Victorien Sardou.
M. Victorien Sardou vient d'être promu au grade de grand'croix de la Légion d'honneur. Tout le monde applaudira à cette distinction, la plus haute dont dispose le pouvoir, et qui couronne justement un demi-siècle de labeur infatigable et d'universelle renommée.
Comme l'écrivait, l'autre jour, son grand ami Jules Claretie, on pourrait relater sa carrière sous ce titre: Sardou, le travailleur. Car il n'a pas cessé de produire ni de manier, avec la même aisance, les plus divers objets de la pensée humaine. Observant tout, il a tout traité, et l'on peut dire, avec Anatole France, que "son esprit, orné comme un musée et animé comme un caravansérail" s'est surtout exercé en curiosité, pour tout savoir ou pour tout deviner. Quant à son cœur, si tous ceux qu'il a conseillés, guidés, obligés, s'avisaient de lui témoigner leur reconnaissance, c'est dans un véritable et volumineux livre d'or qu'on en découvrait la délicatesse et la bonté...
On a un peu raillé sa prétention de jouer au châtelain et de s'entourer, dans sa propriété de Marly, d'un luxe de grand seigneur ou de parvenu. D'abord on peut lui appliquer le mot de Talleyrand sur Thiers: "Ce n'est pas un parvenu..., il est arrivé!" Et puis ce n'est pas vaine gloriole que Victorien Sardou a accumulé ainsi, autour de lui, tant de richesses. C'est encore par curiosité.. Un érudit devient fatalement collectionneur. Et le châtelain de Marly l'est devenu de bonne heure, s'il ne l'a pas toujours été.
Dans les pires jours, il courait les marchands de curiosités et faisait son choix parmi les plus rares chefs-d'oeuvre; il ne lui manquait que l'argent pour les emporter!
Il montre, aujourd'hui, accroché dans son château, un Bernard Palissy superbe, qu'il a attendu dix ans. Et il est naturellement très fier des reliques historiques, des beaux livres, des autographes rares, de toutes les merveilles, en un mot que le succès de ses pièces lui a permis de réunir.
Voyez, sur la gravure ci-dessus, l'aspect fastueux de son salon. Les murs sont presque tous recouverts de tapisserie de Beauvais du dix-huitième siècle, admirablement conservées, avec toute le fraîcheur de leurs bergères joufflues et la gaieté de leurs paniers enrubannés débordant "des produits de Flore et de Pomone." Une pendule aux pilastres d'albâtre, aux enjolivements de bronze doré finement ciselés, se dresse majestueusement sur la cheminée, drapée, elle aussi, de tapisseries. C'est la pendule de louis XVI, qui ornait le cabinet du roi à Fontainebleau.
Ailleurs, ce sont des appliques de Ranson, une harpe dont joua Marie Leczinska, le traîneau du Régent et sa chaise à porteurs, et des Thonon, et des Debricourt, et des cartons bondés d'archives, et un petit Voltaire d'ivoire, etc, etc.
Victorien Sardou à conté lui-même qu'il lui a fallu se priver de voyages, de villégiatures ou de tout autre agrément et multiplier les heures de travail pour acquérir ces richesses. Eut-il donc si grand tort et comment ose-t-on, le lui reprocher?...
Henri Nicolle.
Les Annales politiques et littéraires, Revue universelle paraissant le dimanche, 13 janvier 1907.
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