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dimanche 11 décembre 2016

Une promenade dans Québec.

Une promenade dans Québec.


Que dire de cette pièce de William Chapman qui pourrait servir d'épitaphe à un monument plus digne de l'homme dont les travaux ouvrirent le pays au grand effort civilisateur qui devait suivre?

Issu de ces Bretons altiers comme le chêne
Qu'enivraient les clameurs du vent qui se déchaîne
A travers les embruns des grands flots aboyants, 
De ces marins, aussi courageux que croyants,
Qui sur chaque océan déferlaient leurs voilures
Cartier grandit avec la soif des aventures
Et coula sa jeunesse au bord du gouffre amer,
Hanté par des projets vastes comme la mer.

A Québec, existe, reste des premiers temps, une jolie chapelle dédiée à Notre-Dame des Victoires. Tout y est dans le style de nos pèlerinages français, et les mêmes naïf ex-votos s'y retrouvent, symboles de cette foi simple et touchante qui fait plus que les dissertations des théologiens les plus distingués.




Près de ces manifestations neuves, il y a de beaux tableaux d'art ancien des scènes coloniales "des vieux temps Françâa"
Si j'en crois notre guide, les peintures religieuses et de valeur qu'on voit dans les églises du Canada y auraient été envoyées aux débuts de la Révolution française. On en voit également beaucoup dans la cathédrale. Un grand nombre d'entre elles sont assombries et demanderaient à être restaurées.
Il reste à Québec quelques vieilles rues "du temps des Français", comme disent les gens du pays.




On y descend par des chemins qui passeraient chez nous pour être de véritables casse-cous, et que, cependant, les chevaux canadiens descendent sans fatigue; on pénètre dans d'étroits boyaux qui rappellent tout à fait les bas quartiers de Granville, de Saint-Brieuc, d'Avranches ou du Poitou.
Briques ou granits effrités, s'écaillant lamentablement, sol en planches, rongé et effiloché, où vit une population, pauvre sans doute, mais pleine de bonne humeur. Je ne pus m'empêcher de m'écrier: "Mais voilà des gens qui, ou meurent de misère, ou font de sordides économies".
Il paraît que non. Il y a pas de paupérisme, à proprement parler, dans le pays.
Il y a des gens dans des passes difficiles. Les associations charitables les assurent, contre les risques de maladies, à fort bon compte, et, s'ils n'économisent pas, c'est que point n'est besoin; la communauté prévoit pour eux. Le mendiant des rues n'existe pas, même dans les quartiers les plus pauvres; la paroisse veille.
Il arrive parfois, cependant, qu'un homme vous aborde: "Monsieur, dit-il, j'ai faim." On lui donne; il ne remercie point. Il est trop fier pour faire métier de la mendicité, et les classes les plus pauvres le renieraient comme un déshonneur. Et puis, dans un pays aussi vivant, la roue de Fortune tourne si vite que la pire situation peut se changer avec de la volonté. Un ouvrier n'a-t-il pas de travail, on lui en crée; il y a tant à faire, pour trop peu de bras, là ou le capitaliste s'ingénie à faire du travail avec son argent.
J'ai dit toute la sollicitude que montrent les prêtres, les laïcs riches, à leur temps perdu, pour la valeur de deux bras anxieux de travail. J'ai dit l'activité de l'argent, et les dépenses cérébrales de ceux qui travaillent mentalement pour occuper les forces ouvrières.
J'ai dit qu'au Canada, on ne perdait pas son temps, dans les familles, à de vaines visites de politesse, mais qu'on s'y soutenait avec une solidarité patriarcale.
Les femmes vont peu dans les maisons pour la seule courtoisie; les hommes, point du tout. Les uns sont aux affaires; les autres, aux œuvres.
Aussi, la société riche, qui a puisé en France la bonté du cœur, et en Angleterre la puissance de travail, a-t-elle place prépondérante dans la constitution démocratique de la colonie.
Cela ne va pas sans quelques transfuges; il y en a partout, et toujours, parmi les riches, se font toujours remarquer des égoïstes peu donnants.
Généralement, ces familles s'anglicisent, vont dans le quartier anglais de Montréal, oublient la langue de leur mère patrie, et terminent, le plus souvent, cette évolution par l'apostasie.
Ces leçons de chose incitent les membres du clergé local à rester fidèles à la France et leurs sermons rappellent sans cesse à leurs ouailles leurs origines.
J'ai lu, à ce sujet, certaines discussions intéressantes. L'une est restée typique, celle entre Mgr Bourne, et M. Henri Bourassa, un des leaders du parti canadien-français.
L'archevêque de Westminster, réagissant contre les tendances de son clergé, faisait ressortir dans un long discours que l'émigration (120.000 hommes environ par an) aurait vite raison de la langue française et que celle-ci ne résisterait pas au courant anglais; que pour la prospérité des affaires, la langue anglaise devait être adoptée, bon gré, mal gré.
Il préconisait donc l'étude de l'anglais, et les sermons en anglais.
M. Henri  Bourassa défendit énergiquement, mais respectueusement, la thèse contraire.
Je m'inspire encore de M. Arnold, qui a fort bien résumé l'incident dans son chapitre "Péril irlandais". Son exposé est conforme à toutes mes investigations auprès d'interlocuteurs canadiens, notamment un riche industriel français établi depuis longtemps dans le pays, où il suivit une brillante et honnête carrière.
"En attendant, disait M. Bourassa, que l'Angleterre et les Etats-Unis deviennent des piliers et des flambeaux de l'Eglise catholique, je constate que, de la France impie et énervée, sortent encore plus de missionnaires et de conquérants d'âmes que de tout l'Empire Britannique et de la riche République Américaine réunis.
"Il faut songer, ajoute-t-il, à l'apostasie de 30.000.000, peut-être plus, d'immigrants irlandais auxquels la communauté de langue a, malheureusement, facilité l'entrée dans les milieux protestants."
J'ajouterai à cela que, si mes investigations à la vapeur me permettent d'avoir une idée personnelle, le canadien français est devenu ce qu'il a été fait par les prêtres dévoués et admirables des débuts, auxquels le peuple garde une reconnaissance touchante; il est à la fois catholique et Français; l'âme de la Patrie est liée intimement à la Foi. De là leur intransigeance contre les athées français, qui leur apparaissent comme monstrueux.
On comprend, dès lors, pourquoi l'esprit de charité y est si complet; il est mû, à la fois, par les deux sentiments les plus forts qui puisent agir sur les volontés humaines: l'esprit de religion et l'esprit de race.
Au bas de ces pauvres ruelles, habitées par une population confiante et prête au travail, sans rancœur de la pauvreté qu'elle étale, une route est creusée au flanc du rocher, sur la rive du Saint-Laurent.
Au-dessus de nos têtes, sur une planche, est inscrit:
"Montgomery Fell. Déc. 31 . 1775"
C'est tout ce qui est accordé au souvenir de la tentative héroïque de cet Américain, Français d'origine et Canadien résolu, qui prêta le secours de ses capacités militaires aux Etats-Unis pour chasser l'Anglais métropolitain.
Ce fut le dernier soubresaut?
En plein hiver, le célèbre capitaine, montant à l'assaut, glissa le long de la muraille à pic et tomba d'une trentaine de mètres.
Les troupes fédérées furent repoussées.
Remontés au château Frontenac, au soleil couchant, nous avons regardé une dernière fois, s'embraser les rives; pas une qui ne rappelât des pages héroïques, des souvenirs bien français à tous points de vue:
Français par la beauté des gestes, et les fins chevaleresques.
Français, hélas! aussi par les abandons injustes et les lâchetés politiques, fille de la faiblesse de notre race, moqueuse, à la fois, et timorée devant les moqueries: le Merle de Rostand, notre fléau. Les bras croisés sur l'appui de la fenêtre, j'ai songé aux grandes leçons d'histoire, à la puissante volonté française, galvanisée autour du drapeau, qui s'est imposé aux 60.000 exilés du Canada, durant trois siècles.
Je m'imprégnais de ce panorama merveilleux de l'énorme fleuve, tout en pensant... à l'Indochine!
A ce moment, descendaient lentement les ombres de la nuit et, dans ce scintillement des premières lumières, on amenait les couleurs britanniques.
Que nos amis les Anglais me le pardonnent, j'ai trouvé le paysage bien triste.

                                                                                Marquis de Barthélemy.

Le Magasin pittoresque, 1er décembre 1913.

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