Translate

jeudi 2 février 2017

Le carnet de Madame Elise.

Dans le bon vieux temps.

Les soirées en famille sont délicieuses quand on sait les employer.
Travaux d'agrément, lectures sérieuses, douces causeries les remplissent au gré de notre fantaisie.
Rien n'est plus charmant que ces heures tranquilles, où l'on peut sans fatigue, sans souci de parade, se détendre et s'amuser.
De quoi parle-t-on en famille?
Des préoccupations journalières, des inquiétudes, des joies, des projets d'avenir, de tout ce qui fait le sujet des pensées courantes.
Mais, vraiment, on ne s'y entretient pas assez du passé.
Nous appartenons à notre patrie et son histoire nous passionne; comment ne pas nous intéresser à cette suite d'hommes qui furent nos ancêtres et dont l'existence, les saines doctrines, les valeureux travaux ont fait ce que nous sommes.
Au lieu de faire fi des traditions, de dire avec une sotte indifférence: "Ceci vient d'une de mes grand'mères," ingénions-nous à connaître, à distinguer les uns des autres de ces aïeux et ces aïeules dont nous sommes les héritiers en tout.
Combien y en a-t-il, parmi nos contemporains, qui connaissent le nom de jeune fille de leur grand'mère maternelle et de leur grand'mère paternelle, et pourtant cela ne remonte qu'à deux générations.
C'est une noble pensée que celle de faire revivre dans sa propre famille les anciens disparus et d'en conserver le culte.
On se sent moins perdu dans le temps, on se sent rattaché à un tronc, on comprend mieux sa destinée par l'étude de l'évolution des générations successives.
En regardant tel vieux sabre rouillé légué par votre trisaïeul, rappelez-vous les campagnes qu'il fit à la suite de Napoléon; rappelez-vous sa retraite héroïque, ses blessures, sa fin mélancolique dans un petit village que vous connaissez.
Dans l'étude des caractères (que vous faciliteront les vieilles lettres et les traditions recueillies pieusement), vous pourrez chercher les éléments qui vous ont plus particulièrement formés vous et vos enfants; votre aîné aventureux a les qualités audacieuses du vieux grenadier, le second est artiste à la façon de votre aïeule, qui vous a légué cette fine copie d'un tableau, faite en broderie à l'aiguille.
Revoyez-les dans leurs travaux discrets, dans la suite laborieuse et modeste de leurs jours; pensez à eux.
Ce souvenir est doux, un tantinet mélancolique, mais il a l'immense avantage de nous remettre au point. Il enlève aux choses présentes l'importance exagérée, exclusive que nous leur donnons.
Et puis, en même temps qu'il nous enseigne la reconnaissance envers nos ascendants pour tout ce qu'ils nous ont légué, il nous fait mieux sentir notre lourde responsabilité vis-à-vis de nos descendants en nous montrant de quelle tare, de quel fardeau nos fautes pourraient les charger.
Je vous assure, que sous la lampe de famille, c'est un des plus charmants et des plus utiles sujets de causerie que vous puisiez trouver.

                                                                                                                        Mme Elise.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 7 juin 1908.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire