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mercredi 19 octobre 2016

Le château de Chambord.

Le château de Chambord
      département du loir-et-Cher.



C'est en 1523, et sous le règne de François 1er, que fut commencé le château de Chambord, bel édifice où dix-huit cents ouvriers dans tous les genres travaillèrent pendant plus de douze ans. De François 1er à Henri III, la construction de Chambord a coûté, suivant les comptes du trésor royal, 835.570 livres, somme qui représente plus de douze millions de notre monnaie. Malgré de si énormes dépenses, les bâtiments du château n'ont jamais été complètement achevés. Voici ce qu'en dit André Duchesne, dont le style naïf convient merveilleusement bien au sujet:
"Car enfin que je ne mette en compte les maisons de plaisance, les palais et les autres châteaux que certains seigneurs ont fait bâtir assez richement, cestui-ci de Chambord est bien le plus magnifique en toutes pièces rares, qu'il y ait guères en Europe, et comme l'abrégé de toute l'industrie humaine de son tems. Le grand roi François 1er fut servi partout avec tant d'ordre, de conduite et de jugement, que toutes les parades de son architecture se ressentent de la grandeur de l'un des plus grands rois du monde. Cette royale maison a sa vue jusque sur la ville de Blois, encore qu'elle en soit distante de trois lieues, et limitée de tous côtés de prés, eaux et forêts. Riche d'un escalier qui n'a point son pareil en la France pour être tellement et largement composé, qu'un grand nombre d'hommes y peuvent monter et descendre diversement et en même tems, sans s'entrevoir, et pour être l'un de ses côtés industrieusement dérobé de l'autre. Je laisse à l’œil des curieux les chambres, antichambres, salles, garde-robes, cabinets, portiques et galeries, comme aussi les jardins, et celui même qu'on appelait de la Reine, grand de cinq arpents de terre, au bout duquel, vers la forêt de Blois, vous remarquez une allée, large de six toises et longue de plus d'une demi-lieue, embelli de plus de quatre rangs d'ormeaux si adroitement alignés, que ceux du roi de Perse, tant vantés de l'antiquité, ne seraient rien auprès."
Ceux qui ont vu Chambord, qui l'ont visité avec soin, qui ont été à portée d'admirer l'ensemble et les détails de ce beau monument, ne sont pas étonné de la célébrité dont il a joui pendant longtemps, et de l'affection particulière des rois de France qui en ont fait leur demeure favorite. Ce château, construit au milieu d'un parc de douze mille arpents clos de murs, dont l'enceinte a plus de huit lieues, réunit par la variété des sites et les accidents de terrain, ce qui peut favoriser tous les genres de chasse. Des taillis immenses et des forêts spacieuses sont peuplées de cerfs, de biches, de chevreuils, de sangliers; des garennes, des terriers nombreux et de vastes prairies y attirent et y fixent le gibier de toute espèce. La rivière du Cosson, qui traverse le parc et dont les rives touchent presque aux murs du château, offre tous les agréments de la pêche; ses bords, ombragés par des touffes de joncs et de roseaux, servent de retraite aux animaux aquatiques. Le parc, coupé par de larges allées et des sentiers battus, favorise les chasses les plus nombreuses et les plus brillantes. C'est de ces différentes routes que le château se présente sous divers aspects aux voyageurs; on découvre de loin ses dômes, ses donjons, ses tourelles et ses terrasses. La belle lanterne qui couronne l'escalier, et s'élève majestueusement au-dessus de l'édifice, est aperçue des hauteurs de Blois.




Le caractère d'architecture du château de Chambord a quelque chose de particulier qui l'éloigne autant des formes gothiques que des proportions élégantes des édifices grecs et romains; on serait tenté de croire que l'architecte a voulu laisser un monument singulier pour indiquer l'époque qui a séparé la barbarie de la renaissance des arts. Le donjon, flanqué de ses quatre grosses tours, rappelle les constructions uniformes des XIIe et XIIIe siècles; mais les galeries qui en prolongent la façade lui donnent une élégance inconnue jusqu'alors. Il y a dans l'ensemble de l'édifice un caractère de lourdeur qui ne manque cependant pas de noblesse, et qui contraste merveilleusement avec la richesse et le fini des détails. Le corps du bâtiment, composé de trois ordres de pilastres, présente d'abord à l’œil une grande simplicité; mais au-dessus des terrasses qui couronnent le troisième étage, les ornements sont prodigués avec une telle profusion, les pilastres, les colonnes, les bas-reliefs, les frises y sont si richement sculptés, qu'on a peine à croire, après avoir attentivement examiné le travail, que douze années aient pu suffire pour exécuter tant de chefs-d'oeuvre de dessin et de sculpture. Aussi les sculptures sont-elles aujourd'hui la seule partie brillante du château de Chambord; la plupart sont dans le plus bel état de conservation, et suffiraient à l'illustration de ce bâtiment. Quoique très-variées de formes, elles sont cependant toutes du même goût. On retrouve partout, dans les caissons des voûtes, dans les tympans, dans les bas-reliefs des frises et des ornements des chapiteaux, l'F et la salamandre couronnés, emblèmes des devises de François 1er. Dans quelques parties de l'édifice on remarque le croissant de Diane de Poitiers et l'H et le D enlacés; c'est particulièrement dans les constructions de Henri II. L'emblème de louis XIV représenté par un soleil, avec sa devise Nec pluribus impar, est encore conservé dans plusieurs endroits.
Au-dessous du dôme qui termine l'un des beaux escaliers placés aux angles des cours, dans celui de l'aile d'Orléans, l'artiste a placé trois cariatides qui représentent, dit-on, le portraits de François 1er, de la duchesse d'Etampes et de la comtesse de Chateaubriand. L'escalier, placé dans l'aile de la chapelle, n'est pas particulièrement terminé; les cariatides n'y sont qu'indiquées. Dans cet escalier, construit sous le règne de Henri II, devait se trouver le portrait de ce prince, ayant pour pendant celui de la duchesse de Valentinois. La mort prématurée du roi laissa imparfait ce projet, et l'on conçoit que Catherine de Médicis, sa femme, ne se soit pas empressée de le réaliser.
Les deux chapelles sont les pièces les plus remarquables du château de Chambord; la grande, bâtie par François 1er, dans la tour qui termine à gauche la façade, est d'une conservation admirable et d'une simplicité noble et élégante; les arcs à plein cintres de la voûte viennent se joindre avec une grâce parfaite à l'entablement, et reposent sur des coussins qui forment un ornement plus ingénieux que de bon goût. L'oratoire de la reine de Pologne, construit dans un corps de bâtiment adossé à la tour opposée à celle de la grande chapelle, est un petit chef-d'oeuvre de sculpture. La voûte supportant une terrasse qui paraît avoir fait partie des appartements de François 1er, est d'une richesse de travail étonnante; il est à regretter que ce soit la partie de l'édifice qui ait le plus souffert de la dégradation du temps.
Le reste du château n'offre rien de remarquable qu'une distribution large et bien entendue de vastes et nombreux appartements disposés à chaque étage d'une manière régulière et commode. On ne retrouve dans aucun d'eux les vestiges de l'ancienne splendeur de Chambord. Le mobilier de ce château, qui était d'une richesse vraiment royale, a totalement disparu; il a été vendu à l'encan, pendant la révolution, aux fripiers de Blois, d'Amboise et d'Orléans, et les belles tapisseries d'Arras et des Gobelins qui décoraient les appartements de François 1er, de Louis XIV et du maréchal de Saxe, ont été brûlées pour en tirer le peu d'or que renfermait leur tissu.
Sous le règne de Louis XIV, chaque année, Chambord était témoin de nouvelles fêtes. Dans celle qui eut lieu au mois d'octobre 1670, on fit construire dans une salle du château un théâtre sur lequel Molière et sa troupe jouèrent pour la première fois le Bourgeois gentilhomme. Le comique de ce chef-d'oeuvre ne fut pas d'abord apprécié par la cour; le roi lui-même voulut attendre la seconde représentation pour porter son jugement. Il se prononça alors en faveur de l'ouvrage, et les compliments qu'il en fit à Molière mirent fin aux craintes que ce grand homme éprouvait, depuis cinq jours, d'avoir déplu à son auguste protecteur. Les grands seigneurs, qui avaient cru voir dans le silence du roi un signe de mécontentement, et qui s'étaient déchaînés contre la pièce, coururent bien vite après dans la chambre de Molière pour lui témoigner leur admiration. On chercherait aujourd'hui vainement à Chambord des vestiges de tant de splendeurs, et c'est au milieu des décombres qu'il faut y recueillir les souvenirs de Molière et de Louis XIV.
Chambord devint plus tard l'apanage du vainqueur de Fontenoy; le maréchal de Saxe s'y reposa des fatigues de trente ans de victoires au sein des plaisirs, des arts et de l'amitié. Ce fut vers la fin de l'année 1748 que le maréchal vint habiter Chambord; il y fut reçu avec tous les honneurs militaires, et y retrouva des compagnons d'armes. Le roi, par une galanterie particulière, permit que ses deux régiments de hulans vinssent y tenir garnison, et leur fit bâtir des casernes à la porte du château. Le maréchal de Saxe menait à Chambord une vie toute militaire; ses soldats étaient tenus dans la discipline la plus exacte; il assistait tous les matins à leurs évolutions, et donnait des soins particuliers à un haras qu'il avait formé avec une race des chevaux de l'Ukraine, qui, libres et sans gardiens, vivaient dans le parc, et arrivaient d'eux-mêmes sur la place d'armes à l'heure de la manœuvre. Le maréchal ne jouit que deux ans de cette noble dotation; la mort vint l'y frapper le 30 novembre 1750. Des honneurs funèbres lui furent rendus avec une pompe toute royale; son lit de parade fut entouré de seize drapeaux pris sur l'ennemi; et six pièces de canon, dont Louis XV lui avait fait présent, tirèrent d'heure en heure pendant quarante jours dans les cours du château.
Depuis quarante ans, le domaine de Chambord a eu une singulière destinée; peu de propriétés en France ont été autant de fois vendues que celle-ci a été donnée. En 1799, Louis XVIII, qui deux ans auparavant avait érigé Chambord en duché pour en faire don à Pichegru, le transféra, sous la garantie de l'empereur de Russie, à Barras, pour une défection promise. En 1804, Chambord entra dans le domaine impérial. En 1808, par le traité de Bayonne, signé le 12 avril, Chambord fut donné en toute propriété au roi d'Espagne, Charles IV. En 1810, Napoléon fit don de Chambord au maréchal Berthier, lequel n'y parut jamais, et laissa le château en ruines. En 1820, la famille du maréchal Berthier vendit Chambord à une commission qui offrit ce domaine à M. le duc de Bordeaux. Il a fallu de mauvais jours de passions et de haines pour déposséder M. le duc de Bordeaux et méconnaître ainsi les droits sacrés de la propriété.

                                                                                                                  A. Mazut.

Le magasin universel, janvier 1837.

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