on a fini par croire qu'un cœur dévoué n'est pas d'un prix immense, qu'il est acquis une fois pour toutes et que, pour le garder, il ne fallait pas faire quelquefois le sacrifice de son humeur et de ses aises.
Mais j'ai parlé pour des inconnus... Chez les lecteurs de Mon Dimanche, on ne gâche pas son bonheur par du laisser-aller; on tremble de perdre, par un manque d'attention, les affections précieuses du foyer; enfin, on garde ce que l'on a de meilleur pour la maison et pour les siens.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 24 mai 1903.
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