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vendredi 22 août 2014

Le carnet de Madame Elise.

Comment devons-nous plaire?

J'ai reçu d'une de mes lectrices une lettre bizarre et dont la teneur m'a profondément étonnée;
"Voudriez-vous, madame, me dit-elle, être mon guide moral et me conseiller en tout? J'ai à vous poser une question dont la réponse me préoccupe fort, et sera pour moi la sentence irrévocable et sans appel: dites-moi, je vous prie, à quel âge je dois renoncer à plaire, pour ne pas être ridicule?"
Voilà, je vous assure, une interrogation qui me déconcerte parce qu'elle me révèle un état d'esprit, un courant d'habitudes absolument contraire au bon sens et à la véritable politesse.
A quel âge une femme doit renoncer à plaire?
Mais à aucun âge! Mais n'est-ce pas l'un des rôles essentiels et primordiaux de la femme de se rendre agréable en toute circonstance, à toute époque de la vie et sans se lasser jamais?
Ce n'est pas que je m'égare sur le sens qu'il faut attribuer aux paroles de ma correspondante, mais je le réprouve de toutes mes forces et je veux le combattre ici.
La question telle qu'elle la comprend pourrait se développer de la sorte.
"A quel âge dois-je cesser de me friser, de me poudrer, de minauder, de serrer mon cou dans un carcan, de m'étouffer dans un corset, de porter des souliers trop étroits? A quel âge dois-je abandonner les coquetteries des jeunes, les sourires doux, les yeux caressants ou rêveurs?
A quel âge dois-je renoncer à la prétention et à l'espoir de faire tourner les têtes, ou battre des cœurs, d'occuper la pensée d'un homme, d'inspirer des vers." Etc.
Quand la limite qu'elle se sera assignée sera atteinte, cette même personne si vivante, si soignée, si parée abandonnera tout effort; elle se négligera et sa tenue, son esprit, son cœur perdront même cette légitime coquetterie qui accentue et rehausse le charme féminin.
Comme c'est mal comprendre la tâche de plaire dévolue à la femme que de la limiter à ces minauderies, à ces recherches de toilette, à ces poses sémillantes ou langoureuses dans lesquelles s'égarent la simplicité native de nos jeunes filles!
La femme doit plaire toujours, sans se lasser, mais avec des moyens différents que son âge autorise; lorsqu'elle n'aura plus de belles boucles blondes folâtrant sur un front de lis, qu'elle ait des cheveux gris, bien soignés, relevés avec noblesse sur un visage calme et souriant; quand elle n'aura plus l'entrain de la jeunesse qui la rend sémillante, elle s'efforcera d'avoir une expression bienveillante et gracieuse; quand elle aura perdu sa taille souple, elle mettra des vestes flottantes sans doute, mais si soignées, si bien faites qu'elle sera encore un plaisir pour les yeux.
A tout âge une femme doit s'appliquer à être agréable, charmeuse; à attirer les cœurs par ses qualités aimables; à séduire par le feu de sa conversation, par son esprit, son cœur.
Mais ce rôle si complexe et qui exige d'elle une attention soutenue, une volonté persévérante, un travail assidu n'atteindra vraiment toute sa grandeur que s'il est désintéressé; à aucun âge, pas plus dans sa jeunesse que dans sa maturité, une femme ne doit chercher à plaire dans le but pratique et précis de faire certaines conquêtes flattant sa vanité ou son intérêt; mue par un tel désir, elle serait forcément inégale et capricieuse.
Elle doit répandre autour d'elle un charme pénétrant comme une fleur répand son parfum, parce que c'est de son essence même, et la faire pour tous avec un délicieux naturel.

                                                                                                       Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 août 1903.

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