La bonne ville d'Orléans.
La bonne ville d'Orléans n'a pas toujours été Pisa morta; elle a eu son temps de splendeur; elle fut un des noyaux de la monarchie comme en font foi ses armes, qui portent non seulement des fleurs de lis, mais des cœurs de lis, et nos ancêtres, qui ne reculaient pas, dans leur naïveté, devant le réalisme des comparaisons, l'avaient surnommé "le nombril de la France".
Ecoutez, à l'appui, ce qu'en disait M. Hanotaux, l'historien de Richelieu:
"En 1614, autour d'Orléans, on retrouvait une fertilité moins uniforme, les collines ombragées, la vigne. Les vins du pays avaient une grande réputation. Orléans attirait les étrangers, surtout les Allemands. Les privilèges accordés à la "nation germanique", qui faisait partie de l'Université, les y retenaient. Ils prétendaient aussi qu'Orléans était la patrie du beau langage, de l'orléanisme, comme on disait en Grèce atticisme. Ils trouvaient ses habitants "opulentissimes", ses monuments admirables, ses rues bien alignées et bien pavées, ses maisons élégantes, avec leurs salles garnies de nattes. Ils étaient d'avis qu'il y avait à Orléans plus de jolies femmes que nulle part ailleurs. En un mot, c'était la plus belle ville de France, selon le mot de Charles-Quint, qui disait avoir vu, dans ce royaume, cinq choses dignes de remarque: "Une maison, La Rochefoucauld; un pays, le Poitou; un jardin, la Touraine; une ville, Orléans, et un monde, Paris."
Outre ces mérites, la situation d'Orléans, au sommet du coude de la Loire, lui donnait une énorme importance. Dans les guerres civiles, la possession de son pont de pierre, garni de tours, avait été sans cesse disputée par les deux partis.
Bien que les grandeurs d'Orléans soient un peu déchues, il était, pourtant, bon de les rappeler. On a l'oubli trop facile du passé, chez nous; on néglige trop, surtout de la place de l'Opéra, ces vieilles cités fidèles, obscures aujourd'hui, qui ont été, qui sont encore les meilleurs morceaux de la bonne France, car Paris n'est pas la France, heureusement!
C'est la province que Paris raille et respecte malgré tout, qui est la France, la France territoriale et foncière, la France du blé, du vin, de la charrue, des paysans et des soldats, et, parmi les villes de province, Orléans restera toujours une des plus fameuses, une des plus touchantes, une des plus dévouées servantes par ses annales glorieuses, par les épreuves de fer et de feu qu'elle a traversé depuis Charles VII jusqu'à Herr von der Thann en 1870, où les petits-fils de ces Allemands, qu'elle accueillait autrefois dans ses universités, sont venus la bombarder, la rançonner et jouer leurs fifres insolents aux pieds de la statue de son héroïne.
Orléans est même un peu mieux qu'une ville, c'est un lieu de pèlerinage, presque un autel de la patrie; elle est honorée, béatifiée par le souvenir impérissable de cette Lorraine, la seule bien à nous, qu'on ne peut pas nous enlever.
Henri Lavedan.
de l'Académie française.
Les Annales politiques et littéraires, Revue universelle paraissant le dimanche, 28 avril 1907.
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