Sourires d'Alsace.
Chez beaucoup de caricaturistes, la légende semble avoir été faite après coup, alors que le dessin a été terminé et même parfois oublié: aussi est-elle peu compréhensible, et le lecteur est tout a fait désorienté.
Chez M. Zislin, il n'en est pas de même: la légende fait en quelque sorte corps avec la caricature et lui donne ainsi une énorme force de persuasion. Ce grand satirique publie régulièrement le Dur's Elsars, et son crayon est tellement effilé qu'il a la pénétration d'une bonne épée de combat. Ah! il sait s'escrimer d'estoc et de taille, ce vaillant chevalier, que rien n'effarouche, dont rien n'ébranle l'ardeur infatigable, ni les menaces, ni les amendes qui pleuvent sur lui comme grêle. La lourde main du Germain s'abat sur l'épaule frémissante de l'héroïque lutteur, mais un coup de crayon, rapide comme l'éclair, vient percer cette main de géant, malgré son gantelet de fer. Si ce n'est pas suffisant, un trait d'esprit, acéré comme le dard d'une abeille, achève la victoire.
Une des qualités du regard de ce grand artiste, c'est d'être clair et franc, d'une franchise d'honnête homme, qui lance la vérité à tous les échos, parce qu'il ne peut faire autrement, son cœur débordant de colère. Cependant il se domine encore, et le cri indigné du satirique garde toujours le ton de l'homme bien élevé. C'est un français! Voilà ce qui frappe tout de suite le lecteur et ce qui le charme.
Comment M. Zislin a-t-il pu donner une si grande variété à ses compositions qu'aucune ne se ressemble, même de loin? C'est que toutes puisent profondément leur inspiration dans le sol alsacien, celui de la patrie, qui donne l'éloquence du cœur. Et cette variété est toute naturelle: la critique, de peur d'être trop souvent la même et par suite monotone ne devient jamais subtile, car elle veut être compréhensible pour tous, les grands et les petits, semblable à l’Évangile, qui est le pain des âmes les plus simples.
Ah! les opprimés, en recevant ces feuilles périodiques, devaient tressaillir d'une joie sans mélange: ils avaient enfin leur vengeur pour, sinon vaincre, du moins affaiblir et exaspérer leur puissant ennemi, le Pangermanisme, géant bardé de fer, mais que les flèches de la satire savaient percer au bon endroit, au défaut de la cuirasse. Sous ce rapport, Zislin est un lutteur incomparable.
M. Paul Déroulède, le grand patriote, a fait précéder les Sourires d'Alsace d'une préface éloquente et vibrante, qui sonne la charge. Il fait remarquer avec une admirable justesse que " les légendes et les dessins de l'intrépide journal qui ont illuminé d'un rire consolateur la tristesse des opprimés, éclaireront d'un pur rayon d'espérance et de joie le deuil et les remords des vaincus". Nous croyons, avec le grand patriote, que le succès de cette publication sera aussi grand que celui de l'Histoire d'Alsace par l'oncle Hansi*.
M. Georges Ducrocq, l'auteur si apprécié de La Blessure mal fermée et Les Provinces inébranlables, a voulu, en éditant ces Sourires, faire un choix parmi ces milliers de dessins, et il l'a réussi avec beaucoup de goût et d'adresse. Il les a groupés en cinq grandes divisions:le Pangermanisme, Les deux cultures, Constitution et autonomie, Vues d'Alsace, Politique générale. Ce sont, en quelque sorte, cinq grands tableaux, dans chacun desquels sont concentrés et classés les sujets qui tiennent le plus au cœur généreux de l'Alsace. On ne pouvait mieux faire.
Feuilletons rapidement ces pages d'une vie si intense. voici le type du Pangermaniste. Un gros Allemand, ayant sous le bras gauche un casque à pointe renversé, y puise la bonne semence de la germanisation, qu'il lance à toute volée sur la terre d'Alsace**.
Ici les Nobles de la nation, cinq lieutenants, après un plantureux repas, s'écrient:
"Garçon, l'addition!... Comment! en Français! ici, en Allemagne! quel toupet!... Vouloir note en Allemand... Payerons pas avant..."
C'est la lutte contre la langue française, admirablement mise en scène, parce qu'elle est vue sous son aspect le plus mesquin et le plus ridicule.
Voici le Cerf-volant séditieux: à Dornach, un gendarme a enlevé à des enfants un cerf-volant bleu, blanc et rouge (historique). Le Teuton est tout fier d'avoir percé de son grand sabre le pauvre jouet tricolore. Trois gamins pleurent sur leur jouet ainsi détruit par une main brutale.
Sous le titre d'Oiseaux de France, un dessin représente un champ où sont placés des épouvantails formés par des soldats prussiens fixés sur des poteaux. Un paysan allemand, en apercevant avec effroi des aéroplanes de France qui filent dans le ciel d'Alsace s'adresse à sa femme: "Sapristi, ma vieille! sous ce genre d'oiseaux nos épouvantails paraissent rudement démodés."
Encore la langue française, objet de la haine teutonique: Un gros touriste allemand et sa femme, à une mioche alsacienne leur ayant dit: "bonjour", répondent par ces paroles typiques: "on ne dit pas "bonjour", on dit "Guten tag"; nous sommes ici en Allemagne, mon enfant!" à quoi la mioche réplique: "Excusez-moi, papa m'a dit qu'avec les étrangers, je dois toujours être polie."
Puis ce sont deux dessins exécutés avec une verve et une éloquence qui dépassent de beaucoup la caricature moderne. L'un représente un gros Allemand qui dit avec emphase à son fils, en lui montrant avec sa canne les champs environnants:
"N'oublie pas, mon enfant, que c'est avec le sang, le fer et le feu que nos pères ont conquis ce pays. Il est donc bien à nous et le restera."
Dans l'autre est un bon Alsacien qui dit avec bonhomie à son fils, en lui montrant les mêmes champs:
"N'oublie pas, mon petit, que c'est le travail et la sueur de nos pères qui ont fertilisé ce sol, c'est par le fer de la charrue qu'il a été conquis: ce pays est donc bien à nous!"
Voilà, en quelques coups de crayon, dévoilée la mentalité de deux races qu'un abîme sépare, car l'une ne s'appuie que sur la force brutale, l'autre sur le droit et le devoir.
Ne pouvant tout citer, nous préférons ne pas continuer, même en l'abrégeant de beaucoup, cette énumération de chefs-d'oeuvre, car on pourrait croire que notre choix laisse dans l'ombre tout ce qui, étant faible de conception, n'aurait pas de portée philosophique. Ce serait une grave erreur. Tout est beau: chaque dessin porte la marque d'une profonde originalité servie par un patriotisme sans peur et sans reproche.
Gérard Devèze.
Le Magasin pittoresque, 15 décembre 1913.
* Nota de célestin Mira: Jean-Jacques Waltz, dit Hansi est né un dessinateur français né en 1873 et mort en 1951.
** Zislin
Une des qualités du regard de ce grand artiste, c'est d'être clair et franc, d'une franchise d'honnête homme, qui lance la vérité à tous les échos, parce qu'il ne peut faire autrement, son cœur débordant de colère. Cependant il se domine encore, et le cri indigné du satirique garde toujours le ton de l'homme bien élevé. C'est un français! Voilà ce qui frappe tout de suite le lecteur et ce qui le charme.
Comment M. Zislin a-t-il pu donner une si grande variété à ses compositions qu'aucune ne se ressemble, même de loin? C'est que toutes puisent profondément leur inspiration dans le sol alsacien, celui de la patrie, qui donne l'éloquence du cœur. Et cette variété est toute naturelle: la critique, de peur d'être trop souvent la même et par suite monotone ne devient jamais subtile, car elle veut être compréhensible pour tous, les grands et les petits, semblable à l’Évangile, qui est le pain des âmes les plus simples.
Ah! les opprimés, en recevant ces feuilles périodiques, devaient tressaillir d'une joie sans mélange: ils avaient enfin leur vengeur pour, sinon vaincre, du moins affaiblir et exaspérer leur puissant ennemi, le Pangermanisme, géant bardé de fer, mais que les flèches de la satire savaient percer au bon endroit, au défaut de la cuirasse. Sous ce rapport, Zislin est un lutteur incomparable.
M. Paul Déroulède, le grand patriote, a fait précéder les Sourires d'Alsace d'une préface éloquente et vibrante, qui sonne la charge. Il fait remarquer avec une admirable justesse que " les légendes et les dessins de l'intrépide journal qui ont illuminé d'un rire consolateur la tristesse des opprimés, éclaireront d'un pur rayon d'espérance et de joie le deuil et les remords des vaincus". Nous croyons, avec le grand patriote, que le succès de cette publication sera aussi grand que celui de l'Histoire d'Alsace par l'oncle Hansi*.
M. Georges Ducrocq, l'auteur si apprécié de La Blessure mal fermée et Les Provinces inébranlables, a voulu, en éditant ces Sourires, faire un choix parmi ces milliers de dessins, et il l'a réussi avec beaucoup de goût et d'adresse. Il les a groupés en cinq grandes divisions:le Pangermanisme, Les deux cultures, Constitution et autonomie, Vues d'Alsace, Politique générale. Ce sont, en quelque sorte, cinq grands tableaux, dans chacun desquels sont concentrés et classés les sujets qui tiennent le plus au cœur généreux de l'Alsace. On ne pouvait mieux faire.
Feuilletons rapidement ces pages d'une vie si intense. voici le type du Pangermaniste. Un gros Allemand, ayant sous le bras gauche un casque à pointe renversé, y puise la bonne semence de la germanisation, qu'il lance à toute volée sur la terre d'Alsace**.
Ici les Nobles de la nation, cinq lieutenants, après un plantureux repas, s'écrient:
"Garçon, l'addition!... Comment! en Français! ici, en Allemagne! quel toupet!... Vouloir note en Allemand... Payerons pas avant..."
C'est la lutte contre la langue française, admirablement mise en scène, parce qu'elle est vue sous son aspect le plus mesquin et le plus ridicule.
Voici le Cerf-volant séditieux: à Dornach, un gendarme a enlevé à des enfants un cerf-volant bleu, blanc et rouge (historique). Le Teuton est tout fier d'avoir percé de son grand sabre le pauvre jouet tricolore. Trois gamins pleurent sur leur jouet ainsi détruit par une main brutale.
Sous le titre d'Oiseaux de France, un dessin représente un champ où sont placés des épouvantails formés par des soldats prussiens fixés sur des poteaux. Un paysan allemand, en apercevant avec effroi des aéroplanes de France qui filent dans le ciel d'Alsace s'adresse à sa femme: "Sapristi, ma vieille! sous ce genre d'oiseaux nos épouvantails paraissent rudement démodés."
Encore la langue française, objet de la haine teutonique: Un gros touriste allemand et sa femme, à une mioche alsacienne leur ayant dit: "bonjour", répondent par ces paroles typiques: "on ne dit pas "bonjour", on dit "Guten tag"; nous sommes ici en Allemagne, mon enfant!" à quoi la mioche réplique: "Excusez-moi, papa m'a dit qu'avec les étrangers, je dois toujours être polie."
Puis ce sont deux dessins exécutés avec une verve et une éloquence qui dépassent de beaucoup la caricature moderne. L'un représente un gros Allemand qui dit avec emphase à son fils, en lui montrant avec sa canne les champs environnants:
"N'oublie pas, mon enfant, que c'est avec le sang, le fer et le feu que nos pères ont conquis ce pays. Il est donc bien à nous et le restera."
Dans l'autre est un bon Alsacien qui dit avec bonhomie à son fils, en lui montrant les mêmes champs:
"N'oublie pas, mon petit, que c'est le travail et la sueur de nos pères qui ont fertilisé ce sol, c'est par le fer de la charrue qu'il a été conquis: ce pays est donc bien à nous!"
Voilà, en quelques coups de crayon, dévoilée la mentalité de deux races qu'un abîme sépare, car l'une ne s'appuie que sur la force brutale, l'autre sur le droit et le devoir.
Ne pouvant tout citer, nous préférons ne pas continuer, même en l'abrégeant de beaucoup, cette énumération de chefs-d'oeuvre, car on pourrait croire que notre choix laisse dans l'ombre tout ce qui, étant faible de conception, n'aurait pas de portée philosophique. Ce serait une grave erreur. Tout est beau: chaque dessin porte la marque d'une profonde originalité servie par un patriotisme sans peur et sans reproche.
Gérard Devèze.
Le Magasin pittoresque, 15 décembre 1913.
* Nota de célestin Mira: Jean-Jacques Waltz, dit Hansi est né un dessinateur français né en 1873 et mort en 1951.
** Zislin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire