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vendredi 10 février 2017

Le château de Pornic.

Le château de Pornic.


Pornic est une petite ville maritime du département de la Loire Inférieure, située sur la côte nord de la baie de Bourgneuf, à onze lieues de Nantes, et en face  de l'île de Noirmoutier. Elle est bâtie en amphithéâtre sur un coteau élevé de près de 80 pieds au-dessus du niveau de la mer, et se divise en haute et basse ville; quelques-unes des rues sont de véritables escaliers, et plusieurs maisons, semblables aux grottes creusées sur les rives de la Loire, aux environs de Tours, ont leurs jardins au-dessus des toits.
L'air y est vif et très-sain, aussi bien dans la ville basse que la ville haute; la bonne santé habituelle des habitants de Pornic doit être attribuée à l'aisance dont ils jouissent pour la plupart, à leur vie laborieuse et l'état de salubrité de la côte sur laquelle leur ville est située. Pendant la révolution, Pornic a été brûlée par l'armée vendéenne, commandée par Charette; depuis cette époque, elle a été entièrement rebâtie, et l'on peut dire qu'il y a eu émulation de la part des habitants pour l'embellir. Au sommet d'une prairie, renfermé dans la ville, on trouve un hôpital fondé en 1721.
Sur un des coteaux qui forment le port, on voit les ruines restaurées d'un ancien château, qui appartenait jadis aux ducs de Bretagne, et dans lequel ils entretenaient garnison depuis Pierre Mauclerc. Ce Pierre Mauclerc, tige des derniers ducs de Bretagne, fut le prince le plus spirituel et le plus habile de son temps, ayant plus de penchant vers le mal que vers le bien; et dans ce qu'il eut de bon, il se glissa toujours quelque vice pour en effacer le mérite; inquiet et turbulent, il eut presque toujours les armes à la main, et les employa tour à tour contre les ennemis de l'Etat, contre ses sujets, contre son roi, et contre les infidèles.




Le château de Pornic, abandonné depuis 1792, était dans un état complet de dégradation, car la guerre civile avait achevé la destruction de ce qui avait échappé au temps; il ne restait plus que quelques masures, asile des reptiles et des oiseaux de proie, lorsqu'en 1824 un habitant de Nantes forma le projet de soustraire au vandalisme les restes de cet antique monument, qui était encore remarquable par son heureuse situation, et par les ruines d'une tour désignée sur les nouvelles cartes comme l'un des points les plus essentiels pour les marins qui fréquentent la baie de Bourgneuf. Depuis on y a fait quelques constructions genre italien, en alliant autant que possible, le goût moderne avec les débris de cet ancien édifice qui doit dater du commencement du XIIe siècle; c'était l'une des nombreuses possessions de Gilles de Laval, seigneur de Retz, trop fameux sous le nom de maréchal de Retz.
Dirons-nous la vie de ce maréchal de Retz. Né vers l'an 1396, il perdit son père vers l'âge de vingt ans, et servit d'abord le duc de Bretagne, son souverain. Etant passé sous le gonfanon fleurdelisé du roi de France, Charles VII, il emporta d'assaut le château de Lude, dont il tua le commandant. En 1420, il fut l'un des principaux capitaines qui aidèrent Jeanne d'Arc à faire rentrer des vivres dans Orléans; il était, ainsi que son frère René, sire de Laval, l'un des chefs de l'armée qui accompagna le roi à Reims pour y être sacré, et à cette occasion il fut nommé maréchal de France. En l'élevant si jeune à cette dignité, peu prodiguée alors, on ne considérait pas moins l'éclat de ses services que celui de sa naissance: il est certain qu'il était décoré de ce titre au sacre de Charles VII, et que ce fut lui qui apporta la sainte ampoule de l'abbaye de Saint-Remi à l'église métropolitaine. 
Ici paraît finir la carrière honorable du maréchal de Retz; il ne nous reste plus que la tâche pénible d'offrir le tableau de ses extravagances, des vices et des crimes monstrueux qui ont plus contribué que ses exploits à sa malheureuse célébrité. Héritier à vingt ans d'un patrimoine considérable, il était devenu l'un des plus riches seigneurs du royaume, en 1432, par la mort de Jean de Craon, son aïeul. On évaluait sa fortune à 300.000 livres de rente qui ferait plus d'un million d'aujourd'hui, sans compter les profits de ses droits seigneuriaux, les émoluments de ses charges et un mobilier de cent mille écus d'or; mais il eut bientôt dissipé la plus grande partie par ses prodigalités, son faste et ses débauches. Il vendit à Jean V, duc de Bretagne, plusieurs de ses propriétés, parmi lesquelles on distingue le château de Pornic.
Il ne tarda pas à s'adonner à la magie, promettant tout au diable, même son âme. Ce fut à cette époque qu'il commença à immoler des enfants, pour employer leur sang et leur cœur dans ses charmes diaboliques; ses gens attiraient dans ses châteaux, par quelques friandises, les jeunes garçons du voisinage, et on ne les revoyait plus sortir. Le scandale fut si public et les réclamations si nombreuses, que Gilles de Laval fut déféré à la justice. Arrêté au mois de septembre 1440, il fut enfermé avec deux de ses complices dans le château de Nantes. 
On frémit d'horreur en lisant les détails obscènes et atroces de cet épouvantable procès, dont l'instruction dura un mois; le nombre de ses victimes paraîtra incalculable, si l'on considère que les massacres eurent lieu presque sans relâche dans plusieurs de ses domaines, et qu'ils durèrent huit ans, selon ses propres aveux. Pour dérober les traces de ses cruautés, il faisait précipiter les cadavres dans les fosses d'aisance quand il était en voyage; mais dans ses châteaux, il les brûlait et en jetait les cendres au vent. Convaincu de tant de forfaits, le maréchal de Retz fut condamné à être pendu et étranglé avec ses deux complices; l'exécution eut lieu à Nantes le 25 octobre 1440, dans la prairie de Biesse, remplacée par une rue qui porte aujourd'hui ce nom, à l'entrée du pont de la Madeleine.
Le château de Pornic était alors aux mains des ducs de Bretagne. A côté de ce vieil édifice, on voit une croix de pierre, plantée dans une position oblique; cette croix, on ne sait pour quel motif, se nomme la croix des Huguenots. L'entrée du port de la petite ville de Pornic a environ 200 toises de largeur, et se prolonge sur une longueur de 600 toises entre deux coteaux hérissés de rochers, jusqu'à la ville qui en forme le fond, et dont la situation en amphithéâtre offre un aspect pittoresque. Une écluse, construite au fond du port, retient l'eau de la rivière de Haute-Perche, ainsi que celle qui y introduisent les marées et permet de remonter ce canal à environ deux lieues dans les terres. Ce port est fréquenté par quarante à cinquante frêles barques de dix-huit à vingt tonneaux, qui font journellement la navigation de la petite baie de Bourgneuf, pour aller chercher des engrais dans l'île de Noirmoutier et autres points de la côte de la Vendée, où elles portent en échange du bois provenant de l'exploitation des forêts du pays de Retz. A la pleine mer, le coup d’œil est gracieux, et lorsqu'elle baisse, elle laisse à découvert une plage ferme et sablonneuse qu'on peut traverser en tout sens. Pornic est une ville très-fréquentée dans la belle saison pour ses bains de mer; on les prend à la lame sur une vaste grève ou dans des grottes que le temps a creusées au pied des rochers, et dans lesquelles l'eau se renouvelle à chaque marée. Ces grottes sont d'autant mieux disposées pour prendre les bains de mer, qu'elle offrent un abri constant contre les vents du sud et d'ouest qui règnent souvent et battent en plein la côte. Pour la saison des eaux, on trouve à Paimbœuf, qui n'est éloignée de Pornic que de quatre lieues, une voiture publique qui fait ce trajet en deux heures; de sorte qu'au moyen de bateaux à vapeur, qui parcourt la distance de Nantes à Paimbœuf dans le même laps de temps, on peut se rendre dans quatre heures de la capitale du département à Pornic, d'une manière agréable et sans fatigues.
De la plate-forme du château de Pornic, l’œil plane sur la baie de Bourgneuf et l'embouchure de la Loire; on découvre Beauvoir, Noirmoutier, la tour de Batz, Escoublac et ses dunes, le plateau du Four enfin, d'où s'élève majestueusement le phare du Croisic. On sait qu'une partie de la côte du département de la Loire-Inférieure est couverte de dunes; celles d'Escoublac sont les plus remarquables. Escoublac est un bourg moderne, bâti à un quart de lieue de l'ancien bourg, qui, vers le milieu du XVIIIe siècle, a été enseveli sous les eaux de l'Océan. Ce triste événement n'a pas eu lieu d'une façon subite, mais bien par la marche lente et graduée des dunes. des masses énormes s'étaient amoncelées sur le rivage; poussées par le vent, elles gagnèrent l'intérieur des terres, et couvrirent peu à peu une partie du territoire de la commune. Malgré tous les efforts, les maisons furent atteintes, les sables s'étendirent bientôt sur le village entier, et les habitants découragés se virent forcés de fuir leur demeures. Depuis, les dunes ont envahi encore l'espace qui ne leur est plus disputé, et qui aujourd'hui ne conserve même pas la trace de ce qu'il renfermait jadis. Il y a quelques années, on voyait encore la flèche du clocher; mais subissant le sort des habitations ensevelies dont elle indiquait la place, elle a aussi disparu. A deux ou trois lieues en mer existe un écueil fameux en naufrages. C'est un banc de rochers nommé le plateau du Four, dont l'étendue est de plus d'une lieue; les parties les plus hautes ne paraissent que d'environ 6 pieds à l'époque des grandes marées. Les naufrages étant très-fréquents sur cet écueil, le gouvernement y a fait élever, depuis quelques années, un phare indicateur dont les feux perpétuels font connaître aux navigateurs les dangers qu'ils doivent éviter. La tour, de 60 pieds de hauteur, se divise en deux étapes; le premier, auquel on monte par une échelle perpendiculaire incrustée dans le mur, est le magasin; le second, l'appartement des gardiens; et sur la plate-forme, autour de la lanterne, règne une galerie de 2 pieds de largeur qui leur sert de promenade.
Lorsque la mer couvre entièrement le rocher sur lequel est construit le phare, les gardiens, dans une sorte de réclusion, ne peuvent sortir un seul instant, car on leur défend même d'avoir un canot, de peur qu'entraînés par quelque orage, ils ne laissent éteindre le feu au moment où il serrait le plus nécessaire. Tous les huit jours une chaloupe vient de terre apporter leur nourriture et fournir à leurs besoins; mais quelquefois, et surtout aux approches de l'hiver, alors que les vents soufflent avec violence, les communications sont interrompues, et les habitants de la tour demeurent des semaines entières sans voir un seul être vivant; ils n'ont devant les yeux que des masses énormes de nuages et l'écume blanchissante des vagues qui se brisent au pied de la tour.
Mais nous voici quelque peu éloigné de Pornic; retournons-y pour admirer ses environs qui ne manquent pas d'agréments. Au revers du coteau sur lequel la ville est bâtie règne une assez belle végétation, protégée par son élévation et abritée des mauvais vents. Une petite rivière, nommée la Haute-Perche, qui vient se jeter à la mer, coule au milieu d'une jolie contrée boisée; mais il faut à cette ville un établissement public approprié aux bains de mer, et un lieu de réunion pour les étrangers qui y viennent chercher la santé, comme pour ceux que des distractions y appellent. La ville de Pornic, d'une population qui n'excède pas huit cents âmes, est renommée par les excellents marins qu'elle produit; les habitants sont vifs, laborieux, affables avec les étrangers. 
Le costume des hommes est à peu près partout celui des marins: des vestes courtes, de larges culottes et un chapeau ciré. Les femmes se font remarquer par un costume particulier qui n'est pas sans élégance; elles portent des coiffures carrées très-hautes et garnies d'immenses dentelles; un voile est fixé au somment; tantôt il s'attache sous le menton et couvre la poitrine, tantôt il est laissé flottant sur les épaules; leurs cheveux, séparés sur le front sont repliés par derrière et contenues par un ruban qui ceint la tête; une collerette à broderies roides et empesées, une robe à larges manches que recouvre un corsage lacé par devant, leur donnent en tous points l'aspect des châtelaines du moyen âge, et reproduisent le gentil accoutrement des nobles dames bretonnes à la grande époque de la comtesse de Montfort.

                                                                                                                     A. Mazuy.

Le Magasin universel, mars 1837.

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