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jeudi 30 avril 2015

Une montre du dix-septième siècle.

Une montre du dix-septième siècle.
de l'échappement à virgules inventé par Beaumarchais.



Le dessin suivant représente une montre en or du dix-septième siècle, sa chaîne, sa clef et son cachet. Le coq ou pont circulaire, placé à côté de la montre, prouve que les pièces accessoires du mécanisme intérieur n'étaient pas non plus dépourvus d'ornements ciselés et gravés.




Ces bijoux utiles, qui, pendant le seizième siècle, avaient affecté les formes les plus capricieuses, celle du gland, de l'olive, de la coquille, de la croix latine, reçurent, sous Louis XIV, la forme lourde et gênante d'une boule aplatie du côté du cadran.
Quelquefois on demande pourquoi les horlogers du dix-septième siècle, et même ceux du commencement du dix-huitième, ne firent pas des montres plus plates et par conséquent plus commodes que celles qui nous sont restées de ces époques. Voici ce que l'on peut répondre à cette question.
Les montres, avant l'invention de l'échappement à cylindre par Graham, avaient toutes un échappement à roue de rencontre, lequel par sa nature prend une très-grande place entre les platines du mouvement (1), ce qui oblige de laisser substituer un grand espace entre elles. D'un autre côté, le balancier, dont l'axe se trouve dans la position verticale relativement au plan de la machine, et qui est muni de deux palettes au-dessus  l'une de l'autre, lesquelles sont frappées alternativement par les dents de la roue de rencontre ou d'échappement; ce balancier, disons-nous, fait ses oscillations au-dessus de deux platines, et il est lui-même surmonté par le coq, dans le centre duquel roule le pivot supérieur de l'axe. On voit combien toutes ces pièces tiennent de place en hauteur dans l'économie du mécanisme: c'est ce qui explique la grosseur et la rotondité des montres dont le système est celui à roue de rencontre.
Si nous sommes parvenus à faire, à notre époque, des montres extrêmement plates, c'est grâce à l'échappement à cylindre (2); cet échappement a cela de particulier que sa roue, munie de petits marteaux que l'on distingue parfaitement en ouvrant une montre moderne, peut être extrêmement plate, et elle tourne parallèlement aux platines, ce qui permet de rapprocher celles-ci l'une contre l'autre autant qu'on le désire: alors on a un mouvement très-mince; il l'est d'autant plus que le balancier lui-même fait ses vibrations dans l'épaisseur de la platine supérieure que l'on a coupé circulairement pour cet effet. Quant au coq qui recouvre et soutient le balancier, il peut avoir moins d'une demi-ligne de hauteur. Disons d'ailleurs que, depuis longtemps déjà, on a supprimé dans le mouvement des montres la platine supérieure; elle est remplacée très-avantageusement par plusieurs petits ponts, entre lesquels fonctionnent les roues, les pignons et l'échappement. Cette disposition est encore très-favorable pour la fabrication des montres plates. Ce fut l'horloger Lépine qui, à la fin du dix-huitième siècle, inventa ce nouveau calibre; et les montres qui furent établies suivant ce système prirent le nom de montres à la Lépine.
Vers le même temps, on dut un autre perfectionnement à l'auteur du Mariage de Figaro, Pierre-Augustin Caron, qui était, comme on le sait, fils d'un horloger tenant boutique rue Saint-Denis, presque en face de celle de la Ferrronnerie. Il avait appris l'état de son père, et, à l'âge de dix-neuf ans, après bien des travaux pénibles, il était parvenu à construire un échappement nouveau d'une disposition très-heureuse, et qui produisit une grande sensation parmi les horlogers de l'époque.
Une roue plate et un balancier circulaire, monté sur un axe en acier, composaient cet échappement. La roue avait à peu près la forme d'un couronne autour de laquelle, de l'un et de l'autre côté, on avait fixé un nombre déterminé de petites chevilles ayant entre elles une égale distance et étant dans une position verticale, relativement au plan horizontal de la couronne.
L'axe du balancier portait deux pointes d'acier ayant la forme d'une virgule, et qui se dirigeaient horizontalement vers le centre de la roue en pénétrant entre ses chevilles. Lorsque cette roue tournait sur elle-même, entraînée par la force motrice, les chevilles poussaient alternativement, tantôt à droite, tantôt à gauche, les virgules de l'axe, et c'était là ce qui constituait les vibrations du balancier.
On comprend le jeu de cet échappement; voici quelles sont ses qualités: il est à repos comme celui à cylindre; il fait décrire au balancier de très-grands arcs qui s'accomplissent dans une remarquable uniformité de durée. Ces qualités n'existent pas dans l'échappement dit à roue de rencontre, lequel était à peu près le seul en usage à l'époque dont nous parlons.
L'horloger Lepaute, qui avait eu connaissance de l'échappement du jeune Caron, en comprit toute l'importance, et, l'ayant légèrement modifié, il s'en déclara l'inventeur. Caron indigné protesta avec énergie; Le paute maintint hardiment ses prétentions; les horlogers se séparèrent en deux camps; enfin l'Académie des sciences fut appelée à se prononcer entre les deux compétiteurs: les pièces du procès lui furent remises; une commission nommée par elle les examina; bref, après une enquête minutieuse, l'illustre compagnie déclara que Pierre-Augustin Caron était l'inventeur de l'échappement dont il était question.
Ce fut là le premier procès et le premier triomphe de Beaumarchais, qui en profita pour se mettre en évidence. Le roi Louis XV l'appela à la cour, le nomma son horloger. Madame de Pompadour voulut avoir une montre de sa façon, et celle que Beaumarchais lui fit, d'après son nouveau système, tenait dans le chaton d'une bague; elle fit l'admiration de la cour.
L'échappement à virgules n'est plus en usage aujourd'hui, parce que, outre qu'il est d'une pénible exécution, on lui a reconnu quelques défauts graves. L'huile s'y maintient difficilement, et les virgules, qui sont continuellement frappées par les chevilles de la roue, s'usent ou s'altèrent en très-peu de temps.
Il n'en n'est pas moins vrai que Beaumarchais, par sa remarquable invention, a rendu un très-grand service à l'horlogerie, car c'est peut être cette invention qui donna à Lepaute l'idée de l'échappement dit à chevilles, lequel est aujourd'hui employé avec succès dans les régulateurs astronomiques et dans les horloges monumentales.

(1) Les platines sont deux rondelles de cuivre fixées l'une sur l'autre et parallèlement, par quatre piliers. C'est entre ces deux platines que tournent les roues de la montre.
(2) On emploie aussi les échappements à duplex, à ancre et à détente à ressort; mais comme la fabrication en est difficile et très coûteuse, on les réserve pour les montres de précision.

Magasin pittoresque, mai 1853 ?

Le pavillon de l'Aurore à Sceaux.

Le pavillon de l'Aurore à Sceaux.


"Au milieu du potager est le très-admirable pavillon de l'Aurore, qu'on a ainsi nommé, non-seulement parce qu'il est au levant, mais parce que M. Lebrun y a peint la déesse Aurore.
"Ce pavillon est un édifice rond, qui a douze ouvertures, y compris celle qui sert d'entrée. Comme il est élevé, on y monte par deux escaliers, opposés l'un à l'autre. Il y a deux enfoncements qui forment deux cabinets, et dont les belles peintures sont de M. Lobel; ils se regardent et renferment trois croisées. L'un des cabinets représente Zéphyre et Flore; l'autre Vertumne et Pomone." (1)
Cette ancienne description est fidèle. Seulement le nouveau parc a envahi le potager et s'étend aujourd'hui jusqu'aux marches de l'escalier dont l'herbe et la mousse couvre la pierre. 



L'élégante rotonde n'est plus meublée que d'instruments de jardinage. La belle peinture de Charles Lebrun qui décore la voûte est presque invisible: plusieurs figures charmantes ont échappé cependant à la dégradation, et il serait encore très-possible de restaurer cette riche et noble composition qui heureusement a été gravée.
Huit jolies petites peintures au-dessus des fenêtres et des portes pourraient aussi être ravivées. Sur le petit plafond du cabinet à droite, la scène de Vertumne et Pomone a conservé toute sa fraîcheur; la moitié de celle-ci qui, dans l'autre cabinet, représentait Zéphyre et Flore, n'existe plus: le plafond est effondré.
A quoi tient-il que l'on ne répare pas ces outrages du temps? On admire, on regrette, on espère.

(1) Extrait d'Une promenade à Sceaux-Penthièvre, 1783.

Magasin pittoresque, juin 1853.

mercredi 29 avril 2015

Le château du Bec.

Le château du Bec.
     (Seine-Inférieure)



Le château du Bec est situé à seize kilomètres du Havre, dans une riante vallée que traverse la Lézarde, petite rivière qui prend sa source aux pieds des tours de cet antique manoir, et se jette dans l'Océan à Honfleur.
C'était autrefois une forteresse entourée d'eau vives, avec tours, mâchicoulis, meurtrières, pont-levis, et le reste. L'histoire de Normandie nous apprend qu'en 1415, lors de la prise d'Harfleur par Henri V, roi d'Angleterre, la forteresse du Bec subit la loi du vainqueur. Elle renonça dès lors à son caractère guerrier. Dominée de tous côtés, ce n'était pas une place tenable contre des machines à poudre: aussi laissa-t-on disparaître peu à peu ce qui n'avait été construit qu'en vue de la guerre pour conserver seulement ce qui était utile et pouvait plaire en temps de paix.



En 1066, ses possesseurs avaient suivi Guillaume le Bâtard à la conquête de l'Angleterre.
Le château avait porté successivement les noms de Bec-Vauquelin, Bec-de-Mortimer et Bec-Crépin, noms de trois des plus anciennes et des plus illustres familles de la Normandie.
On voit, par un acte de 1672, que Nicolas de Romé, seigneur de Fresquienne, conseiller au parlement de Normandie, en était alors possesseur.
En 93, on tint enfermés dans ses murs cinquante-six prêtres, gardés par trente hommes qui, chaque jour, étaient remplacés par trente autres; deux pièces de canons étaient braquées devant son élégante poterne; les eaux vives et abondantes qui entouraient cette prison improvisée suffisaient bien seules à la garde de cette phalange inoffensive, qui fut mise en liberté à la chute de Robespierre.



En 1814, le château du Bec était dans un état de délabrement qui menaçait ruine; des travaux intelligents rendirent habitables les parties les moins dégradées; mais ce fut seulement en 1847 que sa restauration fut entreprise. Aujourd'hui, ses belles allées, ses eaux limpides, sont pour les touristes et les baigneurs d'Etretat, un but agréable de promenade.

Magasin pittoresque, mai 1853.

Un procès criminel au dix-septième siècle. Part III.

Un procès criminel
    au dix-septième siècle.

               Part III.



L'innocent était donc mort, mais le criminel ne devait pas être sauvé. On n'avait pas pu corrompre tous les magistrats qui composaient la cour des monnaies; les preuves contre Duhan étaient trop fortes pour qu'on pût l'absoudre, et lui-même, vaincu par les remords, se défendait mollement du crime dont on l'accusait. Il fut mis à son tour à la question le 10 mars, avoua le vol dans tous ses détails, et fut condamné à être pendu et étranglé. Nous allons aussi faire connaître le procès-verbal de son interrogatoire, qui ne permet aucun doute sur sa culpabilité, et sur l'innocence d'Aubry.
" Luy ayant fait mettre les brodequins,
" Interrogé sur son nom, surnom, âge, qualité, demeure et lieu de naissance,
" A dit, après serment, se nommer Robert-François Duhan, contrôleur principal des guerres, âgé de vingt-huit ans ou environ, natif de Chartres, y demeurant ordinairement rue et proche les Trois-Degrés.
" Avant de mettre le premier coin, interrogé s'il a volé la lampe,
" A dit que oui.
" Interrogé de la manière qu'il a volé ladite lampe,
" A dit qu'il ne se souvient pas du jour qu'il l'a volée, mais qu'il s'enferma dans l'église sur les quatre heures après midi.
" Interrogé s'il était seul,
" A dit que oui.
" Interrogé si Jacques Aubry n'était pas son complice,
" A dit que non.
" Interrogé si ce fut lui qui acheta la corde,
" A dit que oui.
" Interrogé de qui il l'acheta,
" A dit qu'il l'acheta d'une cordière qui demeure à Chartres, à la porte des Epars.
" Interrogé de quelle manière il fit le vol,
" A dit qu'il n'eut pas besoin de la corde, d'autant qu'il trouva dans le chœur de ladite église une échelle qui lui servit pour monter jusqu'à la lampe.
" Interrogé comment il détacha la lampe,
" A dit que les anneaux qui étaient en haut de la lampe n'étaient pas soudés, il en ouvrit un avec un couteau.
" Interrogé à quelle heure il fit ledit vol,
" A dit que ce fut à onze heures.
" Interrogé s'il porta ladite lampe immédiatement chez lui,
" A dit que non.
" Interrogé là où il la porta,
" A dit qu'il la porta dans un endroit autour de l'église, près de la chapelle Saint-Jérôme.
" Interrogé où il l'a mit et s'il fit un trou en terre pour la cacher,
" A dit qu'il y a un petit mur par-dessus lequel il la jeta.
" Interrogé comment il fit pour aller la reprendre,
" A dit qu'il monta par-dessus la muraille pour la reprendre.
" Interrogé là où il la porta.
" A dit qu'il la porta chez lui.
" Interrogé ce qu'il fit de ladite lampe,
" A dit qu'il la cacha chez lui sous une galerie.
" Interrogé s'il ne l'a pas fondue,
" A dit que oui.
" Interrogé comment et où il l'a fondue,
" A dit qu'il la fondue dans une vieille maison qu'il a achetée depuis peu à Chartres.
" Interrogé en quelle rue est située ladite maison, et s'il y avait pour lors des locataires,
" A dit qu'elle est proche de la Poissonnerie, que c'est une vieille maison qu'il avait achetée pour faire un jardin, et qu'il n'y avait aucuns locataires.
" Interrogé si les lingots dont il a été trouvé saisi ne font pas partie de ladite lampe,
" A dit que oui.
" Interrogé ce qu'il a fait du surplus de ladite lampe,
" A dit que le surplus de ladite lampe  se trouvera chez lui, dans sa maison de Luisant.
" Interrogé encore une fois comment il a fait ledit vol et du nom de ses complices,
" A dit que c'est lui seul qui avait formé le dessein de faire ledit vol sans en avoir communiqué à personne; que la veille de Saint-Jacques il s'enferma dans un lieu assez retiré qui est derrière le chœur; que la nuit, sur les onze heures, il en sortit et fit le vol sans se servir de ladite corde, laquelle il avait mise sous un banc pour s'en servir en cas qu'il en eût besoin, que ce fut lui qui éteignit les cierges, qu'il porta l'échelle qu'il trouva dans le chœur contre l'ancien trésor, qu'il sortit ensuite par la porte royale qu'il trouva fermée seulement avec une serrure, laquelle il força avec un fer qu'il avait porté avec lui; que le restant de ladite lampe est dans sa maison de Luisant; que le gros lingot dont il a été saisi, il la jeté dans une martoise pour le fondre; qu'en sortant de l'église il alla pour rompre ladite lampe sur le bord de la fontaine Saint-André, et qu'il laissa tomber l'écusson qui s'y est trouvé; qu'il difforma seulement ladite lampe sans pouvoir la rompre, et qu'ensuite il alla la jeter dans le lieu indiqué ci-dessus; qu'il n'a aucun complice et que pas un des officiers de l'église n'a jamais su son dessein, lesquels se retirèrent chacun en leurs chambres sur les neuf heures du soir, et que, lorsqu'il les crut endormis, il fit ledit vol pour fondre ladite lampe; que l'on trouvera les cizoirs dont il s'est servi pour couper ladite lampe avec le restant d'icelle; que les voyages qu'il a fait à Paris, à Châlons, et celui qu'il voulait faire à Metz, étaient pour vendre plus facilement les lingots dont il avait été saisi.
" Au premier coin, a dit n'avoir aucuns complices et qu'il a fait seul ledit vol, ainsi qu'il nous l'a dit.
" Au second coin, a dit n'avoir aucuns complices.
" Au troisième coin, a dit n'avoir aucuns complices.
" Et étant ledit Duhan tombé en faiblesse et jetant une grosse écume par la bouche, nous avons ordonné au sieur Brache, chirurgien, de nous dire l'état auquel il est; lequel nous a dit que ledit Duhan est en danger, et qu'il ne croit pas qu'il puisse demeurer plus longtemps dans les tourments; pourquoi nous l'avons fait délier et lui avons fait ôter les brodequins et mettre sur le matelas.
" Interrogé de nouveau, sur le matelas, sur les faits mentionnés audit interrogatoire.
" A dit, après serment réitéré, le tout contenir vérité.
" Et, lecture faite, y a persisté et a signé."
                                                                                                 Rob.-Franç. Duhan.

Il semble que l'innocence d'Aubry devait être parfaitement démontrée et que la révision de ce procès inique ne devait rencontrer aucun obstacle. Cependant de si grands personnages étaient compromis dans cette scandaleuse affaire, qu'il fallut plus de dix ans à Anne Bastard, la veuve du soldat, pour obtenir la réhabilitation de son mari. Enfin, le 29 mars 1701, le roi lui octroya des lettres patentes ordonnant la révision du procès, et le 18 février 1704, après bien des embarras suscitées par les parties compromises, la chambre des Tournelles prononça un arrêt qui déclarait la mémoire de jacques Aubry déchargée de l'accusation, et permettait à la veuve de se pourvoir devant qui de droit pour les réparations, dommages et intérêts. Mais comme dans cet arrêt on avait traité la cour des monnaies de chambre, et ses arrêts de jugements en dernier ressort, les officiers de cette cour en rappelèrent, et les parties furent renvoyées devant le conseil privé qui, en 1706, confirma l'arrêt de la Tournelle.
Dans ses requêtes, la veuve Aubry demandait:
- que le chapitre fut condamné solidairement avec les sieurs Cousin, Dubuisson et Favières, et autres officiers de la cour des monnaies qui avaient assisté au jugement d'Aubry, à telle réparation qu'il plairait au roi et à son conseil arbitre, et en 30.000 livres d'intérêts civils;
- Qu'à leurs frais et dépens, il fut fondé à perpétuité une messe par chaque semaine pour le repos de l'âme d'Aubry, et qu'il fut mis dans l'église cathédrale de Notre-Dame de Chartres, au pilier le plus proche de l'hôtel de la Sainte-Vierge, une épitaphe en marbre blanc, dans laquelle serait fait mention tant de l'arrêt du parlement du 18 février 1704 que de celui du conseil privé.
Certes, ce n'était pas trop pour réparer une aussi monstrueuse iniquité; cependant il est permis de douter que la veuve ait obtenu ce qu'elle demandait. Il ne reste rien qui puisse servir à éclairer la fin de cette malheureuse affaire. Le registre capitulaire de 1706, qui sans doute faisait mention de tout ce qui s'était passé alors, a été enlevé; par un singulier hasard, si c'est un hasard, c'est le seul qui manque dans la série depuis 1693 jusqu'en 1790. Dans toutes les histoires de Chartres, généralement inspirées par le chapitre, il est bien fait mention du vol et de la condamnation de deux coupables, mais on ne donne pas de détails, et l'on ne dit pas un mot du procès de révision.
C'était donc une lacune qu'il restait à combler; un innocent qu'il fallait réhabiliter aux yeux de tous; mais ici heureusement il n'y avait pas besoin pour convaincre de l'éloquence des Lally ou des Voltaire; les faits suffisaient: ils portaient avec eux leur lumière.

Magasin pittoresque, mai 1853.

Un procès criminel au dix-septième siècle. Part II.

Un procès criminel
    au dix-septième siècle.

                 Part II.



Cependant Duhan, voyant que tant qu'il resterait à Chartres son vol lui serait inutile, feignit avoir été mordu par un chien enragé, et dit qu'il partait se baigner à la mer; mais, au lieu d'en prendre le chemin, il vint à Paris, et là, s'étant instruit de tout ce qui se passait au sujet de Duval et de Bridou, d'Aubry et de officiers de l'église de Chartres, il vit bien qu'il ne pouvait exposer des lingots en vente à Paris sans être reconnu. C'est pourquoi, il résolut d'aller vendre aux juifs de Metz ce qu'il en avait apporté. En y allant, il s'arrêta à Châlons, et l'envie d'acheter un cheval lui en fit exposer à un orfèvre la troisième partie d'un lingot. L'orfèvre, qui présuma que cet or pouvait provenir du vol dont il avait reçu avis, le remit adroitement au lendemain, sous prétexte de lui payer comptant un bon prix, et l'engagea à lui apporter tout ce qu'il pouvait en avoir; puis aussitôt il alla prévenir l'intendant, qui chargea le lieutenant criminel de Châlons de se trouver au rendez-vous. Duhan apporta les deux autres pièces du lingot; le lieutenant criminel survint, le fit fouiller, et l'on trouva sur lui six autres lingots, le tout pesant ensemble 8 marcs 2 onces 3 gros et demi. Interrogé, Duhan ne voulut pas dire son nom, déguisa sa qualité, soutint qu'il venait d'Angleterre, et fit plusieurs variations. Il fut emprisonné le 7 février 1691; alors il voulut corrompre le geôlier pour faire tenir une lettre à un procureur de Chartres, son parent, et s'efforça de briser la porte de sa prison.
Le lieutenant criminel de Châlons donna aussitôt connaissance de ces faits au lieutenant criminel de Chartres, et les commissaires de la cour des monnaies, voyant que le seul moyen de sauver Duhan était de trouver un coupable, firent venir Aubry en cour et l'interrogèrent sur la sellette le 15 février. Il leur fit les mêmes réponses qu'au maire de Loens; mais quoique son innocence fût évidente, le lendemain on le condamna à la question ordinaire et extraordinaire, et on lui fit donner le 17 du même mois. Nous rapporterons tout au long le procès-verbal de son interrogatoire, afin de montrer avec quel art avaient été combinées les réponses qu'on lui dicta pour prouver l'innocence de Duhan, en semblant accuser un autre Duhan, cousin de celui-ci, orfèvre à Chartres, homme parfaitement honorable qu'on était bien sûr de purger de l'accusation.
"Lui ayant fait appliquer les brodequins, nous l'avons interrogé sur son nom, surnom, âge, qualité, demeure et lieu de naissance.
"A dit après serment se nommer Jacques Aubry, soldat au régiment des gardes françaises, dans la compagnie du sieur de Cheviray, âgé de quarante deux ans ou environ, demeurant avant sa détention rue de la Corne, faubourg Saint-Germain, natif de Chartres.
"Au premier coin, interrogé si ce n'est pas lui qui a fait le vol de la lampe et avec qui il a commis ledit vol.
"A dit qu'il n'a point commis ledit vol, qu'il n'en est ni l'auteur ni le complice, et qu'il est innocent dudit vol.
" Interrogé si ce n'était pas lui qui a acheté la corde de la veuve Loreau avec laquelle le vol a été fait,
"A dit que non, et qu'il était innocent.
"Interrogé s'il n'est pas entré dans l'église de Notre-Dame le dimanche 23 juillet dernier avec son frère,
"A dit que non, et qu'il est innocent dudit vol.
"Au deuxième coin, a dit qu'il a volé la lampe, que c'est lui qui a acheté la corde, que ce n'est pas lui qui l'a prise, mais qu'elle y était, et que ce sont des soldats de revue du régiment de Champagne, qu'il ne connait pas et qui eurent conférence avec Duhan, orfèvre de Chartres, qui s'appelle le grand Duhan, et demeure dans la rue du Change; que desdits soldats il y en a un qui est tambour.
"Interrogé quelle part il a eue du vol,
"A dit qu'il n'a eu aucune part dudit vol.
" Interrogé comment lesdits soldats et lui enlevèrent la lampe,
"A dit que trois soldats de ladite revue s'enfermèrent dans l'église, ne sait comment ils la prirent, et qu'il était à la porte de l'église qui les attendait, et ils apportèrent ladite lampe.
"Interrogé si la corde qu'il avait achetée ne devait pas servir à faire ledit vol,
" A dit que oui.
" Interrogé s'il ne convint pas avec lesdits soldats de faire ledit vol,
" A dit que oui, et que ledit Duhan en dira plus de nouvelles que lui.
" Interrogé si ledit Duhan savait quelque chose du vol,
" A dit qu'il n'en sait rien, mais qu'ils portèrent ladite lampe chez ledit Duhan, ainsi qu'ils le dirent à lui répondant.
" Interrogé quelle route devaient tenir lesdits soldats pour joindre leur compagnie,
" A dit qu'ils passèrent par Illiers, le 23 juillet, qu'ils vinrent à Chartres, et devaient passer par Chartres et Montlhéry.
" Interrogé s'ils ne devaient pas passer par Abbeville,
" A dit qu'il n'en sait rien.
" Interrogé s'il ne sait pas que lesdits soldats ont vendu ladite lampe à Chartres,
" A dit qu'il n'en sait rien; mais qu'ils lui dirent qu'ils devaient chercher orfèvre, et qu'ils s'en allèrent chez un orfèvre dans la rue du Change, dans laquelle il n'y a d'orfèvre que ledit Duhan.
" Interrogé si ce n'est pas lui qui excita lesdits trois soldats à faire le vol, n'ayant pas d'apparence que des gens qui ne font que passer eussent pu former si promptement le dessein de le faire,
" A dit qu'étant avec eux dans l'église et leur ayant dit que ladite lampe était d'or, ils formèrent tous ensemble le dessein de la voler.
" Interrogé si, après ledit vol, ils n'allèrent pas rompre et partager ladite lampe sur le bord de la fontaine Saint-André, 
" A dit qu'il n'a fait aucun partage.
" Interrogé s'il n'alla pas souper chez le curé de Fontenay, et si le désir qu'il avait d'être petit oiseau n'était pas à dessein de se soustraire de la justice,
" A dit que oui.
" Interrogé si l'envie qu'il témoigna avoir de donner un coup de pied à Chartres et de savoir ce qui s'y passait était à dessein de savoir si on le soupçonnait dudit vol,
" A dit que oui.
" Interrogé s'il connait les nommés Duval et Bridou,
" A dit que non.
" Interrogé s'il n'y a pas quelque officier de l'église qui soit complice dudit vol,
" A dit que non, qu'il n'en a point connaissance.
" A lui remontré qu'il ne dit point la vérité sur le partage de la lampe, attendu qu'il n'y a pas d'apparence qu'il l'ait laissé emporté à ces trois soldats sans en avoir sa part.
" A dit qu'il n'en a rien eu du tout, qu'il alla chez ledit Duhan pour voir si lesdits soldats y étaient encore et quelle part il aurait.
" Interrogé s'il parla audit Duhan des trois soldats et du vol de ladite lampe,
" A dit que n'y trouvant pas les trois soldats, il ne parla pas audit Duhan, et qu'on pourra avoir des nouvelles des trois soldats à Illiers ou à Chartres, y ayant un tambour qui était vêtu de rouge.
" Interrogé s'il a dit la vérité,
" A dit que oui.
" Ce fait, avons enjoint au questionnaire de lui ôter les brodequins, ce qu'il a fait à l'instant, et a été mis sur le matelas;
" Lecture faite du présent interrogatoire, a persisté en iceluy, après serment réitéré, et a signé.
                                                                                 Jacq. Aubry, Dubuisson et Bataille.

Forts de cet aveu arraché par les tourments (1), Jacques Dubuisson, rapporteur du procès, et Cousin, président de la cour des monnaies, obtinrent, le 20 février, un arrêt du conseil en commandement qui leur donnait la connaissance de toute l'affaire et par suite du jugement de Duhan. Mais l'arrêt portait qu'on procéderait avant tout à l'interrogatoire et au procès de Duhan, si bien qu'Aubry n'était justiciable qu'autant qu'il serait trouvé complice de Duhan. Ce n'était pas là le compte des juges: aussi, sans s'attacher aux termes de l'arrêt, et bien que Duhan, interrogé le 2 mars, eût déclaré ne pas connaître Aubry, le lendemain, ils firent reparaître celui-ci sur la sellette et le condamnèrent à être pendu et étranglé à la place du Trahoir, ce qui fut exécuté le lendemain. Mais auparavant, on confronta Aubry avec Duhan, et tous deux déclarèrent de nouveau ne pas se connaître, et Aubry dit en outre qu'il était innocent, et que c'était par la torture qu'on lui avait arraché tout ce qu'il avait dit dans la question.

                                                                                                                       A suivre.

(1) Le roi savait à quoi s'en tenir sur la valeur de ces réponses faites sous les tortures de la question. Il s'exprime ainsi dans les lettres de révision accordées, le 29 mars 1701, à la veuve Aubry: "Soit qu'Aubry eût perdu la connaissance dans les douleurs, soit que son esprit en fût troublé, et par suite de la rigoureuse prison, ayant toujours été enfermé seul dans un cachot, soit que ledit Aubry n'ait pas su ce que contenait le procès-verbal de question qui a été dressé, il parait avoir avoué ledit vol, mais avec des circonstances si bien accommodées pour donner une fuite à Dahan, prisonnier à Châlons, qu'il est facile de connaître, par l'examen qui sera fait de tout le procès, que ce procès-verbal de question a été concerté." En présence de tels faits, on s'étonne que l'on ait pas aboli plus tôt cet usage barbare de la question, dont les bons esprits reconnaissent si bien, et depuis si longtemps, l'injustice et l'abus.

Magasin pittoresque, mai 1853.

mardi 28 avril 2015

Un procès criminel au dix-septième siècle.Part I

Un procès criminel
   au dix-septième siècle. (1)  
                      
                           Part I



En l'année 1620, le reine mère Marie de Médicis donna au chœur de l'église Notre-Dame de Chartres "une lampe d'or fin cizelé pesant 23 marcs, avec un dôme enrichi de peintures et de dorures, pour honorer les relicques qui y sont d'une des chemises et du laict de la Vierge mère de nostre sauveur."
Cette lampe, où brûlait jour et nuit un luminaire de cire blanche, pour l'entretien duquel la reine avait constitué, le 15 novembre 1621, une rente de 360 livres, n'était pas un des moindres ornements de la riche cathédrale et faisait l'admiration de tous ceux qui visitaient le saint temple. Malheureusement, elle devait aussi exciter la cupidité des voleurs; et le 25 juillet 1690, sur les quatre heures du matin, les officiers qui couchaient dans l'église s'aperçurent à leur réveil que la lampe avait disparu. Les cierges étaient éteints, et par ce qui en avait été brûlé, on pouvait juger que le vol avait eu lieu entre onze heures et minuit; une échelle placée contre le chœur indiquait assez comment le crime avait été commis.
On courut aux portes, on les trouva toutes fermées, à l'exception de la porte royale qui était encore entr'ouverte; on avait forcé une des mailles de la chaîne de fer qui tient la barre de ladite porte, et l'on s'était enfui par là. Grande fut la rumeur; aussitôt, à la requête du procureur fiscal, l'instruction criminelle fut commencée par le maire de Loens, juge naturel du chapitre de l'église de Chartres. (2) Les sept officiers qui couchaient dans l'église furent arrêtés et interrogés; ils convinrent n'avoir point fait de recherches le soir avant de se coucher et n'avoir point fermé la porte du chœur, du côté de la sacristie; ce qui donna lieu de décréter contre eux. 
Sur les onze heures du matin, on vint rapporter au greffe de la mairie de Loens un écusson en or, aux armes de Marie de Médicis, qu'un enfant avait trouvé le matin sur le bord de la fontaine Saint-André, et qu'on reconnut pour celui qui décorait la lampe volée. Le procureur fiscal se rendit à la fontaine et fit faire des recherches dans le ruisseau qui l'avoisine; on y découvrit un petit étau où il y avait une lime carrée, une autre lime plate, et des tenailles qu'on fit déposer au greffe.
Cependant le bruit du vol s'était répandu dans la ville, et aussitôt la voix publique en accusa Robert-François Duhan, contrôleur principal des guerres, âgé d'environ vingt-huit ans, homme de mauvaises mœurs, mais d'une des bonnes familles de la ville de Chartres; un de ses parents du même nom qui lui était dans le chapitre. La veille au soir, sa femme et sa servante avaient dit à plusieurs personnes que Duhan était sorti depuis longtemps et qu'elles l'attendaient; et sur le minuit les voisins l'entendirent rentrer et parler à sa femme. Plusieurs habitants demandèrent à voir les instruments déposés au greffe comme pièces de conviction, mais on leur refusa cette permission. On supposa que les chanoines, voyant les soupçons portés sur Duhan, cherchaient, par égard pour un homme dont plusieurs d'entre eux étaient parents, à détourner l'opinion publique et à sauver le coupable. On eût voulu assoupir l'affaire; et l'un des principaux du chapitre se rendit avec la mère de Duhan chez celui-ci, le suppliant de rendre la lampe, et qu'il n'en serait jamais parlé; que si elle était rompue, qu'il avouât son crime et que l'on se chargerait d'en refaire une semblable.
Duhan soutint son innocence; mais pendant ce temps l'instruction marchait, quoique lentement, et une nouvelle charge survint contre lui. On avait trouvé sous un banc une corde que le voleur avait sans doute apportée pour s'en servir au cas où il n'aurait pu avoir d'échelle; on se présenta chez plusieurs cordiers de Chartres pour leur faire reconnaître cette corde; et la veuve Loreau déclara, le 2 août, que c'était elle qui l'avait vendue à un homme vêtu de brun, ayant perruque et le visage picoté de vérole, ce qui convenait parfaitement à Duhan. 
Tout se réunissait donc pour accabler celui-ci; mais on tentait d'autant plus tous les moyens pour le sauver. Antoine Rigoullet, le chefcier, vint à mourir, et le maire de Loens, déclarant qu'on ne pouvait découvrir les coupables, voulut faire saisir les biens de Rigoullet et le rendre responsable de la perte de l'église. Les officiers se récrièrent contre une pareille décision, et en appelèrent au parlement pour déni de justice.
L'affaire se compliquait. Il fallait trouver un coupable: alors, le curé de Saturnin, de la ville de Chartres, ami particulier de la famille de Duhan, inspira à la veuve Loreau de revenir sur sa déposition de 2 août, et le 5 octobre, cette femme fort âgée et infirme (3), vint déclarer qu'après avoir rappelé ses sens, elle se souvenait avoir vendu ladite corde à jacques Aubry, dit la Chapelle, maître des œuvres de la charpenterie de la ville de Chartres et soldat aux gardes françaises en la compagnie du sieur de Cheviray; qu'elle était maintenant certaine que c'était bien à lui, parce qu'elle se rappelait parfaitement sa figure, l'ayant élevé dans sa jeunesse pendant qu'elle servait chez son père, hôtelier à Chartres. Aussitôt le chapitre envoya cette déposition au parlement.
Aubry était alors de garde à Versailles, près la personne du roi, et Louis XIV ayant appris cette dénonciation, ordonna au maréchal duc de la Feuillade, colonel des gardes françaises, d'examiner la conduite d'Aubry et de lui en rendre compte. Le duc de la Feuillade répondit qu'Aubry était un des plus sages du régiment, que hors le temps de ses gardes, il travaillait de sa profession de charpentier, que dans les guerres il avait fait plusieurs belles actions, et que, depuis ledit vol, il avait toujours été vu sans aucun or ni argent. Le roi, persuadé de l'innocence d'Aubry, dit au duc de la Feuillade de lui conseiller d'aller à Chartres se purger d'une aussi calomnieuse accusation. Aubry n'hésita pas; il alla se constituer prisonnier le 10 octobre, et le même jour il fut interrogé par le maire de Laens. Il répondit qu'il était venu à Chartres, le 22 juillet, par ordre et pour affaire de son capitaine, et pour vendre son office de maître des œuvres de charpenterie; que le matin du 24 juillet il était sorti de la ville, à neuf heures, pour aller dîner chez Simon Aubry, son frère, hôtelier au pont Tranchefétu, chez lequel il coucha la même nuit que le vol fut commis, dans une chambre où coucha aussi le sieur Caurvoilier, marchand de réputation à Chartres, et que le lendemain, jour de Saint-Jacques, il en partit à huit heures du matin avec sa belle-sœur pour aller à la grand'messe du village de Fontenay, où il fut vu par le curé qui le pria de dîner, et par tous les habitants; qu'il reconduisit sa belle-sœur avec laquelle il dîna, vint souper avec le curé, et retourna coucher chez Simon Aubry, au pont Tranchefétu.
L'innocence du soldat paraissait assez évidente d'après ses réponses. Cependant on le retint en prison et l'on ne fit aucune nouvelle instruction, espérant que le temps finirait par assoupir l'affaire.
Mais il arriva un incident qui servit de prétexte à la cour des monnaies de connaitre du vol de ladite lampe. Blaise Duval, orfèvre à Abbeville, porta des lingots d'or à la monnaie d'Amiens; et, sur les ordres donnés par tout le royaume d'arrêter ceux qui exposeraient de l'or fondu ou rompu, le lingot d'or exposé par Duval fut retenu à la monnaie d'Amiens, et le directeur lui donna une restriction pour en recevoir le prix à la Monnaie de Paris. Duval ayant envoyé ladite rescription à François Bridou, celui-ci fut arrêté à Paris, et Duval à Abbeville, d'où il fut depuis transféré à Paris. Ils avouèrent que l'or porté à Amiens provenait de pistoles d'Espagne et autres espèces que Duval avait fondues et que Bridou lui avait fournies. Il fut fait des essais de l'or qui se trouva au même titre que celui de la lampe volée, si bien qu'on les retint tous deux prisonniers.
La cour des monnaies commit alors, le 14 novembre 1690, Me Jean-Michel Favières, conseiller, pour informer à Chartres et décréter. Ce conseiller s'y transporta avec Deshayes, substitut du procureur général, et Edme Bataille, commis greffier; ils se firent représenter les procédures et l'instruction du juge de la temporalité, et s'en rendirent les maîtres; ils firent même une nouvelle information. Mais, soit qu'ils eussent été persuadés par les raisons du chapitre, soit qu'ils eussent été gagnés par une somme de 40.000 livres que donna la famille de Duhan, ils abandonnèrent l'accusation contre ce dernier, et firent transférer Aubry de Chartres à Paris pour continuer la procédure contre lui.

(1) Ce procès est peu connu même des Chartrains. Il n'a jamais été publié avec les détails que l'on trouvera ici. Ce document intéresse surtout par les incidents de la procédure, qui montrent de quelle manière on rendait la justice à la fin du dix-septième siècle. Il donne aussi une preuve nouvelle du peu de foi que l'on pouvait avoir dans l'odieuse pratique de la question.
(2) L'affaire était, en effet, tout ecclésiastique. Le lieutenant criminel du bailliage de Chartres s'était transporté sur les lieux et avait dressé son procès-verbal; mais ayant constaté que le vol avait été commis sans effraction, par des personnes enfermées dans l'église, il avait abandonné la connaissance de l'affaire au maire de Loens, seul juge en matière ecclésiastique.
(3) Elle fut nourrie jusqu'à sa mort aux frais du chapitre, dans la maison du sieur Lécuyer, bourgeois de Chartres.

                                                                                                                                              à suivre.....

Magasin pittoresque, avril 1853.

La course à âne.

La course à âne.


Les voilà près du but! Vainement l'un des concurrents excite de la voix et du geste sa monture haletante, l'autre lève les mains et pousse le cri de la victoire, et répond déjà aux acclamations de la foule.



Encore un instant, et, debout près de son âne, il va recevoir la récompense promise! Il fera le tour du cercle des spectateurs en écoutant leurs félicitations; il rentrera chez lui enrichi et glorieux comme un athlète des jeux Olympiques, tandis que maître Aliboron, le véritable vainqueur, retournera à son écurie pour y retrouver sa paille et ses chardons.
Triste symbole de la plupart des victoires remportées ici-bas! Qui de nous n'a ainsi confisqué à son profit des succès préparés ou conquis par d'autres? N'avons-nous pas tous un âne grâce auquel nous atteignons le but?
Généraux, que de vaillants soldats font triompher; capitaliste devenus millionnaires en utilisant pour vous les deniers que le pauvre vous confie; écrivains venus à point qui exploitez l'idée à laquelle cent autres ont préparé la voie; hommes d'état que l'engouement populaire porte au pouvoir; artiste qu'un heureux hasard prend en croupe et conduit brusquement à la célébrité; héritiers qui recueillez en dormant la fortune acquise par la patience laborieuse d'un parent inconnu: que de gens font la course à âne sans s'en douter!
Honneur du moins à celui qui, après la victoire, ne néglige pas sa monture! L'écueil ordinaire pour tout homme est d'oublier les humbles instruments de sa réussite! Depuis sa nourrice qui, en veillant à ses premières années, lui a assuré les forces dont il a profité, et le maître d'école qui lui a ouvert les premières portes du monde de l'intelligence, jusqu'au serviteur de tous les jours qui, en prenant à sa charge les détails matériels de la vie, lui laisse le loisir de penser, jusqu'à la foule d'éducateurs connus ou invisibles qui l'ont insensiblement fait ce qu'il est, combien de secours méconnus, de moyens oubliés! et qu'il est rare au moment des triomphes de se rappeler les modestes montures auxquelles nous les devons!
Ces réflexions, nous les faisions tout bas en suivant du regard une de ces courses d'ânes, si fréquentes en Italie et dans le midi de la France; elle ne nous empêchait pas de nous intéresser à la lutte de ces courageux animaux, calomniés par le préjugé populaire, mais réhabilités par Buffon.
Dans la plupart des provinces de la France, nous voyons l'âne surchargé de travail, mal nourri, mal soigné, livré à une espèce de mépris que n'a point dissipé son utilité; et nous ne pouvons, par suite, bien juger de son aspect, de ses instincts, ni de ses aptitudes. La race, abâtardie par notre faute, est loin de celle que l'on rencontre dans les contrées méridionales où nos préjugés ne semblent point avoir pénétré. Là, vous trouvez des ânes plein de feu, dont les formes délicates et le brillant pelage ne déshonoreraient aucun cavalier. Il serait à désirer que les encouragements donnés à notre pays, avec plus ou moins de succès, à l'amélioration des chevaux, se détournassent un peu vers cette race plus utile encore peut-être, en ce qui correspond aux plus humbles besoins et qu'elle est le recours obligé aux plus humbles laboureurs.

Magasin pittoresque, mars 1853.

lundi 27 avril 2015

L'empereur chinois Mien-Ning.

L'empereur chinois Mien-Ning.


Il est interdit aux chinois, sous des  peines sévères, de posséder des portraits de leurs empereurs. Cette défense donne lieu, dans les ateliers des peintres de Macao et de Canton, à un petit commerce frauduleux et secret qui produit d'assez beaux bénéfices. On y propose aux étrangers, comme étant un portrait de l'empereur, un personnage de fantaisie revêtu du costume impérial, et, grâce à cette supercherie, on vend de 12 à 30 francs une aquarelle sur moelle d' æschinomène qui vaut 3 à 6 francs.
Le dessin que nous reproduisons n'est point un de ces portraits de contrebande: c'est bien l'image fidèle de Mien-Ning, le prédécesseur de l'empereur régnant.



Le portrait original, de 21 centimètres de diamètre, appartient à Pann-se-Chinn, l'un des commissaires impériaux adjoints à Ki-Ing pendant les négociations avec M. de Lagrenée. Ce portrait fut fait à Pékin, au palais, durant une cérémonie religieuse, par un des amis de Pann-se-Chinn, haut dignitaire de la cour. Pann s'était lié d'amitié avec MM. J.-M. Callery, interprète de l'ambassade, le docteur Yvan et Natalis Rondot; il leur confia ce précieux portrait, qui était, selon son expression, ressemblant aux 8/10, et que M. Rondot a fidèlement reproduit.
Mien-Ning avait donné aux années de son règne le nom de taou-kowang (raison brillante ou lumière de raison) ; il était le 241e empereur de Chine, et le 6e empereur de race mandchoue et de la dynastie Ta-Tsing.
Il était né en 1780, d'un des fils de l'empereur Kaou-Tsoung (Kien-Loung), qui devint empereur en 1796, et régna sous le nom de Kia-King, jusqu'en 1820. Mien-Ning se distingua, avant son avènement au trône, en 1813, par un acte de courage.
Lin-Tsing, premier eunuque du palais, était devenu le favori de Kia-King, et avait acquis sur l'esprit de son maître un tel ascendant qu'il avait pris en main le gouvernement de l'empire. L'exercice du pouvoir exalta son ambition, et lui inspira le désir de s'emparer de la couronne en mettant à mort l'empereur et ses fils. Pendant que Kia-King et les princes étaient à la chasse, Lin-Tsing fit occuper les environs du palais par des troupes dévouées, et donna le signal de l'insurrection dès que l'empereur fut rentré. Mais à l'insu du rebelle, Mien-Ning était resté en arrière; il comprit le but de ce déploiement de forces qui allaient envahir le palais, aperçut à leur tête l'ambitieux eunuque, et, arrachant les boutons globuleux en cuivre de son habit, en chargea son fusil en guise de balles, ajusta Lin-Tsing et l'étendit mort. Aussitôt que les révoltés virent tomber leur chef, ils prirent la fuite.
Kia-King mourut en 1820; son fils aîné l'avait devancé dans la tombe, et Mien-Ning fut proclamé empereur le 20 août 1820. Il est mort à Pékin le 25 février 1850, le 14e jour de la 1re lune de la 30e année de son règne.
Ce règne marquera dans les annales chinoises. Douze ans après la révolte de Tchankor dans les provinces d'Ili, comprimée à la suite de combats acharnés, survinrent de graves événements. Pour la première fois, la Chine eut à soutenir une guerre contre une puissance européenne; vaincue, elle dut consentir à des traités onéreux. Cette guerre eut pour cause l'obstination des Anglais à introduire l'opium en Chine, et la résistance des autorités chinoises qui s'opposèrent, par des ressources énergiques, à l'importation et à la consommation de ce poison, et à l'exportation de l'argent donné en échange.
Les hostilités s'ouvrirent le 3 novembre 1839 par le combat naval de Chouen-pi. Le 5 juillet 1840, Ting-Haï était pris, l'île Tchou-san envahie; le 20 janvier 1841, l'île et le port de Hong-kong étaient cédés à l'Angleterre. La guerre éclata de nouveau le 23 février 1841, et elle fut cette fois vigoureusement conduite. En voici les faits les plus remarquables:


1841.

26 février. Prise des forts du Bogue.- 25-31 mars. Combats de Canton. La ville paye une rançon de 35 millions.- 27 août. Prise d'E-mouï.- 4 septembre. Combat de Cheï-pou.- 4 octobre. Prise de Ting-haï; occupation de l'île Tchou-san.- 10 octobre. Prise de Chen-haï. -13 octobre. Occupation de Ning-po.


1842.

10 mars. Combat de Ning-po.- 15 mars. Prise de Tse-ki.- 18 avril. Prise de Tcha-pou. -13 juin. Entrée dans le fleuve Yang-tse-kiang.- 16 juin. Prise de Wou-soung. - 19 juin. Prise ce Chang-haï.- 12 juillet. Entrée à Kiang-yin. -15 juillet. Entrée à Couin-chan.- 21 juillet. Combat et prise de Chin-kiang. 4 août. Arrivée devant Nan-king. -20 et 26 août. Conférence entre les plénipotentiaires anglais et chinois. - 29 août. Traité de Nan-king.

1843.

8 octobre. Traité de Hou-moun-chaï.

Les Chinois durent payer 125 millions de francs pour indemnités et frais de guerre, céder à l'Angleterre l'île de Hong-kong, ouvrir au commerce étranger les ports de Canton, Chang-haï, Ning-po, Fou-tchou et E-mouï, et consentir à un nouveau tarif de douanes
Il paraît que l'empereur n'a jamais connu dans toute leur étendue les progrès menaçants de l'invasion des Anglais, les défaites de ses armées et les sacrifices auxquels il fallut se résigner. Mien-ning eut dix enfants, sept fils et trois filles. Les trois aînés sont morts: le quatrième, I-tchou, l'aîné des fils survivant, est l'empereur régnant.

Magasin pittoresque, janvier 1853.

dimanche 26 avril 2015

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

Bientôt l'industrie n'aura plus de bornes, et au lieu des sept merveilles du monde, on en verra par centaines.
M. Lesseps propose de faire traverser les plus vastes déserts par des navires à vapeur, construits de manière à fendre les sables au lieu des eaux.
En même temps, M. Gamond, homme de talent, demande l'autorisation de construire un chemin de fer de Paris à Londres, passant sous le bras de mer. Au centre de ce vaste tunnel se trouveraient une station et un dock pour la marine.
Les plans de ces immenses travaux sont déjà faits et soumis à l'autorité.

*****

Une découverte scientifique d'un autre genre vient de causer un grand émoi.
Il y avait depuis dix mois, au dépôt de chemin de fer de Choisy-le-Roi, un tonneau venant de Paris et portant cette suscription: Bureau restant, sans aucune adresse.
Personne n'ayant réclamé cet objet, les employés reçurent l'ordre d'en vérifier le contenu. Le tonneau ouvert laissa voir un cadavre desséché.
Ce corps est celui d'une jeune femme, les organes intérieurs, qui eussent pu amener la décomposition ont été retirés; la peau parcheminée résonne sous les doigts. Les mains ont été enfoncées dans des ouvertures pratiquées dans les flancs, comme si on les tenait dans la poche. Avis aux savants.

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Sur le joli territoire de Bagneux, célèbre par ses guinguettes et leurs plaisirs champêtres, il vient d'arriver un malheureux et touchant événement.
Les frères Poulot, habitants de cette commune, étaient allés chasser dans le lieu dit la Voie de la Fontaine. L'un d'eux, âgé de 30 ans, tira un coup de fusil sur un corbeau, qu'il manqua. Il monta aussitôt sur un talus et rechargea le canon de droite, qui venait de faire feu, en laissant armé et amorcé le canon de gauche, qui était encore chargé. A peine cela était-il fait, qu'il saisit son fusil à l'extrémité du canon. Alors, sans qu'on sût comment, le coup partit, et il reçut la décharge en pleine poitrine.
Il tomba aussitôt, en criant à son frère resté au bas du talus:
- Viens vite m'embrasser, car je vais mourir!
En effet quelques secondes plus tard, il avait cessé de vivre.

*****

On a souvent à Paris d'étranges domestiques.
Le sieur M... , boulanger au faubourg Saint-Germain, avait à son service une veuve d'un certain âge. Un jour de fête, cette brave femme demanda à ses maîtres la permission d'aller prier sur la tombe du sieur D... , son défunt époux. La chose lui fut facilement accordée. Le soir, elle rentra complètement ivre. comme les prières et les larmes ne produisent pas cet effet-là, ses maîtres lui adressèrent une verte réprimande en lui donnant son congé.
Elle avait seulement les huit jours de rigueur pour chercher une place.
Le dernier de ces jours était arrivé et la domestique avait fait son paquet.
La dame M... étant dans une chambre qui donnait près du réservoir que les boulangers ont ordinairement chez eux pour la fabrication du pain, crut entendre que l'on touchait au couvercle de ce récipient.
Elle alla de ce côté, et vit la femme D... qui se retirait confuse. A toutes les questions qui lui furent adressées sur ce qu'elle faisait là, elle ne voulut rien répondre.
La boulangère, inquiète, fit venir les garçons et leur ordonna d'examiner l'eau qui se trouvait là pour la préparation du pain.
Alors ils découvrirent, au fond du réservoir, un vieux pot de la capacité d'un kilogramme, rempli d'une pâte phosphorée qui forme un subtil poison et dont on se sert pour la destruction des rats.
Cette bonne femme, parce que ses maîtres l'avaient renvoyée, voulait empoisonner tout le quartier.
Inutile de dire qu'elle a été aussitôt arrêtée.
A propos d'idées infernales, dans une de nos provinces retirées, on vient d'arrêter deux moines au moment où ils évoquaient le diable pour lui demander les moyens de découvrir des trésors. La chose ayant été trouvée peu orthodoxe, l'autorité ecclésiastique a fait mettre les deux moines en prison.

                                                                                                                          Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 3 janvier 1858.

jeudi 23 avril 2015

Cathédrale de Beauvais.

Cathédrale de Saint-Pierre
      de Beauvais.

L'ancienne cathédrale de Beauvais fut fondée vars l'an 991 par Hervée, quarantième évêque de cette ville, puis continuée par son successeur Roger, élu évêque en 996. Cette église, bâtie avec une certaine magnificence, fut incendiée à deux reprises différentes, en 1180 et 1225. C'est après cette dernière catastrophe que Miles de Nanteuil, évêque de Beauvais, entreprit d'élever l'église que nous voyons aujourd'hui, sur un plan beaucoup plus vaste que celle qu'elle était destinée à remplacer. Pour subvenir aux frais de cette construction, on décida de leur consacrer chaque année le dixième des revenus de l'évêque et des chanoines, et la première année de toutes les cures vacantes dans le diocèse.
Les piliers du chœur étant trop éloignés pour soutenir les voûtes, celles-ci s'écroulèrent à deux reprises, en 1272 et 1284. Ces accidents n'ayant que trop prouvé l'insuffisance des tirants de fer pour empêcher le déversement des piliers, qui, attendu leur immense hauteur, ne présentaient pas assez de résistance pour contre-buter la poussée des voûtes, on prit le parti d'élever entre les piliers d'autres piliers avec des arcades en ogives; on employa quarante ans à ces importantes réparations.
En 1339, on entreprit d'achever le chœur sous la direction d'un habile architecte, Enguerrand, dit le Riche. Mais les travaux, interrompus par les guerres contre les Anglais, ne furent repris qu'en l'an 1500 sous l'épiscopat de Villiers de l'Ile-Adam: ils furent alors confiés aux deux architectes Jean Wast, de Beauvais, et Martin Lambiche, de Paris. L'évêque de Beauvais accorda la permission de faire usage du beurre pendant le carême à ceux qui contribueraient par leurs dons à l'exécution de ce grand projet. Toutefois le premier élan étant passé, la libéralité des fidèles s'était ralentie, et les travaux étaient près de cesser, quand le roi Louis XII vint en aide à l'entreprise, en accordant le produit d'un nouvel impôt sur le sel, secours qui fut continué par son successeur François 1er. Après leur mort, les deux architectes furent remplacés par Jean Wast fils, et François Maréchal, qui achevèrent la croisée de l'église en 1555. A cette époque, il n'était bruit dans le monde chrétien et dans le monde artiste que de l'admirable coupole de Saint-Pierre, élevée par Michel-Ange. Les architectes de Beauvais, jaloux d'égaler la réputation de ce grand homme, au lieu de terminer la nef dont ils avaient déjà commencé une travée, construisirent au-dessus de la croisée un clocher pyramidal, vrai chef-d'oeuvre de délicatesse et de légèreté, élevé de 288 pieds, ce qui donnait, à partir du pavé, une hauteur totale de 455 pieds, 31 pieds de plus que la coupole du Vatican. Cette admirable flèche, dont la construction avait coûté treize ans de travail et des sommes énormes, ne subsista que cinq années. Elle s'écroula en 1573, le jour de l'Assomption, au moment où heureusement le clergé et le peuple étaient en procession dans la ville.
On s'empressa de déblayer l'église des décombres et de faire les réparations les plus urgentes. Pour fermer la partie centrale de la croisée que l'écroulement de la pyramide avait laissé à découvert, on construisit une voûte en bois semblable à celle du chœur. Le comble fut refait, et on éleva au-dessus un petit clocher couvert en plomb pour remplacer celui qui venait d'être détruit; en 1576, on y plaça quatre cloches qui avaient été bénies le 30 septembre de la même année. Les réparations furent faites au moyen des libéralités du roi Charles IX, et du cardinal Charles de Bourbon, alors évêque de Beauvais.
Les voûtes de la croisée, qui avaient été aussi endommagées par suite de cet événement, furent réparées jusqu'au portail de la rue Saint-Pierre, que l'on devait à la munificence du roi François 1er. Ce monarque voulut témoigner sa reconnaissance au chapitre de la cathédrale, qui avait offert à l'Etat une partie de ses richesses pour la rançon du roi, fit terminer ce portail au retour de sa captivité en Espagne. La croisée de l'église étant achevée, on continua à élever les deux premières travées de la nef du côté du chœur, dont les fondements avaient été jetés depuis longtemps. Malheureusement l'insuffisance des sommes destinées à cette immense construction força de suspendre les travaux, et de clore par un mur de refend, qui s'élève jusqu'à la voûte, cette partie de l'église restée imparfaite, et qui, selon toute apparence, ne sera jamais terminée; et c'est braiment bien dommage, car si la nef eût été continuée et achevée, la cathédrale de Beauvais eût pu rivaliser avec les plus beaux édifices gothiques, non-seulement de France, mais de l'Europe entière.
La façade principale donnant sur la rue Saint-Pierre offre tout ce que l'architecture gothique, quoique sur son déclin, pouvait réunir de richesse et d'élégance. Les deux piliers angulaires qui flanquent cette façade sont enrichis, dans toutes leur hauteur, de fleurs de lis, de salamandres, de couronnes royales, de colonnettes et de rosaces. Malheureusement, toutes les statues ont été mutilées à la révolution. La porte qui est de la même époque, est chargée d'ornements délicieux, où domine encore la salamandre, qui indique qu'elle fut exécutée sous le règne du roi chevalier. Le dessin des figures et des ornements paraît être du Primatice, ou l'un de ses meilleurs élèves; quelque uns en attribuent l'exécution à Jean Goujon.
La façade septentrionale, quoique datant également du XVIe siècle, est loin d'offrir la même richesse; Les grands contre-forts qui lui servent d'appui sont lisses et sans sculptures. Dans la lunette du portail, on voit un arbre généalogique dont les écussons ne portent aucune armoiries; on devait sans doute y sculpter celles des bienfaiteurs de l'église, lorsque les travaux furent interrompus.
Le pourtour de l'édifice est environné d'une multitude d'arc-boutants d'une structure hardie, dont les piliers butants, disposés en retraite, ont tous au moins 3 pieds d'épaisseur et sont surmontés de très-jolis clochetons. ces arcs-boutants servent à contre-buter la poussées des voûtes; ils sont maintenus dans leur écartement par de grosses barres de fer. Deux galeries placées, l'une à la hauteur des combles des bas-côtés, et l'autre autour du grand comble, servent à circuler sur l'édifice.
L'intérieur de la basilique, qui a 144 pieds de hauteur sous clef, sur 48 pieds de largeur, présente dix-neuf arcades en ogives, un rang de galeries, et un de fenêtres de très-grandes dimensions, dont les roses sont de la plus grande délicatesse; indépendamment de cette galerie, il en existe une autre petite encore au-dessus du pourtour des arcs ogives du bas-côtés qui environne le chœur, autour duquel sont neufs chapelles.
Quelques vitraux sont d'une belle conservation; on croit que ceux des roses du nord et du midi sont de Jean et Nicolas Lepot, célèbres peintres-verriers. Dans la chapelle de Saint-Pierre et Saint-Paul, un des vitraux offre une figure de saint Paul, qui rappelle par sa noblesse les apôtres de Raphaël; il est d'Enguerrand-Leprince, autre artiste fort habile, mort en 1530.
Le buffet d'orgue, dont l'origine remontait au XVIe siècle, a été remplacé en 1826 par un instrument dont la facture a été confiée à M. Cosyn. Le maître-autel et les peintures imitant des panneaux de menuiseries, qui servent de revêtement à la partie inférieure des colonnes du sanctuaire, n'offrent rien de remarquable, et les colonnes produiraient un meilleur effet, sans ces ornements parasites et de mauvais goût.



Sous le bas-côté gauche, celui que présente notre gravure est le tombeau en marbre blanc du cardinal de Forbin Janson, évêque de Beauvais, mort à Paris en 1713. La statue, agenouillée, est due au ciseau de Nicolas Costou. Ce monument est derrière le pilier qui occupe le milieu de notre gravure. A côté est une grande horloge fort curieuse, surmontée d'un couronnement gothique très-élégant.
Enfin, dans les derniers temps, on a élevé à droite de la partie existante de la grande nef un bel autel funèbre de marbres blancs et noirs, dont malheureusement l'architecture grecque n'est nullement en rapport avec le style du reste de l'édifice.
Telle est la description de cette belle cathédrale, dont le chœur sera toujours cité comme le nec plus ultra de la hardiesse et de l'élégance gothique. On connait le fameux dicton: Pour composer un monument parfait, il faudrait les clochers de Chartres, le portail de Reims, la nef d'Amiens et le chœur de Beauvais.

                                                                                                                    Ernest Breton.

Magasin universel, janvier 1837.


mercredi 22 avril 2015

Un homme qui voyait par le nez.

Un homme qui voyait par le nez.

Vers la fin du XVIe siècle, un habitant de la banlieue de Paris avait eu le malheur de perdre l’œil droit. Plus tard, il tomba d'un cerisier et son visage vint heurter un piquet. Le choc fut si violent que le nez, la joue et l’œil gauche avec ses deux paupières furent mutilés.
Un an plus tard, quand tout était déjà cicatrisé, notre homme, se chauffant au soleil, s'aperçut qu'il distinguait par la cavité du nez la clarté du jour et la couleur des fleurs qui l'entouraient.
Dès ce moment il s'exerça à regarder avec son nez qui devint pour lui l'organe de la vision. Il finit par distinguer tous les objets, pourvu qu'ils fussent placés en bas.
Le globe de l’œil n'avait été que déplacé.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 12 février 1905.