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vendredi 6 novembre 2015

Courseulles.

Courseulles.


Nous voici de nouveau dans la période des mois en R, époque attendue chaque année avec impatience par les nombreux gastronomes amateurs d'huîtres; on sait que ces délicats mollusques ont été connus et appréciés dès la plus haute antiquité: les Romains leur rendaient justice et le général Lucullus, le vaillant adversaire de Mithridate, Lucius Nomentanus de friande mémoire, immortalisé par les satires d'Horace, en faisait grand cas; mais on doit une mention spéciale à l'empereur Vitellius, aussi célèbre par son appétit que pas ses cruautés, qui en absorbaient jusqu'à douze cents dans sa matinée. A une époque plus rapprochée de nous, on cite le général Junot, qui en avalait sans effort trois cents avant de se mettre à table.
La réputation des huîtres françaises date de l'époque gallo-romaine et, de nos jours, Courseulles possède des parcs renommés. Courseulles, appelée successivement Cursella dans une charte de 1176, Corceulle en 1266 et Courseulles en 1418, est mentionnée dans les Généralités de Normandie comme une paroisse considérable dont l'église dépendit longtemps de l'abbaye de Montmorel, fondée en 1180. Heureusement située à l'embouchure de la Seulle, ce village dut à cette circonstance la prospérité des parcs à huître qui y furent aménagés et qui ont fait sa célébrité, car si presque toutes les mers contiennent des huîtres, la qualité de celles-ci dépend de leur culture. (1)




Pendant les travaux d'installation, on trouva, dans le sable, des amphores romaines, dont plusieurs bien conservées, des médailles, des monnaies et nombre de planches en bois de chêne provenant sans doute du naufrage de quelque trirème.
Lors de l'occupation de la Normandie par les Anglais, ceux-ci entreprirent l'établissement de parcs analogues sur une petite plage voisine qu'ils dénommèrent Oyster Ham (port aux huîtres); c'est devenu Ouistreham.
Courseulles possédait, sitôt le XIIe siècle, une léproserie fondée par un sire de Peullent, seigneur du lieu, dont le castel figure dans une charte de 1371: c'était alors un manoir fortifié très important avec lequel il fallait compter, et qui eut à subir de furieux assauts de l'armée anglaise; le roi Charles V ordonna qu'il fut "suffisamment pourvu d'artillerie et de vivres pour résister contre la fortune du roy d'Engleterre (sic), si le cas s'offrait." Vers 1416, Raoul III de Meullent, baron de Courcelles, fut dépossédé de sa baronnie par le roi Henri V d'Angleterre, le vainqueur d'Azincourt. Cette seigneurie passa en 1651 au marquis de Leuville et demeura dans cette famille jusqu'en 1728; elles fut alors rattachée à la baronnie de Bernières, aux fiefs de Secqueville et de Langrune et le tout fut érigé en marquisat de Bellemare, en faveur de messire de Bellemare-Valhébert. A cette époque le château de Courceulles n'était plus celui qui avait glorieusement repoussé les armées anglaises; sous le règne de Louis XIII, complètement démantelé et presque en ruines, il avait dû être rebâti. On admire encore aujourd'hui son vieux colombier, un des plus remarquables de cette région: on sait qu'au moyen âge le "droit de colombier" était un des droits féodaux exclusivement réservés aux seigneurs hauts-justiciers.




En 1790, les habitants de Graye, petite commune située tout près de là, tentèrent de détourner à leur profit le cours de la Seulle, grâce à une tranchée qui leur eût donné une embouchure et un port; le 20 avril, après s'être réconfortés par un plantureux dîner, ils se mirent à l'oeuvre sous la direction de leur curé. Mais la nouvelle en arriva vite à Courseulles: aussitôt le tocsin sonne et les habitants, ou plus exactement, les vieillards, les femmes et les enfants, car tous les hommes valides étaient à pêcher le maquereau, se ruent sur leurs indélicats voisins et les mettent en fuite.
Cette aventure, qui donna lieu à un curieux procès interrompu par la Révolution, semblerait invraisemblable s'il n'était pas établi que le cours de la Seulle a subi à plusieurs reprises de notables déviations attribuées à des oscillations du sol, comme l'a remarqué l'éminent hydrographe, Bouquet de la Grye.

                                                                                                                   Tournal de Mauclair.


(1) C'est probablement à un amateur d'huîtres qu'on doit ce vieux proverbe:

"Si tu veux toujours être heureux
Va vivre entre Caen et Bayeux."

ce qui est exactement la position de Courseulle.

Le Magasin pittoresque, octobre 1913.

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