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vendredi 6 novembre 2015

La tyrannie du chapeau haute de forme.

La tyrannie du chapeau haut de forme.

On avait annoncé trop tôt la fin du chapeau haut de forme, de l'affreux "tuyau de poêle", parce que, de l'autre côté du détroit, Edouard VII avait préféré se coiffer, durant la season, du petit chapeau melon.
Avec l'hiver la mode nous est revenu du fantastique cylindre, du chimney pot, comme disent les anglais. On ne voit plus que "huit reflets" ou "tout-reflet" sur les boulevards, à la Bourse, au Palais, dans les réunions du monde. On vient même de lui assurer un nouveau triomphe. les cochers de corbillard, qui portaient si martialement le feutre des généraux et des huissiers, sont affublés maintenant du haut de forme abhorré.
Pourtant, une campagne des plus violentes avait été menée dans la presse contre le couvre-chef qui fit jadis la fortune de M. Gibus, le fameux chapelier de la place des Victoires. Inutiles efforts. Le haut de forme ne se trouve nullement menacé et il sera certainement de mise longtemps encore.
Il est vieux de plusieurs siècles déjà, et, si gênant qu'il soit, si laid, si contraire à toute esthétique, rien ne permet de supposer que la tyrannie de cette coiffure disgracieuse soit près de prendre fin.

L'origine du haut de forme.

Réglons à ce propos un point d'histoire. On a dit à tort que c'était la France qui avait jadis doté l'Angleterre du chapeau haut de forme. Il nous vint plutôt d'elle, comme le prouvent tant de portraits où l'on voit les anciens souverains de la Grande-Bretagne coiffés de cette manière.
Adopté par les Girondins et les Montagnards qui l'opposaient au tricorne de la contre-révolution, le chapeau "haut de forme" fut choisi parce qu'il représentait les idées nouvelles. Franklin le portait lorsqu'il vint à la cour de Louis XVI et la participation de la France aux guerres de l'indépendance américaine contribua à le mettre en honneur. L'Amérique d'ailleurs tenait ce chapeau de l'Angleterre elle-même où les puritains l'arborèrent. Ce fut aussi la coiffure des huguenots.
Mais jamais il n'en fut autant fabriqué que de nos jours. Actuellement, en une seule année, il en sort plus de 300.000 des formes de nos chapeliers qui occupent cinq à six mille ouvriers à cette confection. Quant au nombre des chapeaux "refaits" ou "retapés", il est à peu près du double, ce qui porte la consommation, si l'on peut s'exprimer ainsi, des chapeaux haut de forme pour Paris à environ un million par an.

L'impôt sur les chapeaux.

Sait-on qu'il fut un instant question, le plus sérieusement du monde, d'imposer le chapeau haut de forme? C'était en 1874, au moment où pour augmenter les revenus du budget on s'ingéniait à multiplier les impôts; l'auteur du projet de taxe sur les chapeaux de haute forme fut M. de Lorgeul, qui le présenta en ces termes à l'Assemblée Nationale:
"Les chapeaux de luxe, dits chapeaux haut de forme, seront soumis à une taxe de 2 francs; cette taxe sera perçue au moyen d'un timbre spécial, collé d'une manière visible au fond de tous les chapeaux."
On rit beaucoup de l'idée. Mais il y eut néanmoins discussion et ce n'est qu'après un débat que le projet fut repoussé. 
On parle aujourd'hui d'imposer les pianos, les corsets, etc., qui sait si l'idée d'un impôt sur les chapeaux ne sera pas reprise par les parlementaires d'à présent.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 13 janvier 1907.

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