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vendredi 2 décembre 2016

Evolution du nombre de fonctionnaires.

Evolution du nombre de fonctionnaires.

Avec la nouvelle présidence et le nouveau ministère, il y a quelque chose de changé en France, assurément, et quelque chose de considérable. Mais ce qui n'a pas l'air de vouloir y changer de sitôt, c'est la passion du fonctionnarisme et la fringale budgétivore.
Hier encore, un de nos plus graves confrères dressait une statistique des plus curieuses de laquelle il ressortait que, dans une petite sous-préfecture de 5 à 6.000 âmes, près de 700 personnes mangeaient au râtelier gouvernemental. En France, la progression du fonctionnarisme monte dans des proportions redoutables. Enrayer le mal est, paraît-il important pour le gouvernement, qui ne pourrait toucher à un fonctionnaire, sans se mettre à dos un député. Du moins telle est l'opinion un peu pessimiste du confrère en question. Il ne faut pourtant désespérer de rien, puisque en France, tout arrive. Espérons!...
A la préfecture de la Seine, le nombre des emplois "présumés devoir être vacants" d'un exercice l'autre est de 299. Sait-on quel a été le nombre de candidats inscrits l'an dernier?
Vingt et un mille, quatre vingt-huit!
Cela donne une moyenne de 70 candidats pour une place. Une seule de ces places a attiré 1.338 demandes; toutes apostillées, appuyées, chauffées par des influences plus ou moins considérables. Cette place, seriez-vous tenté de croire, comporte de beaux émoluments et un certain prestige? Eh bien, non; c'est une place de surveillant, financièrement et hiérarchiquement modeste. Et parmi les solliciteurs, il se compte nombre de diplômés sérieux.
Au reste, ce n'est pas en France seulement que sévit cette influenza du quémandage des places.
Un conférencier affirmait naguère qu'à Berlin, on vient de voir des médecins, des avocats, des philologues se mettre sur les rangs pour un emploi de concierge.
Nota Bene: Certaines places dites de "concierge" peuvent offrir des avantages assez alléchants pour séduire même des diplômés à panache. Tel est l'emploi de concierge de l'Hôtel de Ville de Bruxelles. La dernière fois que ce poste du Grand Cordon bruxellois est devenu vacant, on a noté parmi ses compétiteurs: trente-trois licenciés en droit, dix-sept docteurs en médecine, vingt et un ingénieurs, trois chimistes et un astronome.
Il est vrai que cette place de concierge de l'Hôtel de Ville rapporte là-bas, bon an mal an, dans les 25.000 francs de pourboires.
Aussi la ville, au lieu d'en faire cadeau, a-t-elle trouvé plus profitable pour les finances municipales de la mettre purement et simplement en adjudication.

Mais savez-vous une chose? C'est que, à cette concurrence de plus en plus furieuse et inassouvissable pour les emplois correspond une misère, une dèche, une débine de plus en plus grandes dans la tribu des employés!
La preuve? elle est fournie d'une façon péremptoire par les statistiques du Mont-de-Piété. Ces statistiques, fournies chaque années par la direction de cet établissement, démontrent ceci: tandis que les petits prêts à la classe ouvrière proprement dite ont diminué de 25 pour cent, ceux consentis à la catégorie des employés se sont élevés du simple en quadruple.
Qu'est-ce que cela prouve? Sinon que les salaires des ouvriers vont s'améliorant de plus en plus; et cette démonstration apparaît d'autant plus légitime que les habitudes d'ordre et d'épargne ne sont pas précisément en progrès (du moins généralement dans la classe des travailleurs manuels)
Mais à côté de cela, cette statistique du Mont-de-Piété fait voir que la catégorie des employés est de plus en plus besogneuse, étant forcée d'avoir recours quatre fois plus souvent qu'il y a quarante ans à l'onéreuse assistance de "ma tante".
Et je gagerais bien que cela n'étonnera personne. Mais ça ne convertira personne non plus, hélas!

                                                                                                                   Simon Levrai.

Le Petit Journal, dimanche 27 janvier 1895.

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