Un village sous les tropiques.
Voici un de ces gracieux village qui s'élève à l'ombre des palmiers, et qui, en maintes régions de l'Amérique, ont remplacé les habitations d'esclaves. Tout est riant, tout porte à des idées consolantes dans ces charmants paysages. Les noirs propriétaires de ces frêles maisonnettes n'ont plus à redouter le fouet du commandeur; leurs femmes n'ont plus à craindre qu'on vende leurs enfants à la criée.
Mais il faut le dire: il y a plus d'un genre d'esclavage; et on trouve sous ces climats, où tout invite à l'indolence, des esclaves de la paresse, des esclaves d'une puérile vanité, des esclaves frivoles du plaisir, pour lesquels les prévisions du lendemain n'ont jamais existé. Il faut cultiver ces âmes, les affranchir d'elles-mêmes, vaincre leurs instincts de race; ce sont des enfants dont il faut faire des hommes.
Plusieurs tentatives ont déjà réussi. En diverses contrées, les écoles où sont admis les enfants de couleur sont nombreuses et fréquentées. On a même réussi à initier parfois ces élèves aux éléments des sciences appliquées.
C'est ainsi que dans la vaste colonie de la Guyane, qui confine au Brésil, où l'esclavage est graduellement aboli, on a fondé, à la fin de 1865, un cours d'agronomie et un cours complémentaire, en admettant parmi les matière d'enseignement, nous dit un publiciste, "la mécanique, la statistique, la physique et la chimie." En agissant ainsi, ajoute M. Léon Rivière, "on a eu évidemment pour but de former la population créole aux arts professionnels, à faire de bons chefs d'atelier, capable de discerner ce qui constitue les travaux industriels, c'est à dire les actes où les perfectionnements peuvent être introduits. On a pensé avec raison que la science qui dirige les travaux de l'industrie est une partie essentielle des facultés industrielles; on ne fera pas de prime saut des ingénieurs, mais on leur ouvrira la voie des études scientifiques." (1)
"Cette mesure de l'administration, dit encore le même écrivain, ma paraît être très-bien étendue et répondre à un besoin réel. Les savants français ou étrangers ne font, en effet, que rarement, exceptionnellement, des voyages dans l'intérêt de la science, comme Humboldt, la Condamine, Schomburgk; quand on aura formé une génération guyanaise de chimistes, de botanistes, de mécaniciens, ils emploieront évidemment le temps qu'ils passeront dans leur pays à rechercher les matières minéralogistes et médicinales, les gommes, les huiles, les baumes, enfin tous les produits utiles dans leur application à l'industrie. on forcera ainsi avec le temps la Guyane à ouvrir ses mains, et il en sortira de l'or et des parfums."
La prévision s'est promptement changée en réalité. On sait que l'or sort du sol en quantité vraiment prodigieuse sur les rives de l'Approuage, où, durant des siècles, on a ignoré son existence. Notre colonie doit la découverte de ces gisements à un Indien portugais nommé Paolino, qui avait longtemps vécu au Brésil. Cet homme énergique y avait appris l'art, fort rudimentaire, à coup sûr, de recueillir la poudre d'or dans certains cours d'eau. "La conviction et la chaleur de ses paroles, nous dit M. de Bouglisse, firent passer une partie de la foi qui l'animait dans l'esprit du commandant de l'Approuage", et les mines d'or furent découvertes. D'après les chiffres publiés, dès l'année 1873, les placers de Guyane n'ont pas rendu moins de 832.344 kilogrammes d'or, dont la valeur, à trois francs le gramme, donne le total énorme de 2.497.032 francs (2).
Grâce à l'initiative d'un pauvre Indien, qui cependant nous a appris quelque chose, l'Eldorado de Walter Ralegh n'est plus un récit légendaire; maints villages des tropiques qui s'élèvent en ce moment sur les bords verdoyants de l'Approuage vont peut-être se transformer en petites cités florissantes. Une fois la fièvre de l'or passée, l'ardeur et le travail des populations se porteront, comme il est arrivé en Californie, vers l'agriculture et les industries utiles.
(1) Voy. La Guyane française en 1865. Cayenne, imprimerie du gouvernement, 1866, un-8.
(2) Le rendement du lavage des sables aurifères de l'Approuage et du Sinnamary a toujours été croissant. Durant les quatre premiers mois de l'année 1874, la production d'or n'a pas été inférieure à 459.707 kilogrammes équivalant à 1.300.954 francs. Au lieu de 1.300 ouvriers qui y étaient employés en 1873, on en comptait 2.000 en 1874.
Magasin Pittoresque, 1875.
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