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mardi 27 décembre 2016

Le Parisien à la mer.

Le Parisien à la mer.

Août. Soleil, chaleur, poussière. Le Parisien prend Paris en horreur. Fatigué des affaires. Éternelle rencontre des mêmes visages. Trop chaud au restaurant. Au théâtre, vieilles pièces, vieilles rengaines, acteurs connus. Au club, même whist avec les mêmes Balandard et Tocasson, ou même écarté avec ces messieurs de la Bourse. Il faut changer d'existence. Vivent la mer, la Normandie, les vaches, le lait, les arbres. Se lever et se coucher tôt. Errer sur les grèves. Rêver aux étoiles.
Départ du Parisien. Le voilà hors des fortifications. Adieu Paris, gouffre, enfer, sentine. Ville de fièvre, d'amis faux, de femmes perfides et de banalités écœurantes. Voici Dieppe ou Trouville. Ça sent bon.
Le Parisien est arrivé. Lever à sept heures. Promenade sur la plage. Monotone, toujours la même chose. Pas de journaux, pas de boutique. coquin de soleil!... Personne au café du Casino; Rencontre de quelques amis de Paris: Balandard et Tocasson. On se retrouve.
- Parlons de Paris, Vous arrivez?
- Hier au soir.
- Que fait-on à Paris?
- Toujours la même chose: le Bois, le Cirque, les Ambassadeurs!
- Ah! le Cirque! Ah! Paris!... J'y retourne demain.
- Vous êtes bien heureux.
- Et vous?
- Dans un mois, je suis ici en famille.
Que faire? Un shampoing. Grande-rue, chez Félix, de Paris. Félix est là, avec tous ses garçons, de Paris. Ça fait plaisir de se retrouver tous Parisiens. Le coiffeur devient un frère. Un petit coin de Paris aux bains de mer.
Qu'est-ce qu'on peut faire après déjeuner. On attend les journaux de Paris. Ils arrivent à trois heures. Si tard? On va au-devant d'eux à la gare. Le marchand arrive avec sa provision. Marchand dévalisé. Journaux vendus sans même être pliés. Lecture générale.
Quatre heures. Au télégraphe, quelques dépêches à Paris pour répondre aux lettres. On revient par les rues. Tous les magasins sont de Paris, vendant des articles de Paris. Il y a chez un papetier, en montre,  des vues du boulevard, du nouvel Opéra, de Notre-Dame, de la cascade. On s'arrête à les regarder. Soupir.
Cinq heures. Il y a un écarté au casino. Comme à Paris. On risquera quelques louis. C'est justement Balandard qui tient les cartes. Tocasson fait la chouette. Comme à Paris.
La nuit tombe. Dîner. Où? Au restaurant du casino. Tout à fait le café de Paris ou le Café de l'Opéra. Mêmes patrons, mêmes sommeliers, mêmes menus. nous sommes à la mer: des crevettes,  du poisson, il n'y en a pas, ou il est mauvais. La bonne marée est envoyée à Paris. Nouveau soupir. Bifteck aux pommes.




Neuf heures. Nuit complète. Brrr! Froid, vent vif, paletot. Spectacle au théâtre. Les Saltimbanques ou les Trois Épiciers avec Baron, Léonce et quelques doublures des Batignolles. Presque comme à Paris. Allons applaudir les artistes parisiens. Une vraie salle de première. Habits noirs comme à Paris. Casquettes en plus. Tout le monde se connaît et se retrouve. Il ne manque que Sarcey.
A onze heures, au club. Il suffit pour y pénétrer, qu'on soit membre d'un cercle de Paris. Le baccarat bat son plein. 




Tocasson tient la banque, Balandard a passé neuf fois. Tous amis de Paris et quelques grecs. Culotte énorme. Trois heures, on se couche.
Le mois se passe enfin. On revient. Dans le train, Balandard et Tocasson. Dilatation générale. Aux fortifications, vive émotion, le cœur bat. C'est Paris; la ville de la grande vie. Enfin on va reprendre son train-train ordinaire. Lire les journaux le matin au lieu du soir, déjeuner chez Bignon au lieu de déjeuner chez Gnonbi, aller applaudir Baron au lieu d'applaudir Ronba, et tailler un bac au cercle au lieu de la tailler au club.

Aphorisme.

Le grand tort du Parisien c'est de déplacer Paris avec lui et de l'emporter à la semelle de ses bottes.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick.


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