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vendredi 16 décembre 2016

Les manchettes de papier d'Alexandre Dumas.

Les manchettes de papier d'Alexandre Dumas.

C'est Alexandre Dumas qui raconte cette anecdote de sa vie littéraire.

"Je demeurais alors au coin de la rue de l'échiquier et du Faubourg Saint-Denis, et je faisais Christine.
"Sans m'en apercevoir, j'arrivai à ma dernière feuille de papier. Il était minuit passé, pas moyen d'en acheter d'autre, et cette nuit-là, j'étais tourmenté du démon du travail que les travailleurs en poésie nomment l'inspiration.
"Je me souvins du proverbe: Qui dort dîne et je voulus appliquer à la faim intellectuelle le proverbe qui a cours à l'endroit de la faim physique.
"Et, en effet, je m'endormis.
"Mais à peine eus-je les yeux fermés que mon cerveau continua de veiller, se mit au travail, et me parut faire de source les plus beaux vers qu'il eût enfantés.
"Je me réveillai comme Gulliver qui, en rouvrant les yeux, n'avait perdu que son empire. Il y avait du vrai dans mon rêve, et je n'avais perdu qu'une partie de mes vers; dix ou douze restaient bien vivants, seulement si vivants, qu'ils menaçaient comme des anguilles, de glisser entre les fentes de ma mémoire, si je ne les fixais pas à l'instant même sur le papier.
"Je rallumai ma lampe, je cherchai du papier partout, rattrapant mes malheureux vers par la tête, par le milieu du corps, au fur et à mesure qu'ils essayaient de m'échapper.
"J'en étais à l'armoire au linge, quand tout à coup, j'aperçus mes manchettes en papier; je jetai un cri, j'étais sauvé.
"On portait à cette époque des manchettes de quinze centimètres de haut, et il me restait huit manchettes, assez pour écrire huit chants de l'Iliade! Je passai la nuit entière!
"Par reconnaissance, je fus un des derniers à porter des manchettes rabattues sur l'habit. J'en portais tant qu'on en porta et toujours en papier."

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 10 mai 1908.

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