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jeudi 13 octobre 2016

La fabrication du pneumatique.

La fabrication du pneumatique.

Quel est celui de nos lecteurs qui n'a roulé sur une bicyclette, en fiacre ou même dans l'automobile d'un ami complaisant, et compris que sans le pneumatique, on ne pouvait supprimer les cahots ni voyager presque sans secousse sur les routes. N'est-il pas mieux porté dans une limousine munie de moelleux bandages pneumatiques et faisant du cinquante à l'heure que dans le plus luxueux coupé, monté sur roues ferrées et traîné par des chevaux trottant seulement à la vitesse de douze kilomètres à l'heure?
Nous ne discuteront donc pas les avantages du pneumatique que tout le monde admet sans conteste aujourd'hui, et nous parlerons seulement de sa fabrication que certainement la majorité du public ignore, et dont, à coup sûr, il ne soupçonne pas la complication et la difficulté.
Un pneumatique comprend deux parties:
1° l'enveloppe que l'on appelle encore le bandage;
2° la chambre à air avec la valve.
L'enveloppe ou bandage est accrochée à la jante, c'est elle qui roule sur le sol.
La chambre à air, comme son nom l'indique, sert de magasin à air. C'est par la valve qu'on la gonfle soit à l'aide d'une pompe, soit à l'aide de l'air comprimé d'un réservoir. Dès lors, si l'on gonfle un pneu monté sur une jante, la chambre se dilate, augmente de volume et entraîne, dans son mouvement de dilatation, celui de l'enveloppe qui se distend et prend rapidement son maximum d'extension, car cette enveloppe est peu élastique. Si on la touche avec la main, elle paraîtra dure, et, malgré cette dureté apparente, l'élasticité de la chambre à air contenue à l'intérieur de l'enveloppe permettra soit à la bicyclette, soit à l'auto de franchir les obstacles sans de trop fortes secousses.
Il y a donc d'un côté une enveloppe extérieure peu souple, très solide, très résistante, confectionnée avec des toiles de première qualité et du caoutchouc, d'un autre côté une chambre en caoutchouc très souple, très élastique, qui une fois gonflée répartira sur toute sa périphérie la pression d'air qu'elle renferme.
Nous allons maintenant décrire les procédés de fabrication d'un pneumatique et d'une chambre à air en nous aidant de quelques photographies que la Société Industrielle des Téléphones, qui fabrique le Pneumatique l'Electric, a très gracieusement mises à notre disposition et que nous sommes heureux de pouvoir produire sous les yeux de nos lecteurs.
Avant d'aborder la description de la fabrication des Pneus, il nous reste à définir l'opération la plus importante du fabricant de caoutchouc, la Vulcanisation. C'est l'opération qui consiste à produire la combinaison entre le soufre incorporé dans le mélange et le caoutchouc. Cette opération se fait généralement à chaud soit sous presse chauffée à la vapeur, soit dans un autoclave à vapeur à une température pouvant varier de 125 à 140° centigrades.
La vulcanisation développe dans le caoutchouc des propriétés caractéristiques et précieuses. Le froid et la chaleur (jusqu'à 180° ou 200°) sont sans action sur le caoutchouc vulcanisé en ce sens que dans cet état, il conserve son élasticité et son extensibilité.
Les dissolvants n'ont aussi pas d'action sur lui, ils le gonflent simplement. Au contraire, le caoutchouc non vulcanisé gèle par le froid et devient pâteux sous l'influence de la chaleur; il se dissout très facilement dans les dissolvants ordinaires. De plus le caoutchouc non vulcanisé se soude à lui-même par simple contact alors que le caoutchouc vulcanisé ne jouit plus de cette propriété.
Nous pouvons maintenant aborder la fabrication du Pneumatique, en suivant l'ordre logique des opérations, depuis la matière première jusqu'à l'emmagasinage du Pneu terminé.
Matières premières.- Le caoutchouc employé dans la fabrication des pneumatiques est du "Para" (c'est le latex de l'arbre Hevea Brasiliensis, lequel croît au Brésil). Il arrive sur les marchés d'Europe en grosses poire coupées en deux ou plusieurs morceaux et possédant une odeur très caractéristique de jambon fumé (fig 1). 




Ces morceaux, dès leur arrivée à l'usine, sont ramollis dans des cuves à eau chaude (50 à 60° centigrades), puis écrasés dans des cylindres à cannelures dits écraseurs et des cylindre lisses dits décliqueteurs. Un courant d'eau arrivant sur les cylindres entraîne le bois, le sable et toutes les impuretés qui peuvent être contenues dans la gomme brute. Il sort de ces cylindres une mince feuille de caoutchouc, humide, de plusieurs mètres de longueur sur 50 à 55 centimètres de largeur, que l'on étend ensuite dans un séchoir très aéré. Au bout de quelques semaines, ces feuilles sont sèches, on les reporte sur des cylindres légèrement chauffés à la vapeur (réchauffage), pour enlever toute trace d'humidité et en même temps rendre le caoutchouc légèrement pâteux. On introduit ensuite dans la gomme ainsi travaillée, du soufre qui servira uniquement à la vulcanisation, et d'autres poudres telles que de la baryte, du blanc de zinc qui lui donneront plus d'élasticité, plus de fermeté, plus de résistance. On a ainsi fait une mélange de caoutchouc (fig 2).




Les toiles employées dans les pneus doivent être de toute première qualité, aussi les fabrique-t-on en coton jumel extra. Un fabricant sérieux doit, pour s'assurer de la qualité de ces toiles, posséder un laboratoire bien monté et contenant des appareils précis qui lui permettront de vérifier la résistance à la rupture des fils (dynamomètre), la torsion donnée aux fils (torsiomètre), l'humidité de l'air ( hygromètre), laquelle influe beaucoup sur la résistance des fils de coton. On admet que les tissus pour pneus ne doivent pas se rompre à moins de 250 kg et 300 kg en chaîne et en traîne pour une éprouvette de cinq centimètres de largeur.
Nous allons assister à la confection d'une enveloppe et tout d'abord à la préparation des toiles et des feuilles de caoutchouc qui la constituent.
Gommage des toiles.- On prépare d'abord une dissolution de caoutchouc, en trempant une feuille du mélange approprié dans de la benzine en proportion déterminée: par exemple 1 kg de gomme pour 2 kg de benzine. On broie cette dissolution dans un masticateur à palettes, et au bout d'une heure de broyage la dissolution peut être employée. C'est de cette dissolution que le tissu sera imprégné au moyen du métier à gommer ou spreading dont nous donnons le schéma (fig 6).




La toile enroulée sur elle-même, et placée en A, se déroule entraînée mécaniquement dans le sens de la flèche. Elle passe entre un cylindre B garni de caoutchouc durci et une règle d'acier D. On distribue la dissolution à l'aide  d'une spatule à main sur toute la largeur de la règle, la toile se charge au passage d'une couche uniforme et parfaitement régulière de caoutchouc. La toile passe ensuite sur une table E chauffée à la vapeur qui évapore la benzine de la dissolution, puis vient s'enrouler en G .
Tirage des feuilles de caoutchouc à la calandre. - La calandre est un appareil comprenant plusieurs cylindres placés les uns au-dessus des autres, ces cylindre sont creux et peuvent être chauffés à la vapeur ou refroidis par de l'eau froide (fig 3).




Les feuilles de caoutchouc passent sous ces rouleaux et en sortent laminés à l'épaisseur voulue.
Découpage des toiles gommées et des feuilles de caoutchouc.- Quand on a obtenu la feuille de caoutchouc et la toile gommée, on les découpe en bandes de largeur et de longueur déterminées suivant chaque dimension de pneumatique à faire (fig 4) et l'on passe à la confection du pneumatique. 



C'est comme on va voir, une opération très délicate; les soins minutieux qu'elle exige font comprendre le prix élevé des pneumatiques d'automobiles.
Confection et moulage.- Les pneumatiques sont faits et vulcanisés dans des moules en fonte comprenant un noyau A muni de 2 bras et d'un trou à travers lequel peur passer un axe et 2 coquilles C et D qui peuvent recouvrir parfaitement ce noyau. Il y a entre le noyau A et les deux coquilles un espace vide B qui sera occupé par la succession des feuilles de caoutchouc et des toiles gommées qu'y placera l'ouvrier (fig 7).




Les confectionneurs de pneus placent verticalement devant eux le noyau monté sur un axe reposant sur un chevalet, et correspondant à la dimension du pneu à fabriquer. Ils entourent ensuite ce noyau d'une succession de bandes de toile gommées et de feuilles de caoutchouc en nombre suffisant et jusqu'à une épaisseur déterminée pour chaque dimension. Ils collent de chaque côté du noyau les talons, qui sont constituées par deux grosses cordes de caoutchouc tirées à la filière, puis ils tressent les toiles et les couches de gommes à l'aide d'un rouleau à main de façon à assurer l'adhérence parfaite de tout l'ensemble. Le pneu est prêt à être moulé.
L'ouvrier place alors le noyau recouvert des toiles et du caoutchouc entre ses coquilles correspondantes, puis il porte le tout sur une presse hydraulique chauffée à la vapeur. Par suite de la pression hydraulique le caoutchouc se moule dans les creux des coquilles et il se vulcanise sous l'influence de la température de la vapeur. Cette opération dure une heure et demie environ; dès qu'elle est terminée, l'ouvrier procède au démoulage.
Le Pneu est alors terminé, il a maintenant l'aspect d'un corps compact homogène qui ne ressemble en rien à l'assemblage de pièces et de morceaux qu'il présentait avant sa vulcanisation. On l'ébarbe, on l'examine sur toutes ses faces pour voir s'il n'a pas de défauts (fig 5) 




et on l'emmène ensuite grossir la réserve du magasin. Il ne faut pas oublier en effet, qu'un pneumatique doit être emmagasiné quelque temps avant d'être mis en service sur une voiture, sans cette précaution le caoutchouc étant trop frais n'offrirait aucune résistance à l'usure.
Chambres à air.- Nous avons dit précédemment que la chambre à air devait être parfaitement élastique, il est donc nécessaire de la faire en caoutchouc de très bonne qualité: du Para additionné seulement du soufre nécessaire à sa vulcanisation (ou dans certains cas coloré en rouge par une faible quantité de sulfure d'antimoine).
Le mélange venant de l'atelier des mélanges est réchauffé sur des cylindres réchauffeurs, on le coupe en petites lanières de 4 à 5 centimètres de largeur et on l'introduit dans une machine spéciale et fort originale appelée boudineuse. La bande de caoutchouc entre dans un cylindre dans lequel une vis, ayant un mouvement de rotation, la pétrit, la roule et la force à sortir par par une ouverture munie d'un poinçon. De cette façon le caoutchouc s'écoule sous forme de tube, que l'on recueille sur un tablier sans fin et que l'on coupe à longueur déterminée. On enfile ce tuyau mou et flasque sur des tringles de laiton étamé, on l'entoure de bandes de toiles fortement serrées à la machine, on porte le tout dans un autoclave à vapeur pour la vulcanisation. La cuisson demande deux heures environ; dès que l'opération est terminée, on enlève la chambre de la tringle sur laquelle elle a été vulcanisée, il ne reste plus qu'à la couper à la longueur voulue, en recoller l'une contre l'autre les deux extrémités et placer la valve.
Cette chambre est alors essayée très soigneusement. Tout d'abord on la gonfle et on l'introduit dans une bâche à eau, la moindre bulle d'air qui se dégage indique un point de fuite, s'il n'en est rien, la chambre est reconnue bonne. Pourtant cet essai ne paraît pas encore suffisant et on gonfle les chambres sous une pression de 5 à 6 kg par cm2 dans des pneus montés sur jante, on les y laisse vingt-quatre heures, de cette façon on est assuré de l'étanchéité parfaite de toutes les parties délicates de la chambre à air: soudure, pièce de valve, valve. La chambre peut être ensuite sans crainte mise en service
La fabrication des pneumatiques et des chambres à air que nous venons d'esquisser, nécessite un matériel de premier ordre très coûteux, un personnel très exercé aux manipulations délicates du caoutchouc, et ce n'est qu'à la suite de longs efforts, d'étude très suivies qu'on peut arriver à fabriquer des bandages et des chambres à air absolument irréprochables.

                                                                                                                    Henri Bécuwe.
                                                                                                                     Ingénieur E. C. P.

La Nature, revue des Sciences, deuxième semestre 1907.

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