Les dandys.
Sous ce titre, M. Jacques Boulenger vient de publier un volume intéressant et pittoresque où revivent les physionomies légendaires de Brummel, d'Orsay, Milord l'Arsouille, Barbey d'Aurevilly, etc... L'ouvrage est précédé d'une brillante préface de M. Marcel Boulenger qui définit le véritable caractère du "dandysme".
Voici de quoi rêver savoureusement et longtemps: un dandy! Qui ne s'est plu à se le figurer, cet être inimitable et mystérieux? Il vivait peut-être sous Louis-Philippe, ou sous Charles X.
On l'imagine confusément, avec sa haute cravate, sa taille étroite, son regard offensant et le geste parfait de sa main gantée. Est-ce bien cela? Ajoutons qu'il fréquente aux faubourgs et qu'il monte des chevaux anglais, qu'il méprise tout le monde et qu'on le recherche, cependant, avec passion, qu'il fait fureur et qu'il fait envie, qu'il étonna les poètes romantiques et passa, intolérable et charmant, sans daigner voir les belles éperdues qui se traînaient à ses pieds.
Toutefois, arrêtons-nous, c'est assez de légende. Faisons plutôt un peu d'histoire. On s'est beaucoup monté la tête, en vérité, depuis Barbey d'Aurevilly, touchant le dandysme et les dandys. Il y eut seulement, en Angleterre, au début du dix-neuvième siècle, un oisif, nommé George Brummell, qui devint extraordinairement illustre tant il s'habilla bien et tant il sut se montrer insolent. Ce fut le premier dandy.
Des disciples, après lui, copièrent cette attitude et poussèrent l'insolence encore au-delà, jusqu'à la grossièreté. Car telle est à peu près, en somme, le sens de ce mot d'outre-mer: les dandys, cela signifie les insolents. Or, Londres ne se tenait pas d'admiration devant ces extravagants gentlemen.
Que devaient faire, par conséquent, les "beaux fils" de la Restauration, puisque l'anglomanie, hélas!, sévissait déjà chez nous? Il va de soi qu'ils imitèrent scrupuleusement les dandys britanniques, prirent leurs tics, s'adonnèrent aux mêmes plaisirs, adoptèrent le même parler, les mêmes modes. Cependant le Français, vif comme la poudre, perçait, le plus souvent, sous le prétendu lord ou baronnet, et les jeunes étourdis de 1830 ressemblaient, il faut l'avouer, à des déguisés quand ils jouaient aux "fashionables".
Aussi bien le goût de se costumer me paraît-il en quelque sorte général, à cette époque. Feuilletez des estampes du temps. Que vous semble de ces gens-là? Voyez ces cravates ambitieuses, envahissantes, absurdes, ces cheveux en tempête, ces chapeaux gigantesques enfoncés jusqu'aux oreilles, ces redingotes à taille de guêpe, de teinte verte ou tabac mouillé, fumée d'usine ou vin bleu, ces pantalons trop clairs ou à mille rayures multicolores.
Observez, d'autre part, les immenses coiffures de ces dames, leurs panaches terrifiants, leurs jupes courtes de danseuses, les ballons de leurs manches.
Et comparez avec les vêtements brodés des siècles précédents, les manteaux à paillettes et à pierreries, les ajustements d'or sur or, brochés d'un certain or, etc... Que direz-vous d'une assemblée sous Louis XIV ou Louis XV? Qu'elle est fort parée.
Et de la foule qui assistait en 1836, par exemple, au premier Derby? Qu'elle est parée, elle aussi? Non pas. Qu'elle est fort bien habillée, en ce cas, fort bien mise? Non, pas davantage: ce sont nos compagnes, à cette heure, que les grands couturiers habillent avec talent, et ce sont nos messieurs corrects, impeccables et monotones, qui se trouvent parfaitement mis.
Mais il y a un mot pour qualifier la société de 1830, qui n'est plus somptueuse, et que ces modes bizarres rendent, néanmoins, si drôle et parfois charmante: nous dirons qu'elle porte crânement non ses parures ni ses habits, mais ses costumes; elle est costumée.
Marcel Boulenger.
Les Annales politiques et littéraires, Revue hebdomadaire paraissant le dimanche, 24 mars 1907.
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