Les quarante-cinq balles de Zacharof.
C'est un record. Depuis l'homme à la fourchette, on a souvent retiré de l'estomac des collections de couteaux, cuillers, clous, épingles, cailloux, verre, vieux débris de toutes sortes. Je me souviens d'un saltimbanque qui faisait métier d'avaler tout ce qu'on lui présentait. Après les cailloux, des morceaux de bouteilles, des vis en acier, des lacets de bottines... Et le curieux de tout cela, c'est que tous ces objets disparates s'installaient tranquillement dans les voies digestives et ne sortaient que rarement par les voies naturelles. Pourtant, à la fin, la collection devenait gênante, et son propriétaire avouait qu'il souffrait énormément. On était obligé, pour le sauver d'une mort certaine, d'avoir recours à l'intervention chirurgicale. On retira un jour, d'un professionnel, trois cent soixante grammes de matériaux de matériaux divers.
Le cas de Zacharof est encore plus extraordinaire. Il a été raconté par le docteur Lewoniewki, qui a soigné cet avaleur de balles de fusil.
Zacharof est un jeune cosaque de dix-sept ans. Il règne dans son pays une légende bizarre, mais bien dangereuse. Quiconque avale en secret des balles de fusil est certain de ne pas être tué par les balles de l'ennemi. Zacharof allait partir pour la Mandchourie, et, pour ne pas être tué par les projectiles des Japonais, il absorba, en plusieurs jours, quarante-cinq balles à enveloppe lisse du fusil russe.
C'était un peu lourd à l'estomac, car chaque balle pèse plus de treize grammes. Cependant, tout alla bien d'abord; mais, un beau jour, des douleurs très vives se manifestèrent. Zacharof était fort embarrassé, car, d'après la légende, il ne devait pas avouer qu'il avait avalé des balles; sinon, il n'eût pas été mis à l'abri des projectiles de l'ennemi. Il attendit, s'efforça de se débarrasser de sa collection. Peine inutile.Il tomba en syncope et on dut l'envoyer à l'hôpital.
La radiothérapie permit de dépister les balles; elles s'étaient agglomérées, sous forme de masse noire, tout près de l'anse intestinale. Quelque-unes s'en allèrent à la longue, mais le paquet résista. M. Lewoniewki dut se résigner à l'opération chirurgicale.
Le cosaque se porte bien, aujourd'hui. Mais il a bien juré qu'il ne recommencerait plus. Il avait avalé un poids de balles équivalant à cinq cent quatre-vingt huit grammes; plus d'une livre de plomb!
Henri de Parville.
Les Annales politiques et littéraires, Revue universelle paraissant le dimanche, 12 mai 1907.
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