Les visions de la nuit dans les campagnes.
Un de mes compatriotes berrichon, M. Laisnel de la Salle, a publié dans ces derniers temps (dans le Moniteur de l'Indre) une série d'excellents articles, qui, réunis en volume, constitueront une histoire spéciale de cette face de la vie rustique et prolétaire: les traditions, préjugés, dictons et locutions populaires de nos localités. Cet ouvrage n'est pas un résumé de fantaisies, c'est une recherche consciencieuse de faits acquis à la croyance ou à l'habitude générale de nos hameaux et petites villes; ce n'en est pas moins un travail qui amuse et intéresse sans fatiguer l'esprit un seul instant. Nous avons trouvé avec plaisir, une mention explicative du grand Bissêtre, dont nous avions beaucoup entendu parler sans pouvoir deviner son origine, bien simple cependant. Mais les explications simples arrivent, on le sait, quand on est las de tirer par les cheveux les commentaires extravagants, et je n'en avais fait que de ceux-là.
Le grand bissêtre. |
" Aux environs de la Châtre, dit notre auteur, le peuple croit qu'une sorte de génie malfaisant (qu'il appelle le grand Bissêtre) préside aux événements qui ont lieu dans les années bissextiles. On dit que, lorsqu'une femme accouche dans l'année où le Bissêtre saute, , elle met immanquablement au monde une fille ou deux jumeaux, et reste sept ans sans avoir d'enfants."
"A Dijon, en ces sortes d'années, dit la Monnoye, le vulgaire pense que Bissêtre cor (court), et qu'ainsi on ne doit rien entreprendre d'important. Bissêtre est donc un vieux mot dérivé de bissexte, et était synonyme de malheur, infortune.
Pour ce que Bissextu eschiet,
L'an en sera tout desbauchiet.
Molinet. Le calendrier.
Cette année était bissextile, et le bissexte tomba de fait sur les traitres.
Orderic Vital, lib. XIII.
La mauvaise influence de l'année bissextile était proverbiale au moyen âge. Cette superstition remonte aux Romains.
Génin, Lexique comparé.
"Bissêtre signifie aussi dans notre patois, enfant vif et turbulent, enfant terrible."
Dans certaines campagnes, le bissêtre, et c'est ce qui nous avait empêché de songer à l'année bissextile, n'est pas obligé de courir à certaines époques. Il court les champs, les étangs, les marécages, d'où il fait sortir les pestilences et mauvaises fièvres.
La poule noire. |
La poule noire est consacrée, dans presque toute la France, aux incantations nocturnes. Chez nous, la manière dont M. Laisnel de la Salle raconte son emploi est à peu près identique dans toute la vallée Noire.
" Ordinairement, dit-il, lorsqu'il veulent avoir une entrevue avec le diable, ils se rendent à minuit à l'embranchement de quatre chemins, et là, tenant la poule, ils crient par trois fois: "Qui veut acheter ma poule noire?" J'ignore ce que les anciens pensaient de la "poule noire"; mais je sais qu'ils appelaient un homme heureux Gallinæ filius albæ."
Après M. Laisnel de la Salle, on n'a plus qu'à glaner; mais on glane longtemps dans un champ aussi fertile que l'imagination populaire.
Le casseu' de bois est le fantôme des forêts. On n'a pas l'esprit bien tranquille quand on va faire, de nuit, sa provision de fagots sur la terre du prochain. C'est alors que l'on entend des bruits étranges de chouettes effrayées et de branches cassées par la course des sangliers dans les taillis. C'est alors, que, par un temps calme, on sent venir un rapide et inexplicable ouragan qui rase le sol et brise au pied les jeunes arbres; c'est alors que, marchant de tige en tige, à fantastiques enjambées, le gnome à la longue chevelure de lichen et de mousse vient vous dire: que fais-tu là?
Nous avons parlé déjà du ramasseu' de rosée, un propriétaire matinal qui promène dans les prairies un chiffon au moyen duquel toute l'humidité d'un pré passe dans le sien. Mais il ne faut pas croire qu'il suffirait d'imiter cette simple opération pour obtenir d'aussi magnifiques résultats. D'abord, on n'est jamais bien certain quand, à travers la brume blanchâtre, on aperçoit l'opérateur, que ce soir un sorcier ou son domestique, c'est à dire le démon qui le sert, et qui s'habille à sa ressemblance. Dans tous les cas, il faut être bien savant pour faire sa fortune de cette manière.
Il n'y a pas longtemps que nous avons découvert chez nous le le lubin d'origine normande, dont nous avait parlé Mme Amélie Bosquet dans son excellent livre: mais dans nos champs, au lieu de hanter les cimetières, ce farfadet se montre favorable aux moissons et sème derrière les bons laboureurs; pourtant, il ne faudrait pas le contrarier, car il pourrait leur semer le bedouin et de l'ivraie à la place du froment, si c'était son idée.
Le lupeux est un être franchement désagréable. Un de nos amis, parcourant les steppes marécageuses de la Brenne avec un guide, entendit non loin de lui, dans le crépuscule du soir, une voix humaine assez douce, qui d'un ton enjoué, plutôt goguenard, répétait de place en place: Ah! ah! Il regarda de tous côtés, ne vit rien, et dit à l'indigène qui l'accompagnait: Voila quelqu'un de bien étonné. Est-ce à cause de vous? Le guide ne répondit rien. Ils continuèrent à marcher. La voix les suivit, et, à chaque mouvement que faisait notre ami, s'écriait: Ah! ah! d'une manière si moqueuse et si gaie qu'il ne put s'empêcher de rire en lui répondant: Eh bien? quoi donc?
- Taisez-vous, pour l'amour du bon Dieu, lui dit son guide en lui serrant le bras: ne lui parlez pas, n'ayez pas l'air de l'entendre. Si vous lui répondez encore une fois, nous sommes perdus.
Notre ami, qui connait bien les terreurs du paysan, ne s'obstina pas, et, quand ils furent assez loin de l'invisible persifleur:
- Ah ça! lui dit-il, c'est un oiseau, une sorte de chouette?
- Ah bien oui, dit l'autre, un bel oiseau! C'est le lupeux! Ça commence par rire; ça vous tire de votre chemin, ça vous emmène, et puis ça se fâche et ça vous noie dans les fondrières.
Nous demanderons à M. Laisnel de la Salle de nous parler du lupeux , et de retrouver l'étymologie du nom, qui presque toujours le met avec succès sur la trace originaire de la tradition.
George Sand.
L'Illustration, journal universel, 17 février 1855.
Après M. Laisnel de la Salle, on n'a plus qu'à glaner; mais on glane longtemps dans un champ aussi fertile que l'imagination populaire.
Le casseu' de bois. |
Le casseu' de bois est le fantôme des forêts. On n'a pas l'esprit bien tranquille quand on va faire, de nuit, sa provision de fagots sur la terre du prochain. C'est alors que l'on entend des bruits étranges de chouettes effrayées et de branches cassées par la course des sangliers dans les taillis. C'est alors, que, par un temps calme, on sent venir un rapide et inexplicable ouragan qui rase le sol et brise au pied les jeunes arbres; c'est alors que, marchant de tige en tige, à fantastiques enjambées, le gnome à la longue chevelure de lichen et de mousse vient vous dire: que fais-tu là?
Le ramaseu' de rosée. |
Nous avons parlé déjà du ramasseu' de rosée, un propriétaire matinal qui promène dans les prairies un chiffon au moyen duquel toute l'humidité d'un pré passe dans le sien. Mais il ne faut pas croire qu'il suffirait d'imiter cette simple opération pour obtenir d'aussi magnifiques résultats. D'abord, on n'est jamais bien certain quand, à travers la brume blanchâtre, on aperçoit l'opérateur, que ce soir un sorcier ou son domestique, c'est à dire le démon qui le sert, et qui s'habille à sa ressemblance. Dans tous les cas, il faut être bien savant pour faire sa fortune de cette manière.
Le lubin. |
Il n'y a pas longtemps que nous avons découvert chez nous le le lubin d'origine normande, dont nous avait parlé Mme Amélie Bosquet dans son excellent livre: mais dans nos champs, au lieu de hanter les cimetières, ce farfadet se montre favorable aux moissons et sème derrière les bons laboureurs; pourtant, il ne faudrait pas le contrarier, car il pourrait leur semer le bedouin et de l'ivraie à la place du froment, si c'était son idée.
Le lupeux. |
Le lupeux est un être franchement désagréable. Un de nos amis, parcourant les steppes marécageuses de la Brenne avec un guide, entendit non loin de lui, dans le crépuscule du soir, une voix humaine assez douce, qui d'un ton enjoué, plutôt goguenard, répétait de place en place: Ah! ah! Il regarda de tous côtés, ne vit rien, et dit à l'indigène qui l'accompagnait: Voila quelqu'un de bien étonné. Est-ce à cause de vous? Le guide ne répondit rien. Ils continuèrent à marcher. La voix les suivit, et, à chaque mouvement que faisait notre ami, s'écriait: Ah! ah! d'une manière si moqueuse et si gaie qu'il ne put s'empêcher de rire en lui répondant: Eh bien? quoi donc?
- Taisez-vous, pour l'amour du bon Dieu, lui dit son guide en lui serrant le bras: ne lui parlez pas, n'ayez pas l'air de l'entendre. Si vous lui répondez encore une fois, nous sommes perdus.
Notre ami, qui connait bien les terreurs du paysan, ne s'obstina pas, et, quand ils furent assez loin de l'invisible persifleur:
- Ah ça! lui dit-il, c'est un oiseau, une sorte de chouette?
- Ah bien oui, dit l'autre, un bel oiseau! C'est le lupeux! Ça commence par rire; ça vous tire de votre chemin, ça vous emmène, et puis ça se fâche et ça vous noie dans les fondrières.
Nous demanderons à M. Laisnel de la Salle de nous parler du lupeux , et de retrouver l'étymologie du nom, qui presque toujours le met avec succès sur la trace originaire de la tradition.
George Sand.
L'Illustration, journal universel, 17 février 1855.
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