Souvenirs de Mi-Carême.
Si les origines du Carnaval remontent, pour ainsi dire, à l'aurore des premières civilisations, la "Mi-carème", proprement dite, est de date plus récente. Sans doute elle dut sa naissance à ce besoin d'une halte de divertissements durant la longue période d'abstinences et de renoncements, qui s'étendait du Mercredi des Cendres, de Carême-Prenant, aux premiers jours de Pâques. Conformément à une tradition en vigueur en de certaines provinces, les jeunes gens d'un quartier urbain ou d'un village champêtre offraient, le "Mardi Gras" de chaque année, un bal masqué aux jeunes filles, et celles-ci faisaient choix du troisième jeudi du Carême pour organiser des divertissements auxquels leurs cavaliers se trouvaient conviés.
C'était là une coutume fort répandue dans la classe populaire, et, comme les lavandières, les dentellières ou les marchandes des Halles se recrutaient de préférence parmi les filles d'artisans, la Mi-Carême passa insensiblement fête populaire par excellence.
Les blanchisseuses et les ouvrières se déguisaient fort volontiers, et leurs cortèges, renforcés de quelques jeunes apprentis, poursuivis des cris des gamins parisiens, parcourant les rues avoisinant la porte Saint-Antoine où fut, tant d'années, le rendez-vous des masques. Etienne Jeaurat, qui vécut au dix-huitième siècle, qui fut contemporain de Chardin, le Chardin du Bénédicité et de la Pourvoyeyse, a retracé, entre autres scènes populaires, le "Carnaval des rues de Paris".
Le carnaval, tel qu'il nous est ainsi représenté, ce n'est point, en temps de Mi-Carême, la fantaisie brillante et joyeuse qui régna pendant la régence du duc Philippe d'Orléans, à l'époque où les bals masqués de l'Opéra avaient lieu trois fois par semaine, avec un éclat toujours constant. Mme Du Barry domine Louis XV le Bien-Aimé, et cet empire de la favorite sur le souverain coûte cher à Jacques Bonhomme. Il n'a guère le cœur à la joie.
L'"allégresse fausse et mensongère" de quelques passants déguisés se poursuit donc surtout grâce aux subsides fournis par la police. Et il en fut ainsi jusqu'à la mort de Louis XV.
Mais que d'anecdotes intéressantes comportent ces mascarades de la rue, et que nous sommes obligés de passer sous silence, faute d'espace!... On nous permettra, du moins, de donner un souvenir de la Mi-Carême de 1832, de lugubre mémoire. Le choléra régnait, et, malgré le fléau, Rose Pompon et la reine Bacchanale firent la nique à la peur de leurs contemporains. Eugène Sue, dans son Juif errant, a écrit, sur ce sujet, des pages émouvantes et douloureuses, qui décrivent magistralement ces temps où le Carnaval fit fureur, plus qu'à aucune époque.
D'ailleurs, dès l'avènement de Louis-Philippe, dès la monarchie de Juillet, une frénésie de divertissements s'empara des Français. On dansa avec passion, on se déguisa avec entrain et l'on fit montre de cette joie exubérante dont les premières années du Directoire avaient déjà présenté le tableau.
Aujourd'hui, la "Mi-Carême" tend à remplacer le "Mardi Gras" d'antan. Si l'on rencontre individuellement moins de masques, les cortèges somptueux, nombreux, variés, répandent l'animation sur les boulevards, attroupent les passants et laissent aux contemporains l'illusion d'un "Carnaval" toujours vivant, toujours joyeux.
Edouard André.
Les Annales politiques et littéraires,Revue universelle paraissant le dimanche, 10 mars 1907.
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