Pourquoi les Américains vénèrent les pattes de lapins.
Quand nous parlons, nous autres Français d'une patte de lapin, nous pensons tout de suite à l'usage traditionnel qu'on en fait dans les débits de tabac pour balayer les poussières qui s'accumuleraient sur le comptoir, et qui aurait le grave inconvénient de faire trop souvent éternuer la buraliste.
En Amérique, il ne faudrait pas essayer de leur donner un emploi aussi vulgaire. C'est que les citoyens des Etats-Unis ont un véritable culte pour les pattes de lapins.
Il y a environ un mois, un certain Wildner fut arrêté pour meurtre. Son cas était des plus graves, et il paraissait difficile qu'il échappât au châtiment suprême. Néanmoins, Wildner était très aimé des habitants de son village, et ceux-ci auraient considéré comme une calamité publique la condamnation à mort qui l'aurait frappé.
Cette sympathie pour le prisonnier se traduisit de la façon suivante. La veille de sa comparution devant les juges, Wildner reçut, d'expéditeurs anonymes, soixante treize pattes de lapins. Chaque patte était accompagné d'une lettre, non signée, dont l'auteur assurait à Wildner que, s'il avait dans sa poche le fétiche qu'on lui envoyait, il serait assuré d'être acquitté. C'était simple et de bon goût.
Wildner était fort superstitieux. Il endossa pour se rendre à l'audience, deux vestons et trois pardessus superposés, afin d'avoir assez de poches pour pouvoir porter sur lui les soixante-treize pattes de lapins.
Le plus extraordinaire, c'est qu'il fut acquitté.
Mon dimanche, revue populaire illustrée, 17 février 1907.
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