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jeudi 16 février 2017

Ceux de qui ont parle.

Le maestro Léoncavallo.

Lorsqu'on commença à parler de M. Léoncavallo, ce fut pour dire qu'il n'avait aucun talent: c'est ainsi qu'il connut la célébrité. La critique parisienne ayant montré plus de franchise que tout autre dans ses appréciations, M. Léoncavallo en conçut un vif mépris pour la France et se rapprocha de l'Allemagne.




Est-ce sa valeur propre, est-ce comme il l'affirme, sa probité artistique, ou bien sa moustache en pointe et ses cheveux ondulés qui séduisirent le peuple allemand? Je crois que ce fut tout simplement la faveur qu'on vit l'empereur lui témoigner. Guillaume avait pressenti que cet homme aimable ne ferait aucune difficulté pour mettre son nom en bas d'une oeuvre composée par l'empereur, et il lui fit signer le Roland de Berlin, dont on a affirmé que M. Léoncavallo avait écrit seulement la musique, le livret étant de Guillaume II.
M. Léoncavallo a toujours eu du goût pour les consécrations officielles. Dans sa jeunesse il remporta, à seize ans, un premier prix de composition musicale au Conservatoire de Naples, puis il se fit recevoir docteur ès lettres... à Bologne. Au milieu de ses études, il composa Chatterton, son premier opéra, mais il ne put parvenir à le faire représenter.
L'Italie lui paraissant un terrain peu propice à l'épanouissement de sa gloire, il chercha un pays où les jeunes compositeurs fussent moins nombreux. L'Egypte lui parut convenir admirablement à ses débuts. Son oncle était un haut fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères de ce pays. M. Léoncavallo donna des concerts qui, la protection officielle aidant, eurent un certain succès. Le vice-roi allait même le pensionner mais les troubles qui survinrent alors (1882) en Egypte obligèrent l'artiste à chercher fortune ailleurs.
Il la chercha, sans la trouver, à Paris. Réduit à jouer dans les bals de banlieue, il s'estima heureux le jour où on l'engagea à l'orchestre de l'Eldorado. Le directeur de cet établissement lui donna même à orchestrer ou à mettre en musique des romances de Villemer-Delormel*, de célèbre mémoire dans les fastes du café-concert. A ses moments perdus, sans se décourager, M. Léoncavallo changeait sa lyre d'épaule, si je puis m'exprimer ainsi, et composait son opéra des Médicis, qu'il vendit peu après à un éditeur de Milan, Riccordi, pour deux mille quatre cents francs, et qu'il lui reprit plus tard pour huit mille cinq cents.
Las de la musique d'exportation, M. Léoncavallo était rentré an Italie. Il réussit à faire jouer à Milan en 1892 Paillasse (qui fut repris à Paris il n'y a pas longtemps), en 1893, les Médicis. Quatre ans plus tard, sa Bohème, jouée à Venise, lui valut son premier triomphe. M. Léoncavallo avait alors trente-huit ans.
Ils ne furent pas excessivement nombreux, jusqu'ici, les triomphes de M. Léoncavallo. Il pourrait les compter sur ses doigts. Mais cet excellent homme possède une âme si généreuse qu'il arrive à se réjouir des succès de ses confrères tout autant que des siens propres. Pour atteindre à ce beau désintéressement M. Léoncavallo ne s'inspire ni de l’Évangile ni de la religion de Bouddha: il se contente à l'aide d'un léger effort, d'imagination, de se persuader qu'il est l'auteur de l'oeuvre acclamée. Par exemple, l'un de ses rivaux les plus heureux, Puccini, a fait jouer avec succès une Manon et une Vie de Bohème. M. Léoncavallo, depuis ce temps-là, est tout fier et dit à qui veut l'entendre qu'il est bien content que Puccini ait réussi:
- Ce brave garçon! Ze lui ait refait le livret de sa Manon, qui n'était pas zouable. Il m'a cipé mon idée de mettre en musique la Vie de Bohème. Il ira loin s'il continue à m'imiter.
C'est à cette absence de fausse modestie que se font connaître les hommes de génie et les compositeurs de musique italiens.

                                                                                                            Jean-Louis.


M. Léoncavallo a la main large.

S'il est des gens qui ne gagnent pas à être connus, ce sont bien, n'est-ce pas, les huissiers?
Du temps où M. Léoncavallo accompagnait au piano les chanteurs du Point-du-Jour ou faisait valser les gens de Ménilmontant, de ces années pénibles où il se préparait par le bastringue à l'Opéra, l'auteur de Paillasse a conservé une profonde antipathie contre les huissiers et contre le papier bleu, exception faite pour celui qui sort de la Banque de France.
Il y a quelques années l'huissier d'une société de compositeurs dont M. Léoncavallo fait partie mourut.
Le secrétaire de la société, sachant que la famille du défunt était dans une situation de fortune très modeste, fit décider que la société prendrait les obsèques à sa charge et s'occupa de réunir les fonds nécessaires.
Quand il se présenta chez Léoncavallo pour lui demander son obole:
- Comment, s'écria le joyeux maestro, il y a donc des huissiers pauvres! Juste retour... Et vous demandez un louis pour enterrer ce pauvre homme unique en son genre.
Le voici: je le donne de grand cœur.
Il se frottait les mains, songeant tout bas: un huissier de moins!
Puis, brusquement, comme le visiteur se retirait:
- Et même, tenez, voici encore un louis. Enterrez-en deux!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 10 mars 1907.

*Nota de Célestin Mira:


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